
14
Lise
Il n'y a qu'un mur et une vitre entre eux et moi. Je me tiens derrière le faux miroir. Elle n'est pas bête, elle sait qu'elle est surveillée, mais elle ignore que je suis là, juste à quelques mètres, à l'observer. S'attend-elle à me voir ? Certainement pas. J'appréhende sa réaction, comme j'appréhende la mienne. J'ignore quels seront mes premiers mots ou le sentiment qui m'animera en premier. J'ai peur de m'enfuir de la pièce. Peur de me mettre à pleurer et de lui montrer tout le mal qu'elle m'a fait. Je veux être forte, mais je ne peux être invincible et totalement dénuée d'émotions.
— Un geste de la main et nous sortons, me rappelle-t-il son regard posé sur moi.
Il redoute les prochaines minutes et c'est compréhensible.
— Souhaitez-vous vraiment commencer par elle ?
Je perçois une certaine crainte dans sa voix. Comme si lui était préférable.
— Pourquoi cette question ? je l'interroge avec curiosité.
— Disons qu'il s'est montré beaucoup plus... ouvert qu'elle cette dernière semaine. Je pense que vous risquez de perdre votre temps et votre énergie avec elle.
— Vous avez sûrement raison, mais si elle est plus froide, c'est par elle que je dois commencer. Je ne pense pas avoir la force suffisante de la voir si je commence par lui.
— Comme vous voulez, mademoiselle.
— Bien... Je crois qu'il est temps d'y aller, fais-je savoir à la sécurité.
L'homme en question, chargé de surveiller la cellule durant ses heures de travail, laisse glisser une carte magnétique à travers la fente située juste à côté de la porte. Cette dernière émet un bruit tandis qu'Aiden l'ouvre. J'aperçois, grâce au miroir, la tête blasée d'une femme persuadée de faire à nouveau face à un agent des renseignements. Ses traits laissent apparaître un soupçon de surprise lorsque je fais mes premiers pas dans la pièce. Néanmoins, ils se durcissent en un rien de temps, laissant apparaître la femme froide que j'ai quittée vendredi dernier. Derrière moi, la porte se ferme tandis qu'Aiden prend place dans un coin de la pièce, attentif. Je lui lance un regard furtif, inquiète.
— Quelle surprise, laisse-t-elle échapper d'un ton ironique.
Je n'ai pas peur. Non, je suis plutôt en colère et à deux doigts de lui mettre mon poing dans son visage. Je ne le fais évidemment pas, cela ne me servira à rien et provoquera plus de mal que de bien.
— Que me vaut cet honneur ? poursuit-elle avec dédain. J'ignorais que les visites familiales étaient autorisées.
— Vous n'êtes pas ma famille.
— C'est moi qui t'ai éduquée, me rappelle-t-elle, amusée.
— Oh, vous voulez dire, après m'avoir kidnappée ? Vous m'avez enlevée à ma famille et m'avez menti pendant plus de seize ans. Ce n'est pas ça, une famille ! protesté-je avec rage.
— Crois-moi, ta vie aurait été plus heureuse si tu l'avais poursuivie avec nous qu'avec eux. Les princesses de contes de fées, ça n'existe pas dans la vraie vie.
— Ce n'était pas à vous de savoir où j'allais être la plus heureuse. De toute façon, la question n'est pas là. Ce n'est pas ça qui vous importait lorsque vous m'avez enlevée. Alors, évitez de parler de mon bonheur, de ma santé ou que sais-je pour... pour quoi déjà ? Rendre vos actes plus louables ?
— Bon, qu'est-ce que tu veux ? Que je te dise à quel point je regrette ? suppose-t-elle en riant. Devine quoi, ça n'arrivera pas ? Si c'était le cas, je t'aurais déjà rendue.
— Rendue ? Je n'ai été qu'un objet pour vous c'est ça ? Est-ce que vous m'avez aimée un tant soit peu ?
— Un minimum, sinon je n'aurais sûrement jamais pu supporter tes pleurs et tes crises d'enfant.
— Vous êtes un monstre...
— Oh non chérie, le monstre est celle qui aurait dû t'éduquer. Le monstre, c'est celle qui a fait tuer mon fiancé en agissant stupidement. Les monstres, ce sont ceux qui pensent qu'ils sont au-dessus de tout et peuvent tout faire sans que rien, ni personne ne puisse les arrêter. Mais c'est faux, ils ne sont pas indestructibles.
Je jette un œil à Aiden Sutton et, d'un geste de la main, je lui fais comprendre que j'en ai assez entendu.
— Oh, c'est déjà tout ? C'est dommage, je commençais seulement à apprécier votre présence. On se voit la semaine prochaine pour la visite ? À la même heure ?
— Non. Jamais plus je ne reviendrais. Je ne veux plus vous voir. Je me suis trompée, vous n'êtes pas un monstre. Je crois que la perte de votre fiancée vous a rendue folle. Vous n'êtes qu'une tarée.
Je fais volte-face et m'approche de la porte, ouverte par l'homme de la sécurité.
— Vous ne le retrouverez jamais, annonce-t-elle très calmement.
Je me tourne vers elle, sans trop comprendre de quoi, ou plutôt de qui, elle parle. Je remarque qu'un duel du regard s'est installé entre elle et Sutton. Immédiatement, je devine où elle veut en venir.
— C'est ce que nous verrons, madame Dufresne. Passez un excellent séjour en prison.
Sutton dépose sa main dans mon dos, me conviant à quitter la pièce comme j'en avais l'intention. Une fois sortie, je m'appuie au mur, complètement épuisée par un échange des plus brefs. Combien de temps suis-je restée dans cette salle ? Trois minutes peut-être ?
C'est déjà bien, je pensais m'effondrer au premier mot...
— Est-ce que ça va, mademoiselle ?
— Oui... Enfin, j'aurais voulu être capable de lui poser d'autres questions. Je suis désolée, monsieur Sutton.
— Ne vous excusez pas. Elle ne nous aurait rien dit de toute manière.
— Vous pensez que j'aurai plus de chance avec lui ?
— Très probablement. Il a montré des signes de regrets, en comparaison d'elle. Ce n'est pas forcément grand-chose, mais c'est déjà mieux que son comportement hautain et froid.
— J'espérais... Je ne sais pas, des excuses ? Des regrets ? Quelque chose d'humain ? Cette femme, assise dans cette pièce... Ce n'est pas celle qui m'a élevée. Comment les gens peuvent-ils changer de visage aussi vite ? J'ai vraiment du mal à saisir comment c'est possible.
— J'aimerais trouver les réponses à vos questions, mais je ne comprends pas moi-même comment c'est possible. Jouer un rôle pendant seize ans, ça me paraît assez dingue. Chaque personne est différente et a des capacités différentes.
— Certains semblent plus doués pour mentir, commenté-je en m'approchant de la vitre.
— Mais les mensonges finissent toujours par être révélés, d'une manière ou d'une autre.
— Pas assez vite, malheureusement.
Nous partageons un sourire triste, avant que je ne fasse quelques pas pour m'approcher d'une autre vite donnant dans une pièce adjacente à celle où elle se trouve. Clive Gordon est là, également assis sur l'une des deux chaises. Ses traits n'ont rien à voir avec ceux de ma fausse mère. On y discerne une grande fatigue, physique comme mental, et tout un tas d'émotions allant de la tristesse à la peur. C'est en tout cas mon ressenti, mais je peux me tromper.
— Si vous voulez, vous pouvez prendre une pause afin de...
— Pas de pause, l'arrêté-je aussitôt. J'y vais tout de suite. Plus vite je rentre dans cette salle, plus vite je me débarrasse de cette tâche. Vous pouvez ouvrir, ajouté-je à l'autre homme.
Il n'attend pas une seconde de plus avant de débloquer la porte de cette deuxième pièce. Je vois dans le regard de Sutton plus d'inquiétude que la première fois. Est-ce dû à ma précipitation ou au prisonnier à l'intérieur ? Je n'ai guère le temps de lui demander que, déjà, je me retrouve face à mon prétendu père, les bras croisés et le regard froid. L'étonnement le fait lever de sa chaise d'un mouvement spontané. Il tente d'ailleurs de la contourner, mais les menottes qui lui emprisonnent les mains sont attachées et l'empêchent de bouger comme il le souhaite.
— Oh Lise ! s'exclame-t-il avec tristesse. Ma Lise, je suis tellement désolé. Pardonne-moi...
L'homme se met à pleurer tandis que je me concentre pour garder la tête froide. Ses larmes ne doivent pas me toucher, c'est encore une ruse, un mensonge.
— Vous pardonnez ? Pour quoi ? M'avoir kidnappée ? M'avoir menti toutes ces années ? M'avoir éduquée comme votre fille alors que je ne le suis clairement pas. Je crois qu'il faudrait préciser, monsieur Gordon.
— Je... Je ne voulais pas, tente-t-il d'expliquer avec difficulté. Je ne voulais pas...
— Encore une fois, il va falloir préciser, répété-je froidement. Il serait étonnant que vous vous soyez retrouvé dans toute cette histoire sans l'avoir voulu. Ai-je tort ?
— No.. Non, répond-il en sanglotant.
— Alors qu'est-ce que vous ne vouliez pas ?
— Tout ce qui s'est passé après. J'ai tout regretté à la minute où nous t'avons enlevée.
— Et pourquoi n'avoir jamais rien dit ?
— Si je faisais la moindre tentative, elle m'aurait tué. Mort, je ne pouvais pas assurer ta sécurité.
— Ma sécurité ? éclaté-je de rire avant de hausser la voix, non, mais vous vous entendez ? Vous pensez me faire croire que vous tenez à moi ?
— Je t'aime Lise, je t'aime comme un père aime sa fille.
— Fermez-la ! crié-je en m'approchant. Je ne suis pas votre fille, vous entendez ? Vous n'êtes pas mon père et vous ne le serez jamais. Vous m'avez éloignée de mon vrai père, de ma vraie mère et de toute ma famille. Vous l'avez détruite. Vous avez détruit ma vie, alors je vous interdis de faire passer vos actes comme de la charité ou de l'amour, car ça n'en est rien. Je n'ai plus rien désormais. Vous m'avez tout pris. Tout pris, dis-je à nouveau avec la gorge nouée. Vous n'êtes qu'un salopard.
Je pensais pouvoir faire face, mais c'est beaucoup trop pour moi. Entre la froideur de la femme et les fausses excuses d'un homme en pleurs, ça suffit. Je me tourne vers Sutton et le rejoins en quelques pas. Prête à sortir, sa voix m'arrête aussitôt.
— Je ferai tout ce qu'il faut pour que tu me pardonnes.
Mon regard croise celui de mon protecteur, une idée me traversant l'esprit et une étincelle d'espoir nait dans ses yeux. Je ne suis pas venue pour ça et j'ai même envie de sortir de la pièce, mais c'est trop beau pour ne pas saisir l'occasion en plein vol. Si ça peut aider, ne serait-ce qu'une personne, je me dois d'y retourner.
— Tout ? Vraiment tout ?
— Tout ce que je peux faire, je le ferai, m'assure-t-il.
Il hoche la tête à plusieurs reprises, frénétiquement, tel un animal apeuré.
— Où se trouve l'ancien chef de la sécurité de la famille royale ? le questionné-je avec dégoût.
— Je... Je ne sais pas. Nos chemins ne se sont plus recroisés depuis ce fameux jour et Miranda ne m'a jamais fait confiance après que je lui aie fait part de mes doutes.
— Alors vous ne pouvez rien faire.
— Je t'en prie, je ferai tout pour que tu puisses me pardonner Lise.
— Il y a des choses qui sont impardonnables, monsieur Gordon. Kidnapper un bébé et se faire passer pour son père font partie de cette liste. Vous êtes vraiment idiot si vous pensez qu'on peut pardonner une telle chose. Qu'est-ce que vous aviez dit à madame Dufresne en sortant de sa cellule monsieur Sutton ? Ah oui, je m'en souviens. Passez un excellent séjour en prison, monsieur Gordon.
Nous sortons à nouveau, nous retrouvant dans le couloir où le directeur des renseignements et la sous-directrice nous ont rejoints.
— Comment allez-vous, mademoiselle Lise ? s'inquiète monsieur Oliver.
— Je crois que ça va... ou que ça ira. Je n'en sais trop rien. Je suis désolée, je n'ai pas eu le courage de leur soutirer des informations, monsieur Oliver.
— Ne vous préoccupez pas de ça, mademoiselle. Ce n'était pas à vous de vous en charger, mais à nous. Pouvons-nous faire autre chose pour vous ?
— Non, je vous remercie. Je crois que... qu'il serait préférable que nous rentrions au palais, n'est-ce pas monsieur Sutton ?
— Excellente idée, approuve-t-il d'un signe de tête.
— Je vous remercie d'avoir accepté. Je sais que ça ne donne pas cette impression, mais ça m'a, en quelque sorte, aidée. Enfin, je crois. C'est encore un peu flou dans ma tête, c'est trop présent.
— Nous espérons que ce soit le cas.
— Allons-y monsieur Sutton, je lui fais savoir, fatiguée.
Nous empruntons le chemin inverse, je suis Sutton tandis que nous retrouvons Thomas et Toby au détour d'un couloir. Mon cœur se serre dans ma poitrine un peu plus à chaque pas et la situation empire les quelques secondes où nous nous retrouvons dans l'ascenseur. Les espaces confinés, dans un moment pareil, ce n'est pas la meilleure des solutions. Dès que les portes s'ouvrent, je m'avance aussitôt pour en sortir, mais je suis stoppée par la carrure imposante de Sutton. C'est vrai, je ne peux pas marcher devant lui, il doit sécuriser la zone, s'assurer que personne ne va me sauter dessus. Il cale les portes tandis que ses subordonnés rejoignent le parking, Thomas s'occupant de l'observation des lieux et Toby, de la voiture. Lorsque tout est au feu vert, je passe de l'ascenseur à la banquette arrière en quelques pas. Je ferme les yeux, tentant de respirer le plus calmement possible pour apaiser la douleur qui oppresse mon cœur.
— Que puis-je faire ? me questionne Sutton avec le regard inquiet.
— Rien, ça passera... Tout passera, j'imagine.
— Avez-vous déjà eu des problèmes de santé auparavant ?
— Non, ce n'est pas ça, c'est juste la situation. Je n'aurais plus rien dans quelques heures, j'en suis persuadée.
Sutton n'est pas spécialement convaincu par mes propos, mais ne rétorque rien. Il sait que j'ai déjà eu assez d'émotions pour la journée, assez d'interactions. Si bien que, lorsque nous arrivons au palais, je me fais raccompagner jusque dans ma chambre, dans un silence. Je le brise néanmoins, avec étonnement de sa part comme de la mienne.
— Pourriez-vous me prévenir lorsque le prince Ernest arrivera ?
— Bien entendu... Souhaitez-vous parler à Leurs Majestés à ce sujet ?
— Demain, le plus tôt possible, et avant qu'il ne soit là.
— Très bien, mademoiselle. Passez une bonne nuit.
— Vous aussi Sutton.
J'entre dans la chambre où une douce odeur me parvient. Sur la table ronde, non loin de la chaise, je distingue une assiette où une cloche renferme un repas que j'avais un peu zappé. Presque aussitôt, mon ventre émet quelques bruits et je m'approche sans trop tarder. Je suis épuisée, mais j'ai surtout faim. Je découvre des frites et un hamburger fait maison. Cela peut paraître ridicule, mais ça me met du baume au cœur. Le premier croc fait disparaître les douleurs que j'avais. Le dernier me plonge un peu plus dans un état de somnolence. Je retrouve péniblement le lit, sans avoir la force de me déshabiller. Je m'endors quelques minutes après.
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