Vingt-huit
J'ai pris du retard dans mes réponses aux commentaires, mais je vous réponds rapidement, promis ♥
Une semaine plus tard, le samedi
Il faut que je pense à respirer. Oui, je dois respirer. Ce ne serait pas très bien vu que je me fasse une crise d'angoisse lors de ma toute première sortie officielle en tant que princesse. D'autant que je n'en ai plus vraiment fait depuis cette fameuse allocution télévisée du Premier ministre qui annonçait la grande nouvelle qu'était ma réapparition. Je ne veux pas paraître faible ou mentalement brisé. Je suis bien. Enfin, ça dépend des moments et avec qui je suis. Mais je suis plutôt bien. La psychologue que je vois une fois par semaine, le samedi après-midi, m'a répété plusieurs fois au cours de ces dernières semaines que j'avais fait beaucoup de progrès. Et je veux la croire. Je veux croire que ce n'est pas une sortie dans un refuge qui pourrait anéantir tout le chemin parcouru. Il y a bien d'autres obstacles qui pourraient avoir cet effet. Une nouvelle altercation avec Philippe ou le procès de mes faux parents par exemple.
Je pense de moins en moins souvent à eux, mais ils arrivent qu'ils s'imposent d'eux-mêmes à mon esprit, me rappelant tout ce que j'ai perdu. Tout ce qu'on m'a pris. J'ignore où ils sont à cet instant précis. Sont-ils toujours dans les sous-sols de ce bâtiment où l'on m'avait conduite ? Ou ont-ils été transférés ailleurs ? Séparément ou ensemble ? J'avoue que ce sont parfois des questions que je me pose, mais ma curiosité a ses limites et, au final, je me rends compte que je n'ai pas très envie de savoir. Je suis sûre que monsieur Sutton me partagerait cette information sans trop de difficultés, mais à quoi bon ? C'est sur le futur qu'il faut se concentrer. Surtout sur le futur proche. Celui dans une heure, lorsque je devrais sortir de cette voiture pour aller ailleurs qu'au lycée.
« Pense à respirer »
Le dernier message de Drew datant d'il y a quelques minutes passe en boucle dans ma tête. Ça peut paraître bête comme message tant il paraît logique, mais ça me fait sourire. Je souris parce qu'il est toujours là quand ça ne va pas. Il n'a pas besoin que je lui fasse part de mes émotions, c'est comme s'il s'en doutait, comme s'il le ressentait même si nous sommes séparés par la moitié de la capitale.
Je me chausse de mes petits talons avant de me lever et de faire quelques pas hésitants vers l'imposant miroir placé à côté de ma garde de robe. Adieu les t-shirts de rock et pantalons troués. Ils ne sont déjà plus très présents entre mon uniforme d'Hartlon et les vêtements offerts par mes grands-mères que je portais dans le palais, mais maintenant que j'ai également un dressing pour les sorties officielles, je ne suis pas sûre que je retrouvais des occasions pour les porter.
J'ai un peu l'impression de voir le reflet d'une autre personne. Une jeune fille chiquement habillée d'une robe mauve à fleurs, avec des collants, des talons, une coiffure tout juste terminée par une coiffeuse professionnelle. Il n'y a pas une mèche rebelle, une mèche qui dépasse. Mes cheveux sont lisses et la coiffure est plutôt simple, il y a juste deux mèches prises de part et d'autre du devant et qui sont ramenés en arrière. Il y a aussi le maquillage, très léger. Et les ongles qu'on m'a manucurés pour la toute première fois de ma vie. En blanc. J'ai droit qu'aux couleurs pâles et claires. Pas de jaunes fluo ou de noirs. Surtout pas. Je ressemble à une princesse moderne, mais je n'en ai que l'image pour le moment. Je dois faire mes preuves.
Je dois partir dans quelques minutes et je ressens le besoin pressant de parler à quelqu'un. J'attrape mon téléphone et l'appelle, le souffle coupé.
— Je t'ai dit de respirer, Adel' !
— Oui, ben j'essaie !
— Vas-y, dis-moi ce qui te passe par la tête.
— Et si quelqu'un me pose une question à laquelle je ne sais pas ou ne veux pas répondre ?
— Les journalistes seront là pour couvrir l'événement, pas pour t'interviewer. Et si quelqu'un, l'un d'entre eux ou ceux du refuge, te pose une question indiscrète, tu n'as pas à leur répondre. Souris et change de sujets. Ce seront eux les malpolis, pas toi. Autre chose ?
— Et si je tombe ?
— Si tu tombes, tu te redresses. Et si tu fais la moindre gaffe, tu continues la tête haute. Ne t'en fais pas, je suis certain que ça va bien se passer. Et si tu fais un pas de travers, ils seront compréhensifs. Tout le monde adore la famille royale, tu n'as pas à t'inquiéter.
J'aurais aimé discuter encore quelques minutes avec lui, mais je sais qu'il est temps pour moi de sortir de cette chambre. Je le remercie plusieurs fois avant de mettre fin à l'appel et de rejoindre le couloir. C'est à ce moment-là que j'entends des cris. Je ne suis pas sûre de leur provenance, mais ça a l'air de venir de la chambre de Philippe.
Je serre les dents avant de me décider à descendre au rez-de-chaussée. Je ne veux pas aller voir ce qu'il se passe. Pas aujourd'hui. Arrivée à quelques mètres de la cour où se trouvent les voitures, je croise Toby et je retrouve le sourire. Voyant que nous sommes seuls, j'en profite pour aller à sa rencontre. Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas pu discuter en tête à tête lui et moi. Je ne le vois pas très souvent en dehors du trajet entre la maison et le lycée. Un chemin qui ne nous permettait pas vraiment de discuter entre mon frère et ses trois collègues.
— Salut !
— Hey ! dit-il en murmurant. Comment vas-tu ?
— Je suis un peu stressée, lui avoué-je d'une voix complice. Et toi, alors ?
— Je vais bien. Je t'enverrais du courage depuis le palais, je suis certain que ça va bien se passer.
— Merci, c'est... Attends, pourquoi depuis le palais ? Tu es le garde de Philippe, tu es censé nous accompagner.
— C'est à dire que... Je suis désolé, Adélaïde, mais je crois qu'il ne viendra pas.
— Je vois... Je comprends mieux les cris que je viens d'entendre...
Je m'adosse au mur en soupirant. Maman voulait à tout prix que la famille soit réunie pour mon premier engagement royal. Elle pensait que ce serait une bonne chose de montrer que nous étions unis. Que cela donnerait une bonne image, que ça ferait plaisir au peuple. J'aurais dû me douter que cela ne serait pas aussi simple. Rien n'est simple avec lui.
— Toi qui le vois plus que moi, tu n'aurais pas un conseil ? Tu crois qu'il y a quelque chose à faire ? Que cela va s'arranger ?
— Tu sais, je suis très souvent avec lui, mais il me parle à peine. Je crois que tu devrais demander à tes parents, c'est leur fils après tout. Mais peut-être que le psychologue qu'il voit arrivera à débloquer les choses...
— Le psychologue ? Quel psychologue ? Je n'étais pas au courant qu'il en voyait un ! Est-ce que cela fait longtemps ?
— Environ un mois et demi, répond-il d'un air embêté. Je dois apprendre à garder ma langue dans ma poche.
— Non, j'aime bien quand tu m'apprends ce genre de nouvelles. Ça me donne un peu d'espoir. Je commençais à en manquer, ça tombe bien.
— Ravi d'avoir pu t'aider avec ma maladresse.
Nous échangeons un rire qui me remplit le cœur d'une force et d'une joie immense. Même si j'aime beaucoup Phoebe, je regrette toujours que Toby ne soit pas le garde du corps qui me suit partout dans le lycée ou qui me conduirait à tous ces événements. Le feeling passe vraiment entre nous et c'est dur de savoir que je ne peux pas lui parler quand je le veux et comme je le veux. Parfois, je regrette la maison familiale au bord de la mer en sa compagnie, et avec Thomas aussi d'ailleurs.
Je le vois se ressaisir quelques secondes avant que mes parents n'arrivent dans notre couloir. Mon père a le teint rouge, il est énervé. Elle, elle a plutôt l'air triste. Si elle avait pu, je crois qu'elle aurait pleuré. Cependant, il aurait fallu qu'on lui refasse son maquillage et cela nous aurait mis en retard. La ponctualité est une qualité très importante dans cette famille.
— Est-ce que tout va bien ? les interrogé-je.
C'est plus par politesse que je leur pose la question que par une réelle envie de savoir ce qui s'est passé. Je n'ai pas envie d'être déstabilisé par l'instabilité émotionnelle de mon jeune frère.
— Oui, tout va bien, me répond-elle d'une voix ferme. Et tout ira bien. On va passer une très belle matinée. D'ailleurs, il vaudrait mieux démarrer, si l'on veut arrivera à l'heure. Cela ne serait pas de bons augures d'arriver en retard pour ta première sortie.
Je hoche la tête, car il n'y a rien à dire dans ce genre de situation. Il faut laisser couler et simplement avancer. C'est ce que mes parents font et je jette un regard à Toby, toujours avec ce sourire réconfortant au visage.
— Bonne chance, me souhaite-t-il.
— Merci...
Je rejoins ensuite mes parents dans la cour. Lilianna est déjà près de la voiture que nous allons toutes deux partager. Nos parents seront dans celle de devant, comme le veut le protocole. Je suis accueillie par ma petite sœur avec beaucoup d'enthousiasme et, au fil des secondes, je commence à l'être moi aussi.
— J'ai un plan, m'avoue-t-elle dans un murmure.
— Un plan ? De quoi parles-tu ?
— Je vais adopter un chien aujourd'hui.
— Ah bon ? Nos parents ne m'ont rien dit pourtant.
— Normal, ils ne sont pas encore au courant !
— Ah ! Et tu vas t'y prendre comment ?
— C'est simple, je verrai quel chien me tape dans l'œil et dans le cœur et je le prends.
— Effectivement, ça me paraît simple. Mais tu devrais peut-être les prévenir, non ?
— Non, parce que si je les préviens maintenant, ils vont m'en dissuader. Alors que si je le fais une fois qu'il y aura tous les regards et les appareils photo braqués sur nous, ils ne pourront pas me le refuser !
— Oh je vois... T'es vraiment une petite maligne toi !
L'ingéniosité et la malice de ma petite sœur me font rire et arrivent à ôter de mon esprit le problème familial que je traîne depuis des mois. Je ferme cette boîte de pandore pour le moment, ayant une autre activité qui me demande tout mon courage et ma concentration.
Nous montons dans la voiture après quelques rires échangés. Lilianna n'a pas l'air très inquiète de l'absence de son frère et prend même ses aises pour poser ses jambes sur la place vide entre nous.
— Tu es très belle, me complimente-t-elle. Même si ça aurait été plus drôle que tu viennes en étant habillée avec tes anciens vêtements. J'aurais adoré voir la tête des journalistes.
— J'avoue que ça aurait été très tentant, mais il vaut mieux que je sois la plus parfaite possible pour ma première sortie, tu ne penses pas ?
— Oui, tu as sûrement raison.
Le reste des gardes du corps prennent leur place, le conducteur se trouvant déjà derrière son volant prêt à démarrer. Le moteur en marche, nous attendons que le véhicule de nos parents passe les premiers avant de sortir enfin de l'enceinte du palais. Une fois dans les rues de la capitale, je me penche vers le siège du milieu et regarde devant moi. Une voiture de police est juste devant celle du couple royal, nous escortant jusqu'à notre destination. C'est si étrange de se dire que nous sommes autant protégés. Que ma vie est aussi importante. Plus importante même que celles de Phoebe ou de Toby. Je crois que je ne trouverai jamais ça normal ou juste. C'est une habitude à prendre, car il me sera impossible de changer ça. Monsieur Sutton me ferait une crise de panique si je lui demandais de ne plus avoir de protection au lycée ou n'importe où ailleurs. Il a fait tellement pour moi ces derniers mois : il mérite bien un peu de repos et de répit !
— Dans cinq minutes, Vos Altesses Royales, nous prévient Phoebe.
Cette indication du temps restant avant d'arriver à bon port a pour effet de faire réapparaître le stress que j'ai mis des heures à enfermer dans un coin de ma tête. Si toute la presse du pays n'avait pas été mise au courant de ma présence, je crois que j'aurais sûrement demandé au chauffeur de faire demi-tour, de prendre la fuite. Il va falloir que je me montre forte et que je trouve une manière de sourire, sans que cela ne se voie qu'il est soit forcé soit crispé.
— Ça ne va pas durer plus de trente minutes, m'indique Lilianna d'une petite voix. Peut-être une heure si je mets du temps à choisir mon nouvel animal de compagnie...
— Quoi ? Une heure ? dis-je avec panique.
— Désolée, j'essaie de plaisanter. Je crois que ce n'est pas le bon moment pour ça, remarque-t-elle d'un rire.
— Non, pas vraiment. Mais tu pourras me taquiner tout le reste de la journée si tu... Bon, peut-être pas. J'ai mon professeur d'anglais de treize à quinze heures, puis Mia de seize à dix-sept heures trente, sans oublier ma psy entre les deux. Et je vais sûrement bosser tout le reste de la soirée en vidéo avec Drew pour notre exposé d'Histoire.
— Tu as un agenda de ministre. Tu es presque plus occupée que moi.
Lilianna est déçue et triste. Il est vrai qu'entre le lycée, mon rendez-vous chez la psychologue, mes professeurs particuliers et mes nombreux devoirs, exposés ou leçons à apprendre, je ne suis pas très présente pour elle. À vrai dire, je passe surtout du temps avec elle que le dimanche. Elle m'apprend à monter à cheval tandis que je lui fais découvrir mes musiques préférées. Le soir, après le dîner, on s'octroie une ou deux heures pour regarder un film ou une série, si tout ce que j'avais à faire pour le lycée est terminé. Depuis le retour du bon temps, on passe également beaucoup de temps à se promener dans le parc du palais avec Duchesse qui court un peu partout avant de revenir avec la langue pendante.
Je trouve que ce n'est pas suffisant. J'aimerais pouvoir passer plus de temps avec elle, j'aimerais devenir la grande sœur à qui elle se confie. J'aimerais pouvoir l'aider. La rassurer. L'aider à aller mieux. Elle n'a jamais parlé de la méchanceté qu'elle a subie à l'école, mais je sais que ça laisse des traces, que ça a des conséquences. La déscolarisation, déjà, vu qu'elle étudie à la maison désormais. Des difficultés à se sociabiliser... je n'ai d'ailleurs pas connaissance de l'existence ou non de ses amis. En a-t-elle en dehors des membres de la famille ?
Lilianna me ramène à la réalité d'un petit coup de main sur l'épaule. Je redresse la tête avant de porter mon regard sur ce qui se passe de l'autre côté de la vitre teintée. Nous venons d'arriver devant un bâtiment où une vingtaine de personnes nous attendent sur le perron. Sur les côtés, il y a des petites foules de personnes qui, pour la plupart, tiennent des appareils photo. D'autres ont un quelque chose de plus imposant sur leur épaule : une grosse caméra. Quant à ceux qui n'ont rien dans les mains, je comprends vite qu'il s'agit de journalistes espérant pouvoir nous parler.
— Tout ce que tu auras à faire, c'est de suivre papa dans ses gestes et ses pas, me rappelle-t-elle. Et moi, je serai derrière toi. Laisse-toi guider.
Je hoche la tête. Nous avons eu au moins cinq fois cette discussion sur la procédure, sur le protocole, sur les informations à connaître. Je sais ce que je dois faire, c'est juste... plus compliqué quand une foule de personnes regarde le moindre fait et geste. C'est très stressant et ça peut faire ressortir ma maladresse.
Je porte mon regard sur la voiture de devant. Le garde du corps de la Reine a sa main sur la poignée de la portière. Quelques secondes me séparent désormais de ce moment tant redouté. Je détache ma ceinture alors que j'aperçois ma mère sortir et saluer les journalistes d'un petit geste de la main. Mon père la suit à deux ou trois pas de distance. Tout est encore silencieux dans l'habitacle du véhicule, mais les voix se font entendre quand ma propre portière s'ouvre sur le monde.
Je prends une profonde respiration avant de me laisser glisser vers l'extérieur et de poser le premier pied sur l'asphalte de la rue. C'est celui que je pensais être le plus compliqué, mais le deuxième l'est tout autant. J'ai l'impression d'être lourde, de traîner des boulets. J'essaie de me raccrocher à quelque chose afin de ne pas prendre mes jambes à mon cou et c'est le regard de mon père qui permet d'être forte. Un regard serein au premier coup d'œil, dont la peine et le courage deviennent plus visibles lorsqu'on le connaît.
Je souris. C'est ce que grand-mère m'a supplié de ne pas oublier et je ne veux pas la décevoir. C'est un bout de femme très surprenante et haut-en couleur, cachée derrière une Reine-Mère tout en respect et en gentillesse. C'est à elle que je pense quand je rejoins nos parents, Lilianna sur mes pas. Comme convenu, nous posons pour les photographes, telle une famille presque soudée. Il y a une tâche au tableau, une tâche qui n'est même pas présente et qui obscurcit ce jour.
La lumière des flashs est presque aussi oppressante que les nombreuses voix qui remplissent l'espace et ma tête. J'arrive à peine à discerner un seul petit mot dans cet amas de sons. Heureusement, je n'ai pas à leur faire face bien longtemps quand la Reine décide de les remercier et de s'éloigner en direction du comité d'accueil du refuge. Je talonne mon père, comme si j'avais peur de me perdre ou d'être happée par toute cette attention. Je jette un coup d'œil derrière moi et apercevoir Phoebe à moins de deux mètres de moi m'aide beaucoup à me sentir en sécurité.
Je suis présentée à une bonne dizaine de personnes, dont les noms me sont murmurés par une jeune femme qui travaille pour le cabinet de la Reine. Une secrétaire privée, je crois que c'est ainsi que se nomme son poste. Tous les regards sont tournés vers moi et je sens bien que j'éveille leur curiosité. Je suis un vrai petit miracle. C'est ce que ne cesse de me répéter grand-mère Lucie.
Mon cœur paraît moins oppressé lorsque nous entrons enfin dans la bâtisse. Il reste deux ou trois photographes pour couvrir l'événement, mais c'est avec tellement plus de légèreté que j'arrive à avancer, Lilianna à mes côtés. Son sourire malicieux s'agrandit à chacun de ses pas. J'espère que nos parents vont bien prendre le fait qu'elle ait tout manigancé.
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