Chapitre 60

Norbert regardait le repas fastueux sur la grande table sans y prendre part.

– Tu n'as pas faim ? s'étonna Tayor en prenant juste devant lui une tranche de lard.

– Tu devrais essayer le Filet mignon aux champignons, il est délicieux, ajouta Jacob en engloutissant une partie de son assiette.

– Un peu de jambon ? proposa Kamil.

– Laissez-le tranquille, vous voyez bien qu'il n'a pas faim, protesta July.

Le jeune sorcier ne faisait pas vraiment attention à ses camarades ni à la dispute futile qui en ressortit. Il était simplement focalisé sur les plats composés de porc qui lui faisait face. Il n'avait pas encore pu en parler à Leta, et il voulait le faire avant qu'elle n'aille dans sa salle de classe. Il aurait bien voulu se lever maintenant, mais il avait compris qu'il était impoli de quitter la table quand tout le monde n'avait pas fini. Son père lui n'avait de cesse de lui rappeler cette règle chez lui. À son arrivée à Poudlard, il avait respecté cette norme. Attendant des dizaines de minutes que les derniers élèves quittent la table. Leta lui avait appris qu'il ne devait pas suivre ce précepte au château et qu'il pouvait se lever quand il le voulait. Mais le Poufsouffle n'arrivait pas suivre cette nouvelle coutume. Son ami lui expliqua alors qu'il pouvait quitter sa table quand un autre étudiant en avait fait de même préalablement. Ce concept avait séduit Norbert, et il l'utilisait maintenant. Quand Modesty Aberdeen se leva, il en fit de même. Après un signe discret à son amie assise à la table des Serpentard, il alla rejoindre leur alcôve habituelle.

– Tu as mangé rapidement, s'étonna Leta en le rejoignant quelques minutes plus tard.

– Je n'ai pas mangé.

– Ah, quelque chose te tracasse ?

Norbert lui expliqua alors ce qu'il avait vu et la discussion avec Le Moine Gras qui n'avait pas pu répondre à ses questions.

– Il y a deux semaines la Dame Grise nous parle du rêve de sa mère qui a vu un cochon verruqueux la conduire jusqu'aux falaises des Highlands et maintenant tu vois un fantôme de cochon ? Je doute que ce soit une coïncidence !

– On est d'accord.

– Donc ce cochon serait le fantôme de celui qui a guidé Rowena Serdaigle ?

– Je suppose.

– Et il est de mèche avec Galatea Têtenjoy !

– Elle est peut-être possédée ? supputa Norbert.

– Une prof de Défense contre les forces du Mal possédée ? Ça serait un comble. Quoi qu'il en soit, ça nous prouve qu'il y a un lien entre le cochon, le démon et la création de Poudlard ! C'était le plan du Démon depuis le début !

– Peut-être que le Démon voulait simplement faire venir Rowena Serdaigle et qu'il ne s'attendait pas à ce que cette dernière décide de fonder une école ?

– Où alors, reprit Leta en faisant les cent pas devant son ami, il avait tout calculé. Il souhaitait faire de Poudlard son vivier de magie, mais les 4 fondateurs l'ont vu venir et l'ont capturé avant qu'il mette son plan à exécution !

– Dans tes hypothèses, le Démon a forcément de mauvaises intentions, releva le rouquin.

– C'est un démon !

– Un démon est forcément mauvais ?

Leta se retourna vers lui et le dévisageait. Tous deux étaient si différents. La Serpentard, la peau sombre, les lèvres pleines, le regard direct. Le Poufsouffle, la peau pâle, parfois maladive, parsemée de taches de son, les lèvres fines, le regard fuyant. Chacun enviait ce que l'autre considérait comme des défauts.

– Je ne sais pas, finit par avouer la jeune fille.

– Peut-on imaginer que le Démon s'ennuyait et qu'il voulait avoir du monde autour de lui ? Mais les fondateurs ont détruit ses cromlechs et l'ont enfermé dans un livre.

– Ta version est à la fois belle, candide et horrible, révéla Leta, plantée devant son ami, les yeux fermés en train d'imaginer la scène.

– C'est une possibilité que nous ne pouvons pas ignorer, rajouta Norbert qui croyait dur comme fer à sa proposition.

– C'est vrai, mais dans ce cas nous devons aussi imaginer que le démon, maintenant libre, cherche à se venger des sorciers.

– Mais nous pouvons peut-être apaiser sa colère ?

– Comment ?!

Norbert Dragonneau ne répondit rien. Il ne savait pas... Des bruits de pas résonnaient tout autour d'eux, il était temps pour la jeune fille d'aller en cours.

– Je vais en cours de Défense, je vais profiter pour observer Têtenjoy, on reparle de tout ça ce soir autour du Clavicorde ?

Le garçon acquiesça. Entre jouer son amie lui faisait toujours du bien. En attendant, il voulait profiter de son après-midi de libre pour aller parler à Méridia.

Impossible de rejoindre la crypte du hall d'entrée, trop de monde se trouvait dans la zone et Peeves ne se trouvait pas dans le coin pour faire diversion. Norbert décida alors d'accéder à son amie par une autre possibilité : les berges du lac Noir.

Il marcha une bonne heure avant de s'approcher de l'eau miroitante. Il espéra secrètement ne pas se faire enlever par les Strangulots cette fois. Depuis ce kidnapping, il ne s'était plus approché si près des plages d'herbes du lac.

Norbert n'entra pas dans l'eau, il faisait encore froid en ce mois de mai. Il se contenta de sortir sa conque et se pencha jusqu'à pénétrer la surface pour souffler dans le coquillage. Il se recula ensuite et s'assit au bord d'un saule pleureur. Le garçon espérait que ses longues branches tombantes le protégeraient des regards indiscrets.

– Tu voulais me voir ? interrogea la Selkie en sortant à moitié du lac.

Les grands yeux jaunes de Méridia capturèrent le regard du Poufsouffle. Les lianes du saule se mélangeaient avec la chevelure hétéroclite de l'être de l'eau. Les épines dorsales de la Selkie étaient dressées et frétillaient sous le regard subjugué de Norbert. Si son esprit n'était pas ailleurs, il aurait aimé sortir son carnet de dessin pour croquer cette créature fantastique.

– J'ai besoin de ton aide pour y voir plus clair, expliqua-t-il.

– Parle, je t'écoute.