Chapitre Dix
Bonjour ! Je tiens à m'excuser d'avoir mis autant de temps avant de publier un nouveau chapitre. Je viens de trouver un travail, donc voilà, il me faut du temps pour tout rééquilibrer. Je ferai de mon mieux pour être + régulière à l'avenir. Bonne lecture ♥
Un trou noir. C'est comme cela que je qualifierai la journée du dimanche. Un trou noir qui a tout englouti sur son passage : toutes envies, tous besoins et même tous sentiments. J'ai quelques flashs qui apparaissent, mais je serai bien incapable de raconter à quiconque ce qui a bien pu se passer durant les treize heures où j'ai été réveillée. Je me vois en train de manger, en train d'acquiescer face à une grand-mère dont les lèvres se mouvent à une cadence folle, ou bien en train d'enlacer Lilianna. Mais c'est tout. Il n'y a ni son, ni saveur, ni même aucune émotion qui me traverse face à ces petites scènes plus courtes les unes que les autres. C'est comme si, toute la journée, j'avais été déconnectée de mon propre corps. J'ignore pourquoi, peut-être était-ce une façon de me protéger... Mais de quoi ?
— As-tu besoin d'autre chose ?
Je cligne plusieurs fois des yeux, rendant l'image face à moi plus nette, chassant également ces quelques images presque sans vie qui résument ma journée d'hier. Maman ne me lâche pas d'un regard ni ne détache sa main de la mienne. J'observe ce large sourire quelques secondes avant de plonger mon regard dans le sien. La peur que j'y décèle me fait comprendre que son rictus est forcé. Fier, mais forcé.
— Grand-mère a dû se charger de tout, dis-je sans trop d'hésitation avant d'ajouter sur le ton de la plaisanterie, je suis même certaine qu'elle a dû vérifier personnellement mes valises.
— Oui, cela ressemble bien à maman.
Elle rit, mais je discerne un peu d'irritation dans sa voix. Comment était leur relation quand maman avait mon âge ? Est-ce que grand-mère était aussi... intrusive et autoritaire ? Aussi adorable a-t-elle été depuis mon arrivée, personne ne peut nier que la Reine Mère a un sacré tempérament et qu'elle ne mâche ni ses mots ni ses efforts pour atteindre ses objectifs. Si j'ai eu droit à la tendresse de son côté maternel, c'est une tout autre personnalité que j'ai pu rencontrer à partir du moment où j'ai annoncé que je voulais prendre ma place dans la hiérarchie familiale. J'ai appris à connaître la dirigeante, le caractère fort et la connaissance à l'état pur... et ce fut épuisant. Tout ça, toutes ces dernières semaines, ce stress qui s'est accentué au fil des semaines. Peut-être est-ce pour ça, qu'hier, j'ai décroché. J'avais atteint mon seuil et c'était soit ça, soit une autre crise d'angoisse.
— Il va falloir que tu prennes la route.
— J'aurais aimé voir monsieur Sutton avant mon départ.
C'est sorti tout seul. Telle une pensée fugace qui s'échappe et qui prend son envol. C'est la première envie qui m'anime depuis mon réveil. La première pensée qui me crée une émotion, celle d'un manque, d'un pincement au cœur. Même les merveilleuses crêpes de madame Millet au petit-déjeuner n'ont pas réussi à éveiller quelque émotion en moi. Mais monsieur Sutton, c'est une autre histoire. Il est le point d'ancrage de mon récit, de ma vie actuelle, de tous les choix qui ont découlé depuis notre rencontre.
— Je lui ferai part de ton affection, bien qu'il doit déjà avoir conscience du grand respect et de l'amitié que tu lui portes.
Je l'espère. Je l'espère tant. Mais j'ai l'impression de ne pas l'avoir suffisamment remercié. Pour sa gentillesse, mais surtout pour sa patience pour satisfaire la moindre de mes demandes, en particulier les premières semaines de ma vie ici. Entre mes peurs, mon besoin de faire face à mes faux parents et celui plus que nécessaire de partir quelque temps loin du palais, Monsieur Sutton a dû modifier beaucoup de choses dans son travail pour pouvoir me satisfaire.
Non, pour me sauver. Si j'ai pu effectuer certains pas, c'est en partie grâce à lui. Parce qu'il s'est donné à fond pour que certains événements puissent se produire. Dans cette situation plus que dramatique et ingérable, il a su faciliter certaines choses, me rendant la vie moins difficile. J'en ai conscience maintenant plus que jamais, alors que j'apprends tout sur la vie d'une personne issue de la famille royale. Assurer la sécurité de l'une d'entre elles peut se révéler être un vrai casse-tête, surtout si la personne à protéger n'en fait qu'à sa tête. J'ai pu me montrer difficile, je le sais. Mais je ne suis pas sûre que j'aurais pu agir autrement dans ce genre de circonstances.
— Il est l'heure.
Cette fois, c'est la voix de mon père. Il était en train de parler à Phoebe et Toby la dernière fois que je lui ai jeté un coup d'œil. Il a dû leur faire son speech de papa poule à base de « s'il arrive quelque chose à ma fille, vous êtes morts ». Tout du moins quelque chose de plus respectueux et diplomatique, mais avec le même genre de message. Pas sûre que ce soit si utile, monsieur Sutton les a sûrement briefés sur l'importance de leur travail, bien qu'ils le sachent déjà tous les deux.
Papa se plante à côté de maman, l'air beaucoup plus inquiet que cette dernière. Je discerne sa mâchoire se serrer légèrement, sa poitrine se lever bien plus rapidement que la normale. Les adieux risquent d'être beaucoup plus difficiles qu'avec Lilianna, il y a une heure de cela peu avant qu'elle parte à l'école. Cela avait été bref, mais rempli de joie et d'un câlin comme elle les aime. Mais là, avec eux face à moi qui n'osent plus dire un mot, je sais que cela ne sera pas pareil. Je sais que l'un ou l'autre pleureront une fois que j'aurais quitté l'enceinte du palais. C'est la première fois depuis qu'ils m'ont retrouvée que nous serons séparés aussi longtemps. Plusieurs semaines avant de revenir à la mi-novembre pour quelques jours de congés qui, je le sens, seront plus qu'utiles. J'aurais pu revenir plus tôt, cependant grand-mère a mis un point sur l'écologie. Donc, pas de trajets qui ne seraient pas nécessaires ou qui pourraient être mal voir par la presse. C'est d'ailleurs pour ça que je prends le train aujourd'hui.
« De nos jours, les monarchies ne sont plus la règle, Dela. Il nous faut nous montrer prudents. Nous montrer parfaits et irréprochables » m'a-t-elle dit il y a quelques mois.
Prudente. Parfaite. Irréprochable. Sans oublier forte. Je dois paraître forte et stable, pour mon propre bien et celui de ma famille. La presse sauterait sur la moindre occasion pour faire remarquer au peuple entier que la princesse miraculée n'est peut-être pas le meilleur choix pour être la prochaine à porter la couronne. Je sais que je ne ferai pas l'unanimité, mais je ferai de mon mieux pour convaincre le plus de personnes possible que ma place est bien ici. Les seuls que je ne semble pas devoir convaincre, ce sont mes parents. Je sais qu'ils m'auraient dissuadé de prendre cette décision s'ils ne m'avaient pas su à la hauteur et cette conviction m'aide à m'armer de courage et de confiance.
Toutefois, je m'accorde une minute sans tout ça. Une minute où je suis juste leur fille, une adolescente, qui a vécu des choses affreuses, et qui a besoin d'être étreinte dans leurs bras, aussi fort que possible.
J'ai encore quelques moments où j'espère pouvoir récupérer tout ce qui m'a été arraché. Les câlins, les rires, les caresses dans les cheveux, les anniversaires et autres fêtes familiales. Tout passe dans mon esprit, des choses qui peuvent paraître insignifiantes à des jours plus symboliques.
Mais rien ne pourra être récupéré. Pas même une seule seconde de ces seize années. Cette perte donne un sens particulier à chaque moment passé dans cette nouvelle vie. Tout est plus grand, plus coloré. Tout a plus de sens et d'impact. L'amour y est décuplé, comme chacun des autres sentiments. Alors, bien je que perçoive toute l'affection et la tendresse qu'ils me portent à travers ces câlins, j'ai d'autant plus de souffrance à l'idée de partir, plus de difficultés à rompre le contact physique entre nous.
— Le train risque de partir sans vous.
La voix de papa est pleine de tristesse, malgré sa vaine tentative de plaisanterie. Cependant, il n'a pas tort. Si je ne monte pas tout de suite dans cette voiture, je risque d'être en retard. Peut-être pas au point de rater mon train, car la route nous sera dégagée, mais la presse attend et il ne faudrait pas les décevoir. Alors, le cœur pleuré, je desserre mon étreinte et recule de deux pas. Toutefois, je souris, car je sais qu'au-delà de ce déchirement lié à la séparation, il y a de belles émotions et des moments importants qui m'attendent. Cette fois, je ne suis pas arrachée à eux. Je pars de mon propre chef, avec l'espoir de les rendre fiers. De les rendre tous fiers.
— Je vous aime, leur dis-je en retenant mes larmes.
— Nous t'aimons aussi, répond maman avec la même difficulté.
Nous échangeons un sourire, les yeux brillants. Je me tourne ensuite, car je sais que j'aurais été incapable de retenir mes larmes si j'avais continué à les regarder. J'aurais fini par craquer, ça ne fait aucun doute. Je me rapproche de la voiture d'un pas précipité avant de m'y engouffrer sans un regard pour mon portier. C'était peut-être Phoebe ou Toby, ou bien quelqu'un d'autre. Cela aurait pu même être Bono ou Elton John que je ne l'aurais pas remarqué tant je suis si bouleversée. À un tel point qu'il me faut plusieurs tentatives pour boucler ma ceinture à cause de mes mains tremblantes. Je n'ose pas non plus les regarder lorsque la voiture, après avoir démarré, passe devant eux.
Le trajet jusqu'à l'une des deux gares de la capitale se fait dans le silence. J'ai comme perdu ma langue. Elle est prise au piège entre plusieurs émotions très fortes qui m'empêchent toute sociabilité. Alors que les rues s'enchaînent jusqu'à se ressembler les uns les autres, une vague d'angoisse m'envahit et m'opprime de l'intérieur. Je suis comme dans un étau, mais je ne fais rien. Je ne me débats pas, j'attends juste. J'attends qu'elle passe et je me concentre sur ma respiration tout en listant toutes les chansons de U2 dont j'arrive à me souvenir.
Et ça finit par disparaître, à peine une minute avant notre arrivée à la gare. Une dernière minute avant le début de tout. Une minute pour me rappeler de ce qui m'a poussé à accepter ce rôle, à planifier méticuleusement, avec la grande aide de grand-mère et maman, cette longue tournée. Elle sera épuisante, ça ne fait aucun doute. Mais je sais qu'elle sera aussi enrichissante et très instructive.
La voiture se gare juste devant l'entrée principale qui a été vidée de tous voyageurs, pour laisser la place à un attroupement de journalistes, de caméramans et de photographes. Ils sont sagement alignés les uns près des autres, en deux lignes distinctes qui se font face. Du moins, ils étaient sages jusqu'à ce que la voiture n'apparaissent dans leur champ vision. Soudain, tels de bons petits soldats, tous se sont redressés, droits comme « i », dégainant déjà appareils photo, caméras et micros en direction de la voiture où je me trouve.
« Contente-toi de sourire » m'avait dit grand-mère « ils sont là par pur espoir et ne s'attendent pas à ce que tu répondes à leurs questions. Ce n'est pas dans le programme, alors sois simplement polie si tu ne sens pas de prendre la parole. »
J'ai les mots de la Reine Mère en tête alors que je quitte la voiture. Des mots rassurants qui me font sourire et m'enlèvent la crainte de paraître trop timide ou trop froide si je ne parle pas. Pourtant, après avoir entendu quelques questions criées par l'un ou l'autre journaliste, ma peur de prendre la parole s'envole sans aucune raison particulière.
— Princesse Adélaïde ! m'adresse une voix féminine plus forte que les autres, qu'attendez-vous de cette tournée royale ?
Je m'arrête soudainement alors que mes pas avaient été déterminés jusqu'à présent. Je me sens prête à prendre la parole. À ne pas être qu'un sourire, qu'un visage. À être une voix.
Alors, quoiqu'un peu anxieuse à l'idée de ce que pourrait penser grand-mère, je me tourne vers la journaliste en question et fais deux pas en sa direction, la caméra l'accompagnant braquée sur moi et son micro tendu de sorte à être le plus proche de mes lèvres.
— Je n'attends rien. Je veux simplement être à l'écoute du peuple qui m'a si chaleureusement accueillie depuis que j'ai été ramenée dans mon pays. J'attends juste de savoir ce qu'ils attendent de moi. Ce que je peux faire pour eux, ce que je peux leur apporter.
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