Prologue : Ne pas réveiller le dragon qui dort.
La vaste caverne naturellement creusée dans la roche fut le lieu dans lequel elle ouvrait les yeux pour la seconde fois. Le sol en pierre était toujours aussi froid contre sa joue et le mal de crâne bien présent. A nouveau Agathe se redressa et constata que les autres étaient encore là, comme lors de son premier réveil ici. Rien n'avait changé, ni la lumière uniforme qui provenait de nulle part et de partout, ni les quatre doubles portes closes faites de bois et de métal. Elle portait encore cet ensemble gris bardé de noir, une petite besace et ce bracelet de métal dont elle ignorait la provenance. Tout était similaire et aussi terrifiant que la première fois.
- Venez voir ! Cria quelqu'un en anglais.
Les individus se rapprochèrent du centre de la caverne. Ils étaient vingt, de six nationalités différentes d'après ce qu'ils avaient réussi à comprendre après leur premier réveil. Agathe avec ses seize ans était la plus jeune et la seule femme du groupe, Rich, un allemand de quatre-vingt-onze ans, en était le doyen. Rich ne marchait pas, paralysé depuis trente ans d'après ce qu'il avait réussi à baragouiner en anglais, deux hommes avaient la bonté de l'aider à se déplacer. Ils venaient de tous horizons et il leur avait été impossible de trouver un lien entre eux. Personne ne semblait connecté aux autres et ils ne s'étaient même jamais rencontrés. Peu avant leur premier réveil en ces lieux ils étaient dispersés aux quatre coins du globe, vivant leurs vies respectives, insouciants.
L'homme qui avait crié désigna un grand cadran de pierre monté sur un socle. Il y en avait déjà un précédemment, grand cadran surplombé de trois disques de pierre et dont chacun était gravé des dix chiffres écrits en chiffres arabes. Un trapèze de métal, un peu plus large que les chiffres, partait du centre du cadran jusqu'à son extrémité. Il englobait ainsi trois chiffres : 0,2,0. S'étant comptés, les prisonniers en avaient conclu qu'il s'agissait de leur nombre. Le fait que les disques puissent tourner était de mauvais augure mais pour l'instant aucune mort à déplorer. A vrai dire rien ne s'était passé après leur premier réveil. Ils avaient passé un temps relativement long, plusieurs heures s'ils en croyaient leurs estomacs, à explorer la caverne vide et silencieuse ainsi qu'à discuter entre eux. Il y avait bien eu un gong peu avant qu'ils ne se réveillent pour la seconde fois mais rien d'autre.
Ce nouveau cadran était différent du premier, pas par sa matière, car il était également fait de métal et de pierre, mais par les valeurs notées sur les disques, au nombre de quatre. Le plus proche du centre affichait dix chiffres, le suivant des nombres, allant de zéro à vingt-quatre, le troisième et le quatrième des valeurs entre zéro et soixante. Et encadrées étaient les valeurs 0, 6, 60,60.
- C'est un compte à rebours, déclara Ling, le second doyen après Rich.
Le vieux chinois, grand joueur de mah-jong, avait eu une longue carrière au sein du parti, respecté et admiré pour ses talents de stratège avant de profiter d'une retraite bien mérité sur les côtes de la mer de Chine. Les autres ne purent que parvenir à la même conclusion. Agathe était tourmentée, encore plus qu'à son réveil si c'était possible, mais elle n'osait pas demander pourquoi, si c'était un compte à rebours, il restait immobile. Le choc de l'arrivée dans ces lieux et la peur étaient encore bien présents et elle menaçait de fondre en larmes à chaque instant mais elle essayait de se contenir, les autres pouvaient être une menace.
Le gong résonna pour la seconde fois et lui apporta la réponse, le cadran se mit à tourner, mais plus important encore, les quatre doubles portes s'ouvrirent avec fracas. Elles donnaient toutes sur des couloirs sombres d'où provenaient des bruits sourds et peu rassurants différents. Le groupe se concerta pour savoir s'il fallait y aller ou rester. Les plus anciens comme Rich et Ling annoncèrent qu'ils ne bougeraient pas, trop vieux pour cela, mais trois hommes furent plus téméraires et décidèrent de partir en exploration. Ils choisirent la voie qui leur paraissait la moins dangereuse et s'y engouffrèrent. Les autres restèrent près des cadrans à étayer des théories concernant la raison de leur présence ici et le moyen de s'en échapper.
Agathe s'approcha d'un couloir, différent de celui emprunté par le groupe de courageux. Elle les admirait d'avoir eu le cran de bouger et regrettait de ne pas avoir pu faire de même, figée par la terreur. L'adolescente crut sentir des embruns marins monter du fond du couloir mais elle ne pouvait le jurer.
- Va voir !
Elle se retourna pour faire face à l'homme qui venait de lui hurler dessus mais les autres étaient loin et la voix lui avait paru toute proche. En plus d'être prisonnière elle devenait folle. Elle s'apprêta à revenir vers le semblant de sécurité qu'apportait le groupe lorsqu'elle l'entendit encore. La voix lui criait d'aller voir.
- Cela ne peut pas être pire, cela ne peut pas être pire, se répéta mentalement Agathe en s'engouffrant dans le couloir.
Si elle était restée quelques minutes de plus elle aurait vu le premier cadran basculer à 0,1,8. Deux morts.
Elle marcha quelques minutes dans le couloir sombre avant d'être aveuglée par une vive lumière bleutée et de déboucher sur un grand balcon de pierre. Elle se trouvait à flanc de falaise et devant elle s'étendait une longue passerelle, faite de plates-formes de pierres blanches. Plusieurs dizaines de mètres plus bas la mer se fracassait sur les rochers en une explosion d'écume. Aucune sortie par le bas n'était possible, pas d'escaliers, pas d'échelles, et l'escalade paraissait trop périlleuse. Elle observa le reste de l'environnement à son niveau, un peu partout se trouvaient de grands pics rocheux, certains étaient percés de petits tunnels, d'autres étaient reliés à des plates-formes. Ca et là de petits chemins serpentaient entre les rochers et le peu de végétation qui y poussait.
Agathe voulut faire demi-tour, son bracelet chauffait légèrement, mystérieusement, mais elle se heurta à un mur invisible lorsqu'elle voulut pénétrer à nouveau dans le tunnel. Le message était clair : pas de retour possible. Elle observa encore l'environnement avec attention, tout était calme et presque normal. Elle vit quelques oiseaux marins voler et même ce qui lui sembla être des lapins. Elle inspira un grand coup, serra les poings pour empêcher ses mains de trembler et mit un pied sur la première des plates-formes avec précaution.
Rien, pas le moindre bruit ni le moindre mouvement. Elle entreprit alors la traversée de la passerelle, lentement, doucement. Tout allait bien mais Agathe resta sur ses gardes, anxieuse, prête à n'importe quoi ou presque. Elle arriva sur un roc couvert de mousse et d'herbe, elle vit quatre coffres. Elle hésita un instant et scruta les objets à la recherche d'un dispositif piégé, sans succès. Elle se résolut à ouvrir le plus gros et y découvrit un monceau de pièces d'or. Certaines étaient rondes mais la plupart étaient des polygones, triangles, carrés, hexagones, même octogones. Il n'y avait pas de valeurs gravées mais le même symbole sur toutes les pièces. Un vieux symbole qu'elle ne pouvait identifier et à vrai dire elle s'en moquait. Elle ouvrit le second coffre et y découvrit également de l'or, des pièces dont elle compta dix arêtes, uniquement des décagones se trouvaient dans cette boîte. Elle contempla ces trésors qu'elle venait de découvrir, ne sachant trop quoi faire, puis fouilla dans sa besace et y dégotta deux petites bourses qu'elle remplit avec une partie du contenu des coffres avant de refermer ces derniers et de s'intéresser aux deux derniers.
- C'est une blague, dit-elle à voix haute. C'est une vaste blague ou alors un très mauvais rêve.
Elle ne regarderait plus jamais Robin des bois ou un quelconque film fantastique après cela. Sous ses yeux se trouvait un carquois rempli de flèches et elle était prête à parier que l'autre allait contenir un arc. La suite lui donna raison.
- Je nage en plein délire. Tout ceci est une immense hallucination. Dit elle en saisissant les armes qu'elle fixa sur son dos tout en songeant que ça ne lui servirait à rien car petite elle était une très mauvaise indienne lorsqu'ils jouaient aux cow-boys et aux indiens.
- Je finirai scalpée. Conclut-elle avant de reprendre sa route.
Elle marcha ainsi près d'une demi-heure avant d'arriver à ce qui parut être la destination finale. C'était un grand pic rocheux avec devant elle une petite zone plate sur laquelle était posé un autel. Agathe sentit son bracelet chauffer encore lorsqu'elle posa un pied sur le plateau avant de s'arrêter net, souffle court. Un ronflement venait de s'élever et elle ne tarda pas à en déterminer l'origine. Enroulé autour de la pierre, au dessus de l'autel, dormait un grand dragon. Elle ne l'avait pas vu de prime abord car il était de la couleur du roc, mais à présent elle ne pouvait le quitter des yeux.
Le moindre bruit pourrait le réveiller, et elle n'avait pas envie de mourir, mais alors pas du tout. L'idée lui vint que les armes trouvées étaient probablement placées là afin de lui permettre de combattre, à défaut de vaincre, le dragon, mais Agathe avait de forts doutes concernant ses capacités d'utilisation de l'arme. A vrai dire non, elle était certaine de ne pas réussir à viser correctement. Et son bracelet était toujours chaud. Le trajet avait été facile jusqu'à présent, trop facile, mais l'autre bout de la passerelle était un cul-de-sac.
Elle pouvait encore abandonner et choisir la chute, elle serait à coup sûr mortelle vue la hauteur de la falaise. L'idée fut tentante, la peur et le stress générés depuis plusieurs heures brouillaient son jugement. Néanmoins Agathe choisit d'essayer. Elle inspira profondément, bloqua sa respiration et se faufila silencieusement jusqu'à l'autel. En son centre se trouvaient des gemmes, de petits diamants dans une coupelle d'or. Elle en prit un pour l'examiner mais alors qu'elle l'approchait de son visage il lui sauta de la main et vint se fixer sur son bracelet qui émit alors une vive lumière aveuglante.
Lorsqu'elle recouvrit la vue, Agathe était à nouveau dans la caverne aux portes, en haut sur les rochers, au centre d'une zone circulaire plane gravée de symboles. Elle fit quelques pas puis s'adossa à la paroi rocheuse et glissa au sol, les jambes tremblantes. Les larmes montèrent et elle ne les retint pas, elle sanglota bruyamment sans que rien ne puisse l'arrêter. Trop c'était trop.
Les hommes en bas la virent et l'appelèrent mais elle les ignora aussi longtemps que coulaient ses larmes, elle avait beaucoup à extérioriser. De longues minutes s'écoulèrent avant qu'elle ne put reprendre le contrôle. Elle se releva et fit signe aux hommes qu'elle allait bien. Ils lui montrèrent la double porte par laquelle elle était passée plus tôt, maintenant close. Dans l'attente d'explications ils l'invitèrent à les rejoindre en bas et elle se mit en quête d'un pan rocheux assez praticable pour descendre. Elle longea la paroi jusqu'à une second plateau d'où la descente semblait plus simple mais lorsqu'elle y arriva une porte apparut à flanc de roc et s'ouvrit devant elle. Agathe hurla aux autres de regarder mais il semblèrent ne rien voir, comme si la porte n'était visible que pour elle.
L'adolescente se décida à entrer et y découvrit une taverne digne du Moyen-âge, un simple décor de pierre, de bois et de tentures multicolores. Quelques tables entourées de bancs et de tabourets meublaient la majorité de la pièce, Agathe vit aussi un escalier mener à un palier ouvert au-dessus d'elle. Elle s'approcha d'un grand bar à l'aspect peu reluisant derrière lequel un robot futuriste qui tranchait totalement avec le décor nettoyait des verres. Plus exactement il en étalait la saleté.
- Bienvenue dans la taverne jeune joueuse, que puis-je vous servir ? Demanda le robot alors qu'elle s'asseyait à l'un des tabouret de bois recouverts de tissus.
Un jeu, c'est juste un jeu alors.
- Comment sortir d'ici ?
- Par la porte que vous venez d'emprunter jeune joueuse.
Il se moquait d'elle en plus. Elle se pencha pour lui attraper un bras mécanique mais sa main passa au travers. Pourtant lorsqu'il posa un verre d'eau devant elle l'objet était bien réel.
- Ne te moque pas de moi ! Comment sort-on du jeu ? ! Pourquoi suis-je dans ce jeu ?
Elle hurlait et balançait sa main au travers du robot en de larges mouvements violents. Cela ne faisait rien à la machine mais elle s'en fichait, elle avait tellement de questions, de peine, et toute cette rage qui montait en elle.
- Je ne suis pas programmé pour répondre à ces questions.
Agathe hurla de rage et lui jeta le verre plein qui le transperça sans encombre et alla s'écraser contre le miroir tanné derrière.
- Je vais te reprogrammer tu vas voir ! Réponds !
Elle s'énervait sérieusement contre le robot, lui jetant tout ce qui lui tombait sous la main, bouteilles, verres et autres récipients, lorsqu'un homme entra. Agathe arrêta de passer ses nerfs sur la machine pour le regarder, ce n'était pas l'un des dix-neuf de la caverne. Elle les connaissait tous de vue. Il n'était pas vêtu de l'uniforme qu'ils avaient tous mais portait une tenue noire ajustée sur lequel il avait passé manteau et armes en bandoulière. Mais surtout, à la différence de tous les autres, il était souriant et enjoué, pas du tout stressé ni craintif.
- Laisse ce pauvre robot, il ne t'a rien fait.
Il vint s'asseoir sur un siège voisin de celui qu'elle occupait avant de se lever et d'attaquer la machine puis il commanda une boisson ambrée.
- Trois angles. Lui répondit le robot.
Il sortit sa bourse et y chercha un triangle qu'il posa sur la main tendue de la machine, machine qui lui apporta sa commande peu de temps après. Il en but un peu puis reporta son attention sur elle.
- Alors seize, tu es la première joueuse à trouver la taverne, et à avoir eu une gemme, bravo !
- Seize ? Pourquoi... Et comment tu sais pour la gemme ?
Il n'était pas comme elle, ce n'était pas un joueur. Elle baissa les yeux et vit qu'il portait un bracelet différent du sien, un ensemble de flèches et de lettres grecques. Il nota l'attention qu'elle lui portait et approcha son poignet afin qu'elle l'admire plus en détails.
- Je ne suis pas un joueur comme tu peux le voir Seize.
- Je m'appelle Agathe.
- Le dos de ta veste me dit que tu t'appelles Seize.
Elle ôta le vêtement et constats qu'il disait vrai, était cousu le nombre en tissu noir. Elle remit ensuite sa veste et chercha par laquelle de ses questions commencer.
- Moi c'est Hypérion. Au cas où tu te poserais la question. Et je ne te dirai pas comment quitter le jeu.
- Donc on peut quitter le jeu ? Rétorqua t-elle vivement, ce qui le fit sourire.
- Bien sûr, il y a deux sorties possibles : tu gagnes, ou tu meurs.
- Comment on gagne ?
Son sourire se transforma en rire un brin sadique. Hypérion lui répondit qu'il en avait déjà trop dit, que cela gâcherait le jeu si l'un des joueurs en venait à être mieux renseigné que les autres.
- Jeu ? C'est ma vie ! Fais-moi sortir d'ici !
La colère rejaillissait en elle aussi sûrement que la marée, ce... Lui avait des réponses et allait la laisser mourir comme cela, dans l'ignorance. Hypérion s'éloigna de la tempête et repartit par la porte, non sans lui jeter un dernier regard.
- Ne t'inquiète pas, je ne suis jamais loin.
Il ferma la porte alors qu'elle se jetait à sa poursuite. Mais lorsqu'elle franchit le seuil de la taverne à son tour il avait disparu. Elle regarda partout aux alentours mais rien, il avait disparu et personne en bas ne semblait réagir. Une voix murmura à côté d'elle, celle-là même qui lui avait dit de franchir les portes, et à présent elle réalisait à qui appartenait cette voix, à lui.
- Que la partie commence Seize !
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