Vingt-trois
Désolée pour l'attente, mais avec l'accident de ma mère, je n'avais plus trop le temps ni même l'envie d'écrire. Heureusement, ça va un peu mieux. Bonne lecture ♥
À l'inverse du samedi, la journée du dimanche a été longue. Excessivement longue. L'angoisse de cette rentrée scolaire si particulière a dû jouer sur ma perception du temps. Ça et les nombreux scénarios qui se sont joués dans mon esprit. Beaucoup de choses pourraient mal se passer demain. Entre une crise d'angoisse qui pourrait resurgir à cause des photographes et journalistes, des regards curieux des élèves qui me disséqueront, du trajet en compagnie de mon frère. C'est la première situation en haut de ma liste, chronologiquement parlant. J'espère pouvoir régler ce premier problème durant l'aller... Si je n'ai pas le courage, j'ai également le chemin du retour, mais je ne préfère pas compter là dessus : je sais que je serais trop fatiguée de ma journée pour avoir une conversation sereine avec lui. Je sais que s'il ne m'écoute pas, s'il me répond sèchement, je risque de partir au quart de tour. Non. Je dois m'occuper de ça dès demain matin, c'est le meilleur moment et le meilleur endroit pour le faire.
Je me retourne, ce que j'ai déjà fait une bonne centaine de fois depuis que je suis entrée dans mon lit, il y a au moins deux heures de cela. Il doit être passé vingt-trois heures, peut-être est-il déjà minuit. Je dois me lever dans six ou sept heures et je risque d'être d'une humeur massacrante si je ne trouve pas le sommeil très rapidement. Le manque de sommeil combiné au stress intense de cette situation encore surréaliste pourrait être difficile à gérer, surtout durant huit longues heures de cours, de nombreuses rencontres, de nouveautés, d'obstacles, d'espoir. Le mien, mais aussi celui de mes parents, des membres de famille. Nous espérons tous que cela se passe du mieux possible. Mais est-ce seulement réaliste ?
J'ai tenté la musique, la méditation, le comptage de mouton. J'ai même essayé de me fatiguer en tentant quelques abdos, mais l'essoufflement de l'effort physique n'a pas suffi à me faire tomber de sommeil. J'ai donc attendu et j'ai fini par m'endormir, bien après minuit.
Le réveil, comme attendu, pique, tout comme mes yeux. J'ai dû mal à me redresser, à quitter la chaleur réconfortante de la couette. Une fois que j'aurais mis un pied à terre, la journée commencera réellement. Alors, j'essaie de m'accorder quelques minutes avant d'y parvenir, mais je suis rapidement envahie par de nombreux doutes et une avalanche de questions. La sérénité du réveil s'est évaporée bien vite.
Je soupire avant de délaisser à contrecœur mon refuge et de filer dans ma salle de bain privé. J'ai encore du mal à discerner les alentours, les paupières mi-closes, mais la première chose que j'aperçois est mon uniforme, pliée soigneusement sur l'une des commodes. Un ensemble composé d'un pantalon noir, d'une chemise blanche, d'un blazer bordeaux avec l'écusson de l'école sur le devant, côté cœur. J'aurais pu opter pour une jupe, mais vu le temps hivernal, je ne veux pas risquer de tomber malade, bas en laine ou pas. J'avais aussi le choix de porter une cravate, j'ai encore une fois décliné. J'ai autre chose à faire le matin que de nouer ma cravate, j'ai besoin de ce temps pour m'occuper de mes cheveux par exemple.
C'est d'ailleurs ce que j'entreprends de faire sans arriver à un résultat qui me satisfait. Il faudrait que je pense à aller chez le coiffeur... ou, plutôt, que le coiffeur vienne à moi. Ce n'est plus quelque chose que je peux faire comme une personne normale. Mon esprit m'amène d'ailleurs au shopping, une autre activité qui me paraît bien inaccessible dans sa forme courante. J'ai l'impression que tout viendra à moi, dans ce palais. C'est aussi pour ça que je tiens au lycée, même si je déteste toujours les mathématiques. J'ai besoin d'avoir un autre endroit dans lequel je peux me rendre plutôt que d'être prisonnière de ces hauts murs et de me sentir épiée par ces centaines de regards, réels ou accrochés au mur. C'est aussi ce que je devrais expérimenter, une fois à l'extérieur, mais rester cloitré n'est pas une vie. Je dois apprendre à m'approprier celle qui est désormais mienne.
Je finis de me préparer avant de quitter la salle de bain et d'attraper mon sac de cours installé juste à côté de mon bureau. Je me précipite ensuite au rez-de-chaussée, impatiente de me remplir l'estomac avec qui j'ai aussi bataillé cette nuit. Lorsque j'arrive dans la salle à manger, tout le monde est déjà présent. Lilianna ne déroge pas au réveil, même si ses cours se font à domicile. Je m'installe à ma position habituelle après avoir salué tout le monde d'un petit « bonjour » qui dénote la fatigue de cette nuit. Je me sers ensuite de quelques pains grillés et de confiture, dans le calme. J'ignore si c'est habituel de si bon matin ou si c'est la situation qui rend tout le monde nerveux et étrangement silencieux. J'essaie d'en faire abstraction, mais cela me pèse au bout de ma première tranche de pain.
— C'est parce que vous n'êtes pas très matinale que vous êtes aussi silencieux ? Ou y a-t-il autre chose ?
— Il est vrai que ton père n'est pas très matinal, avoue la reine.
— Je te remercie, lui répond le principal intéressé d'une voix ronchonne.
— Et toi, alors ? la questionné-je. Quelle est la raison ?
— C'est probablement mon côté maman poule.
Elle a paru si calme depuis que j'ai demandé à réintégrer le lycée. En fait, elle l'a souvent été depuis mon arrivée. Il y a eu des moments d'émotions, mais c'est peut-être la première fois que je la vois avec un air mi-inquiet mi-stressé et ça a tendance à accroître ma propre angoisse. Je me concentre à nouveau sur mon petit-déjeuner sans oser ajouter un mot. Je crois que j'ai peur de poser une nouvelle question et que la réponse donnée rende la situation plus compliquée. Alors je mange en jetant, de temps à autre, un regard à Philippe qui paraît absorbé par son assiette vide. Il doit espérer que je ne sois pas dans la même voiture que lui. Moi, j'espère tout le contraire : j'ai besoin qu'on s'y retrouve et qu'on y soit enfermés quelques minutes. J'en ai besoin et j'espère que ça pourra nous aider, tous les deux.
Je n'arrive pas à très bien distinguer ce qui a été le signal de départ. Une parole des parents ? L'entrée d'un employé ? Autre chose ? Ce n'est pas très important, maintenant que nous nous trouvons tous les deux dans le couloir du palais, côte à côte et toujours silencieux. Devant nous, il y a deux personnes qui marchent à l'unisson. Un homme et une femme. Son garde du corps et la mienne : Thomas et Phoebe. Toby et Nicholas doivent nous attendre à la voiture. Cela fait plusieurs jours que je n'ai pas vu ce premier et c'est bien la seule pensée qui me met du baume au cœur. Cela ne me donne pas l'impression d'être plus légère. À chaque pas, mon sac à dos me paraît plus lourd et j'ai peur de tomber en arrière.
Heureusement, nous arrivons à peine quelques secondes plus tard à la voiture et nous prenons place sans qu'aucune de nous ne se soit échangé le moindre mot. Une fois la ceinture attachée, je dois prendre sur moi pour ne pas lui adresser trop rapidement la parole. Nous sommes encore dans l'enceinte du palais, je ne veux donc pas prendre le risque qu'il décide de fuir la voiture. Ce n'est que quelques minutes après que nous ayons franchi le périmètre que je décide à exécuter mon plan, certaine qu'il ne sortira pas de la voiture avant que l'on ne soit arrivé à destination. Je me penche vers lui et lui murmure la première chose qui me passe par l'esprit.
— Je ne veux pas te remplacer.
Mon regard est fixé sur le visage impassible de mon frère, espérant une réponse de sa part, mais rien ne vient. Il n'y a que le silence, encore une fois. J'ai peut-être murmuré un peu trop bas, il est possible qu'il n'ait rien entendu alors je réitère, cette fois-ci en parlant d'un ton normal, oubliant que nous sommes entourés de quatre gardes du corps. J'attends quelques secondes après ma deuxième tentative, le cœur serré. Je finis par reprendre la parole, pour la troisième fois.
— Est-ce que... est-ce que tu as entendu ce que je viens de dire ?
Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres, me signifiant qu'il a bien entendu mes propos. Hormis ça, je n'ai droit à aucune réponse verbale de sa part. Alors, je retente. Encore. J'ai l'espoir qu'une de mes phrases pourrait avoir un déclic et le faire parler.
— Je ne suis pas là pour te prendre quoi que ce soit.
Philippe détourne la tête, de sorte que la seule chose qui soit dans ma vision ce sont ses cheveux et sa nuque. Je suis désemparée et j'ignore ce que je peux faire de plus. Comment arriver à dialoguer avec quelqu'un si notre interlocuteur ne fait absolument aucun effort ? Comment je pourrais régler un souci qui nous concerne tous les deux ?
J'ai un poids à l'estomac et je suis affligée de ne pas avoir réussi à résoudre de problème ou à ne serait-ce faire qu'un petit pas en avant avec Philippe. Finalement, j'aurais peut-être dû remettre cette conversation à plus tard, car j'ai le moral à zéro et je ne sais pas très bien comment je vais réussir à vivre et à affronter les prochaines heures.
— Nous sommes bientôt arrivés.
La voix douce de Toby me ramène brutalement à la réalité. Je lève le visage et croise son regard dans le rétroviseur intérieur. C'est sûrement à moi seule que cette information s'adresse : l'autre étudiant de la voiture est habitué au trajet. Nos yeux ne se quittent plus et j'arrive à y décerner de la peine dans les siens et c'est aussi ce qu'il doit voir dans les miens. J'ai envie de pleurer, mais je me retiens. À la place, je réessaie, parce que c'est tout ce que je peux faire, c'est la seule possibilité qui s'offre à moi. Si cela ne fonctionne pas, j'attendrais qu'il fasse le premier pas. Cela prendra des semaines, peut-être des mois, mais j'attendrais.
— Tu sais, à propos du trône, je n'en...
— Pas « du trône », mais mon trône. C'est mon trône. C'est moi l'héritier et, soyons honnêtes une seconde, tu ferais une reine pitoyable. Alors, si tu veux que ça se passe bien entre nous, la première chose que tu feras en rentrant aujourd'hui, c'est de dire à mes parents que tu n'en veux pas et que tu veux l'annoncer publiquement en signant le décret royal qui te retirera tes droits à mon héritage. Je ne vais pas me faire voler ma couronne par une foutue arriviste.
Je suis passée d'un soupir à une tirade pleine de haine et de ressentiments. Je ne me suis pas préparée à ça et c'est l'une des raisons qui fait que je suis incapable de répondre quoi que ce soit. L'autre raison est que Philippe est sorti si rapidement de la voiture que je n'aurais pas eu le temps de répondre quoi que ce soit, même si je l'avais voulu. Même si j'avais eu le courage ou les mots pour le faire. Même si ses propos ne m'avaient pas figée sur place.
Il me faut un moment pour reprendre mes esprits et je crois que je serais restée assise un bon bout de temps si la voix de Phoebe, ma garde du corps, ne s'était pas fait entendre.
— Votre Altesse Royale ?
Je sursaute très légèrement avant de tourner ma tête vers l'arrière où elle est installée. Je remarque l'absence de Thomas qui a dû courir derrière Philippe pour le rattraper. Grand-mère m'a dit que l'on n'était pas censé quitter la voiture avant son ou ses gardes du corps. C'est dire son envie d'être à mes côtés.
— Prenez une grande bouffée d'air, Votre Altesse, me suggère une voix masculine. Vous allez y arriver.
C'est Toby qui a prononcé ses mots. Le vouvoiement résonne toujours étrangement quand cela vient de lui. Cela ne sonne pas juste. Son conseil, lui, l'est, et je m'exécute sans attendre. Je viens de me prendre un coup de poing métaphorique dans l'estomac et j'aimerais avoir du temps pour me remettre de ce que vient de se passer. Malheureusement, c'est justement de ça qu'il me manque. La voiture ne peut pas rester indéfiniment devant la grille du lycée. Plus j'attends pour sortir, plus ça doit éveiller la curiosité. Je donne mon approbation à Phoebe d'un hochement de tête, bien qu'une voix me crie intérieurement de prendre mes jambes à mon cou... ou, tout du moins, de demander au conducteur de rebrousser chemin et de me ramener au palais. Je ne le fais pas, car je sais que si je ne sors pas de cette voiture aujourd'hui, ce sera beaucoup plus dur de le faire la prochaine fois.
J'entends une portière claquer et je me saisis de mon sac avant de me laisser glisser jusqu'à celle qui vient de s'ouvrir. Je serre fermement l'une des lanières alors que je fais un premier pas vers une toute nouvelle vie. Une toute nouvelle réalité. Celle où mon visage sera désormais connu par chaque habitant de ce pays.
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