Le bocal à mensonges
Lors de son escapade à Strasbourg, elle ne fit qu'amplifier sa démonstration d'émotivité. Son comportement affectueux surpassait même celui qu'elle avait aux premières semaines de notre relation, ce qui me fit prendre conscience du degré d'authenticité de ce qu'elle exprimait à mon égard.
***
« La distance accroît le manque ? Ricane Seth.
J'esquisse un bref sourire.
— Je ne sais pas ce qui ne tournait pas rond chez elle, rétorqué-je, mais elle devait bien se douter qu'il fallait faire quelque chose pour que j'arrête de lui résister.
— Elle a sûrement dû se rendre compte qu'elle pouvait réellement te perdre, songe-t-il.
— Dans l'optique qu'elle m'aimait réellement, répondé-je froidement, ou celle de perdre la main mise sur un imbécile complètement acquis qu'elle pouvait manipuler par les sentiments ?
Seth se terre un bref instant dans le silence. Je comprend son raisonnement mais, compte tenu de l'histoire et de ce que je sais de cette jeune femme, la première option est difficile à croire.
— Tu penses réellement qu'elle est revenue vers toi juste pour pouvoir à nouveau se foutre de toi ? Demande-t-il suspicieux.
— Bien sûr que oui, M'esclaffé-je, c'est précisément ce qu'il s'est produit ! »
***
A plus de onze cent kilomètres de là, Clélia semblait ressentir le manque comme quelqu'un victime d'un excès d'émotion, ou comme un dépendant aux drogues exempt de sa consommation. Être si loin du Sud Ouest, si loin de moi, semblait lui faire prendre conscience de ses sentiments.
« Je sais vraiment pas comment je vais faire quand je vais venir habiter ici, disait-elle une nuit d'insomnie, tu me manques de trop. »
Malgré des courtes nuits, rythmées par des insomnies et des épisodes caniculaires étouffants, Clélia fit sa visite de la capitale Européenne et trouva un petit appartement proche de sa nouvelle école. L'ami qui l'accompagnait avait quelques connaissances sur place et il trouva rapidement, lui aussi, son logement. Clélia ne pouvait pas directement déménager dans son nouvel appartement, à l'inverse de son acolyte, à cause d'une longueur de négociations. Bientôt, la perspective d'un voyage entre le Sud Ouest et l'Alsace se profilerait.
Deux circonstances commencèrent dès ce moment-là à se battre en duel. J'en pris conscience très rapidement et l'une ou l'autre nous aurait mené sur des chemins bien différents.
La première, la plus évidente, était l'imminence du départ de Clélia pour le Nord-Est, sa nouvelle vie loin de tout, qui allait tout bouleverser. La seconde, celle d'une Clélia semblant se repentir de ses quelques malversations à mon encontre, de ses erreurs, de son égoïsme notoire. Il fallait alors choisir entre laisser la jeune femme partir et mettre un terme à toute cette histoire, ou bien poursuivre dans l'inconnu avec quelqu'un semblant se rendre compte de ce qu'elle peut perdre à cause de ses erreurs.
Accepter de lui reparler était un premier pas vers un retour de ma part. Malgré notre entrevue et ce qu'elle avait pu dire depuis, mon recul était assez conséquent pour éviter de replonger tête baissée. Un recul qui me donna l'illusion de pouvoir désormais contrôler chaque situation, y compris celle de retrouver les bras de Clélia. Alors, lorsque celle-ci s'engagea dans des discours qui lui étaient inhabituels, faisant toute la démonstration d'un ressenti débordant d'affection et de sentimentalisme, ma stupéfaction se mêla à ma curiosité.
Son affection grandissante et sa ténacité à vouloir me récupérer me firent réfléchir pendant tout le déroulé de son voyage en terres Alsaciennes. Agir ainsi lui permit de détruire une par une les barrières que j'avais alors mises en place entre elle et moi pour ne pas replonger. Elle réussissait à me persuader de sa repentance et, ne doutant pas de la sincérité de ses gestes, je la crus.
A son retour dans le Sud, nous nous retrouvâmes aux abords du phare de Biarritz. Assis sur un banc circulaire en pierre, nous admirions la vue qui s'offrait à nous au crépuscule tombant. De toutes les choses que nous avions faits ce soir-là, poser à nouveau mes yeux sur une Clélia en chair et en os termina de détruire la dernière barrière qui freinait notre réconciliation.
***
Je m'assied au fond du banc et fixe l'horizon sans montrer aucune émotion, le visage exempt de toute expression.
« On en est à la connerie numéro combien ? Commente soudainement Seth pour briser le silence.
— Aucune idée, répondé-je sobrement, mais celle-ci était de taille. Sur le moment, je me refusais à croire que je me trompais, tu vois. Elle était vraiment démonstrative, autant que moi, ce qui ne lui ressemblait pas ! Avec tout ce qu'elle me montrait, j'avais vraiment l'impression qu'elle avait pris conscience de ses erreurs et qu'elle avait eu un déclic.
— Cela peut se comprendre, admet Seth. Elle t'as convaincu avec des gestes qui paraissaient sincères.
— Je me berçais d'illusions une nouvelle fois.
— Qu'en a pensé tout le monde ? Demande-t-il en s'imaginant la réponse.
Je souris ironiquement en soufflant du nez.
— Je risquais ma vie si je leur apprenait la nouvelle », admets-je ironisant.
***
Car, au bout de ces échauffourées rocambolesques depuis notre rencontre, il était clair que Clélia n'était plus très appréciée de mon entourage. La première personne à devoir rester dans l'ignorance n'était autre que mon propre père, qui lui vouait désormais une certaine haine. Mon état déplorable suite à la multitude de péripéties avait largement contribué à cela. Il était pleinement convaincu que Clélia jouait avec moi.
Ainsi, milles excuses furent échafaudées pour justifier mes nombreuses sorties, sans éveiller quelque soupçon que ce soit sur mes fréquentations. Ce petit jeu ne dura néanmoins pas longtemps, tout comme le caractère ravisé de Clélia.
Totalement acquis à ses repentances et persuadé de la sincérité de ses démonstrations sentimentales, je ne pouvais plus croire ni à un revirement de situation ni au retour de l'égoïsme notoire de la jeune femme. Pourtant, malgré son retour et tout ses beaux discours, le naturel revenait petit à petit au galop. Mêlé entre son désir de s'accrocher et son sens aigu du malmenage, son comportement devenait ambiguë mais néanmoins stabilisé par l'approche de son départ.
Mes proches finirent bien évidemment par apprendre la nouvelle. La plupart de mes amis avaient un avis mitigé sur la question, souhaitant mon bonheur mais aussi une certaine prudence de ma part. Il était facile de les persuader que je savais ce que je faisais, en dépit du fait que je mentais. À eux, comme à moi-même.
Lorsqu'il fut le tour de Gaëlle et de mon père, les réactions se firent un peu plus virulentes. Tous deux s'entendaient à merveille et, sur cette histoire, leur entente ne pouvait pas mieux se porter. Mon père ne mâchait pas ses mots lorsqu'il s'agissait de dire ce qu'il pensait de Clélia.
« Elle te jette comme un déchet, disait-il, et quand elle revient vers toi comme une fleur, tu y retourne tête baissée !
– Elle a changé, lui répondais-je dans l'optique de défendre ma dulcinée. Clélia a appris de ses erreurs, elle m'a montré ce qu'elle ressent, chose qu'elle a pas l'habitude de faire ! Elle est sincère.
– T'es entrain de te faire berner ! S'insurgeait-il de plus bel. T'es beaucoup trop amoureux pour t'en rendre compte mais je te le dis, je la sens pas, elle va se foutre de toi jusqu'à ne plus avoir besoin de toi. »
Entendre ce genre de parole venant de mon propre père était très douloureux. De ce fait, le sujet fut, par la suite, habilement esquivé. Il n'avait pas pour habitude de se tromper et, si il ne sentait pas une personne, il y avait généralement une bonne raison. Dans la finalité, il avait toujours eu raison.
Un léger doute s'installa en moi. Il était suffisamment important pour me faire garder les pieds sur Terre, mais sans trop l'être pour me faire rompre. Persuadé d'avoir encore tout le recul nécessaire pour partir à n'importe quel moment, de ne plus être sous l'emprise de la jeune femme, je décidais alors de me laisser guider pour profiter, avec elle, des dernières semaines d'une vie normale.
Rapidement, je me rendis compte que le nouveau comportement de Clélia n'était que périodique. Petit à petit, mon recul s'effaça, mes sentiments reprirent le contrôle, mais c'était à l'instar des mauvaises manières de la jeune femme refaisant systématiquement surface.
Sur le compte du temps qu'il nous restait, nombre de disputes furent rapidement conclues voire évitées. Profiter de nos instants dans la joie et la bonne humeur était la priorité, ces dernières semaines de compagnie étaient trop courtes pour gâcher du temps précieux en disputes.
***
Seth rigole sournoisement.
« Quoi ? Demandé-je légèrement étonné.
— Elle tente de te reconquérir pendant des semaines sachant que t'es à deux doigts de tirer un trait, répond-il, et lorsqu'elle réussit enfin à te remettre le grappin dessus, elle recommence son comportement de merde ?
La situation était certes plus complexe sur le moment mais, avec le recul, et, en résumé..
— Oui, répondé-je sobrement. C'est à peu près ça.
Seth rit aux éclats.
— À ce moment-là, poursuis-je, elle avait beau retrouver un peu de son mauvais comportement, on passait tout de même de très bons moments. On allais au restaurant, on partait en balade, on sortait, quoi. On a vraiment passé beaucoup de temps ensemble.
— Au détriment de tes proches, rétorque Seth.
— Oui, avoué-je avec regret. Je ne m'en rendais pas compte. J'ai perdu des amis à cause du temps que je lui consacrait, et puis aussi pour la simple et bonne raison que je m'étais remis avec une personne qu'ils voyaient mauvaise.
— Avec tout ce qu'il se passait, tu n'as pas songé à partir ? Demande-t-il.
Je respire profondément. Soudainement, je repense aux conséquences de ce qu'il s'est passé dans les dernières semaines de notre relation empoisonnée.
— Oui et non. En fait, l'équilibre était contrebalancé à chaque fois. Des qu'un truc mauvais se produisait et que je pensais à agir, quelque chose de bien se produisait pour me faire changer d'avis. Parfois, je me persuadais même d'en faire trop, alors que je n'étais pas en tort. Je ne voulais pas perdre le temps qu'il nous restait.
— C'est difficile à suivre, admet Seth. De l'extérieur, c'est vraiment particulier. Mais j'imagine que le vivre, c'est pire.
J'acquiesce en remuant la tête de haut en bas.
— C'est dur, confirmé-je. Globalement, je ne peux pas dire que c'était terrible. Ça se passait bien. Des traits de son caractère refaisaient fréquemment surface, mais..
— Pas le temps pour les embrouilles, complète Seth. Tu l'as déjà dit. »
***
Le mois arriva finalement à son terme. Ces quelques semaines eurent l'effet, malgré les rebondissements, d'accroître mes sentiments à l'égard de Clélia. L'approche de son départ m'apeurait, comme une intuition de vivre nos derniers instants de vie commune avant un changement radical.
Nous eûmes l'occasion d'en parler à quelques jours de l'échéance. Irrémédiablement, sa décision de partir à Strasbourg plutôt qu'une ville bien plus proche me mettait en colère.
« Pourquoi il a fallut que tu décides de partir si loin, dis-je attristé par l'approche de son envol. J'arrive pas à me faire à l'idée de te perdre.
— Parce que tu crois que c'est facile pour moi de partir ? S'agaça-t-elle à l'entente de mes plaintes. Moi, je vais perdre mes amis, mes parents, ma famille, mon univers et mon copain ! Tu crois que je me fais à cette idée là ?
— Mais c'est toi qui l'a choisi ! M'esclaffai-je. C'est ton choix, pas le miens ! »
À la veille de son départ pour le Nord-Est, nous allâmes passer notre dernière soirée, dans un premier temps, dans mon restaurant préféré. Je n'avais jamais eu l'occasion d'y inviter une femme, ne jugeant jamais en avoir la parfaite occasion. Il s'agissait là d'un événement privilégié que seule Clélia semblait mériter.
Nous passâmes en revue nos beaux souvenirs, se promettant l'un à l'autre qu'il ne s'agissait pas de la fin mais d'une nouvelle étape. La jeune femme était inhabituellement attendrissante, sentant en fin de compte le grand départ approcher.
Alors que nous attendions le dessert, sur la terrasse du restaurant, admirant la vue panoramique donnant sur l'océan, Clélia choisit l'instant pour sortir quelque chose de son sac.
Cet objet, que je reconnu presque instantanément, me fit revenir au jour de notre première rencontre.
« Le fameux bocal, lançai-je en regardant la pièce de nostalgie.
Celui-ci était rempli de petits papiers de couleur bleu, jaune et orange.
— Oui, confirma-t-elle en souriant. L'objet grâce auquel on s'est rencontrés.
— Et les petits papiers ? Demandai-je en devinant la teneur.
— Pleins de petits mots doux à lire lorsque je serais loin de toi, mon chaton.
— Un bocal à mots doux » , m'extasiai-je.
***
« Le bocal à mensonges, devine Seth.
— Lui-même, confirmé-je. Une marque d'affection peu commune pour quelqu'un qui, en temps normal, ne montre pas ce qu'elle ressent ni ne s'implique vraiment dans une relation.
Je me lève, m'approchant des rambardes pour observer la vue. Seth me rejoint.
— C'était la fin, présume-t-il.
— La fin de son quotidien ici, corrigé-je, de sa vie dans le Sud. La fin de notre proximité mais également le début de notre fin à nous. »
***
La soirée se termina après avoir passé un peu de temps avec ses amis, des derniers moments pour cette joyeuse bande qui, dès le lendemain, se verrait séparée pour une durée indéterminée.
Clélia réalisa au dernier moment la réalité de ce qu'il se produisait. Son état d'esprit changea en conséquences. Au petit matin, celle qui ne montrait alors que rarement ses émotions ne pu les contenir lorsqu'il fut l'heure de dire au revoir à ses parents.
Cet état n'allait pas la quitter. La venue de Méline, pour l'accompagner à l'aéroport, lui apporta certes du soutien, mais ne suffit pas à calmer ses sanglots.
Pour la première fois je voyais des larmes sur son visage, des sanglots qui témoignaient de la réalité de son départ. Dans son dernier regard avant d'embarquer, je cru dur comme fer entrevoir une véritable douleur due à notre séparation. Je réalisais, plus tard, que ces larmes n'étaient pas pour moi, mais pour tout le reste.
Je quittais l'aéroport en sanglotant, réalisant moi aussi que notre vie commune s'arrêtait là. Sa nouvelle vie démarrait, loin d'ici, loin de ses proches, loin de moi. Son emménagement, prévu quelques semaines plus tard, allait permettre de nous retrouver. Dans l'attente de ce jour, son bocal trônait au milieu de mon bureau, désormais la seule chose qui pouvait me ramener à elle et ce qu'elle ressentait pour moi.
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