5. Hyperion a quelques soucis
- Hyperion ! T'as encore relancé une partie ! Tu pourris nos paris là !
Le titan était plongé dans l'étude des plans du temple qu'il avait installé sur Terre, si bien qu'au début il ne prêta pas attention à ce que son ami Peitho lui disait. Il marmonnait dans sa barbe inexistante à propos du bug du tyrannosaure, la grotte aurait dû s'ouvrir avec l'approche de la bête, mais pour une raison inconnue rien n'avait fonctionné comme prévu.
- Je suis sûr que c'est la faute de Seize, elle me plante tout le jeu depuis le début...
- C'est à moi que tu parles ?
Peitho était un esprit, l'esprit de la séduction et de la persuasion, et pour autant qu'Hyperion avait pu en juger au cours des millénaires, il portait bien son titre. Depuis qu'Hyperion avait créé le temple au cours d'une cuite mémorable, l'esprit s'était chargé de sa promotion, persuadant les dieux de l'Olympe, pourtant réfractaires, que rien n'était mieux pour eux que cette intrusion sur Terre.
- Non je me parle. Il y a encore un bug.
- Ne le dis pas lors de l'audience, cela ferait pencher un peu plus la balance en faveur de la suppression du temple.
Hyperion soupira et délaissa ses écrans de contrôle pour reporter son attention sur son ami. Il n'y avait pas si longtemps que les titans avaient été libérés de leur prison et autorisés à vivre sur l'Olympe, demeure des dieux si pleine de règles. L'une des règles les plus sacrées ? Ne pas interférer dans la vie des humains en bas. Loi qu'Hyperion avait royalement violée une année plus tôt en créant un temple, en le plaçant à la vue de tous et en y emprisonnant des humains. Depuis il était en procès, assigné dans sa résidence de l'Olympe, avec pour seule exception ses voyages dans le temple pour y aider les prisonniers et il était à deux doigts de retourner dans le Tartare. Heureusement pour lui, la grande assemblée des dieux Olympiens, les quatorze grandes divinités, sous la coupole de Zeus, était divisée et ne parvenait pas à trancher. Cela en partie grâce à Peitho qui usait de tous ses charmes pour éviter le Tartare au titan. Et il fallait bien avouer que, s'il ne réussissait pas à convaincre directement les divinités principales, il exhortait au mieux les divinités secondaires à soutenir Hyperion. Il avait un argument de choix pour effectuer sa mission : on ne s'était pas autant amusé depuis la guerre de Troie et la balade d'Ulysse en Méditérrannée.
- Cette audience ou la suivante qu'importe, grâce à toi l'assemblée ne me condamnera pas.
Peitho sourit, pas peu fier de lui, et s'en fut s'installer dans l'un des vastes canapés qui meublaient cette pièce principale. Comme toutes les résidences mineures de l'Olympe, tout ici n'était que marbre et blanc, aussi froid que les neiges éternelles du mont. Hyperion ne s'était jamais donné la peine de décorer les lieux car cette demeure, gracieusement prêtée par son neveu Zeus, n'avait jamais été sa maison.
Les titans avaient sans avoir leur place ici-haut, peu restaient effectivement, toujours craints par leurs neveux les dieux. Ainsi la plupart s'était exilé et ne revenait que pour les grandes occasions. Si Hyperion n'avait été emprionné ici, il serait lui aussi reparti depuis longtemps. Mais voilà, au cours d'une belle fête à la hauteur de la réputation de Dionysos, il avait pris une cuite aussi grosse que le colosse de Rhodes et avait dans la foulée créé ce jeu. Oh ça il avait bien ri en l'imaginant avec les quelques divinités saoules qui lui avaient de compagnie ce soir-là. Mais aucune d'entre-elles n'avait eu les compétences ni le courage de pousser le délire jusqu'au bout,aucune sauf lui. Un mini monde rien qu'à lui, où il serait seul maître à bord, où les seules limites seraient celles de son imagination. Il l'avait fait, il l'avait conçu, matérialisé, et avait même lancé la première partie avec des joueurs humains. Vingt individus triés sur le volet de l'aléa de l'alcool et intégrés, ses alpha-testeurs. Le tout sans dessaouler. Que de bugs à l'époque.
Un an et deux fournées de joueurs plus tard son jeu ressemblait enfin à quelque chose : six mondes mortels, sept gemmes à trouver pour sortir et un compteur de joueurs qui ne cesse de décrémenter.
- C'était quoi le bug cette fois ? C'est mauvais pour les affaires tu le sais ?
Peitho s'était développé une petite entreprise de paris. Car le jeu avait plu, les dieux se délectaient des aventures de leurs humains favoris et pariaient sur leur survie. Ils ne pouvaient pas les aider, ni directement, ni indirectement, mais cela ne les empêchaient pas de leur hurler des conseils qu'ils n'entendraient jamais. Par conséquent les relances de parties étaient assez mal venues, d'où le passage de Peitho chez le grand concepteur.
- Le mini-jeu ne s'est pas déclenché correctement, Seize s'est bien moquée de moi.
- Ah Seize...
Hyperion foudroya Peitho du regard afin qu'il ne dise pas ce qu'il s'apprêtait à dire, en vain.
- On a parié que tu la sortirais du jeu. C'est la grande favorite tu sais ? C'est un peu dommage d'ailleurs, il n'y a pas vraiment de suspense puisque c'est la seule que tu aides.
- Je ne l'aide pas.
L'esprit eut un rire moqueur.
- Ouais tu l'as juste empêchée de mourir, tu ne l'as pas aidée !
Nier l'évidence serait inutile aussi Hyperion ne le fit pas et décida de s'allonger sur un sofa, l'esprit troublé par ses prochaines innovations de son jeu. Elle allaient lui compliquer la tâche, une vaste mise à jour serait nécessaire mais ce n'était pas ce qui le turlupinait. Son esprit se portait sur les joueurs actuels. Pour bien relancer le jeu et les paris, il faudrait tout relancer à zéro, donner des règles et un équipement de base à chacun. Et si la nouvelle génération ne serait que privilégiée par ces nouveautés, ce ne serait pas le cas des anciennes qui avaient déjà beaucoup évolué.
- Dis tu m'écoutes Hyperion ?
- Quoi ? Oui c'est l'heure. Allons-y.
Les deux divinités se dirigèrent vers le tribunal olympien où les quatorze divinités principales attendaient le titan qui venait défendre sa liberté. Lorsqu'Hyperion se présenta à eux, il se rappela qu'il ne s'était pas changé depuis son retour du jeu, il en portait encore sa tenue. Qu'importe le bug était plus important, les nouveautés aussi.
Les avis divergeaient quant à la procédure à suivre, Athéna prônait une punition exemplaire, la libération des humains, la suppression du temple et l'emprisonnement d'Hyperion. A l'inverse Arès arguait pour une extension de l'univers avec des combats plus rudes et l'introduction de nouveaux monstres. Ce dieu s'éclatait pratiquement autant avec le temple qu'en observant les différentes guerres entre humains dispersées sur Terre.
Hyperion jeta un coup d'oeil à Héra qui, d'un petit sourire, lui fit comprendre qu'elle le soutiendrait, et pour cause, il avait malencontreusement happée l'une des dernières maîtresses de Zeus dans son jeu. La pauvre femme avait péri en tombant d'une montagne après une course poursuite avec un troll pouilleux. C'était vraiment la faute à pas de chance.
Quant au roi des dieux il ne savait pas trop quoi faire. D'un côté la règle était la règle, mais de l'autre un peu d'action pour une fois...
- As-tu quelque chose à dire qui pourrait influencer notre décision ? Demanda gentiment Déméter, une indécise.
La déesse de la terre n'aimait guère cette idée de jeu avec la vie des humains mais la jungle Jurassique que le titan avait bâti était une pure merveille, elle qui regrettait toutes ces espèces disparues les contemplaient avec ravissement évoluer dans l'immense décor. Toutes ces plantes, tous ces animaux, et ces splendides dinosaures colorés égayaient ses journées.
- J'ai deux ou trois choses en effet, répondit humblement Hyperion, prêt à lâcher son scoop.
- Je regrette énormément de ne pas avoir demandé l'autorisation de cette noble assemblée avant la création du temple et depuis je cherche un moyen de me racheter. Je l'ai enfin trouvé. Les humains en bas manquent de guides, de buts, de repères et d'amitiés. Leurs âmes éperdues pensent à peine à survivre, leur motivation est pratiquement inexistante car ils se sentent seuls, abandonnés. J'ai longtemps étudié le comportement des joueurs et j'ai enfin ce qui leur manquait... Vous.
Il fit une petite pause, et contempla l'intérêt naissant dans les yeux des dieux, même Peitho n'était pas au courant de cela. Il reprit :
- Les joueurs ne sont qu'une masse hétérogène qui erre dans les mondes. Rares sont ceux qui ont trouvé la taverne de la salle principale, ou les zones de paix, pour eux le jeu n'est qu'un immense piège dans lequel ils meurent résignés. La prochaine mise à jour leur donnera ce but qui leur manque. Elle leur donnera un idéal à défendre, un dieu en qui croire, une ligue. Quatorze dieux, quatorze ligues, quatorze mondes. Chaque ligue bénéficiera de vos enseignements, de votre bienveillance et portera fièrement vos couleurs !
Ne pas leur dire que rien n'était prêt, pas même la map de base, surtout ne pas leur dire.
- Je sais que cela ne compensera pas le fait que j'ai ignoré la loi divine mais je souhaite ardemment l'autorisation de mener à bien ce projet, afin que la grandeur de l'Olympe rayonne à nouveau sur Terre !
Ca passe ou cela casse. Jouer sur l'orgueil des dieux est souvent un bon moyen d'obtenir un succès mais là c'était un peu gros. Arès fut le premier à s'exprimer, totalement emballé par l'idée. Il imaginait déjà les armes qu'il offrirait à ses meilleurs joueurs. Hestia s'en moquait, le jeu ne l'avait jamais intéressée, pas plus que les humains à l'intérieur. Elle était d'un ennui mortel comme toujours, et pourtant...
- Je ne veux que des vierges dans ma ligue.
Hyperion sourit, la déesse de la Chasteté venait de lui offrir sa voix sur un plateau d'argent.
- Accordé. Je prendrai avec plaisir vos exigences à tous par écrit pour les incorporer aux ligues. Peitho va faire le secrétaire.
- Quoi ? Demanda l'intéressé.
- Il prend déjà les paris, ajouta le titan, il se fera un plaisir de continuer ce travail administratif.
La balance penchait en sa faveur, c'était gagné, ou fichu selon le point de vue. Annoncer une grosse mise à jour du jeu alors que celle-ci n'était pas même conçue relevait du suicide. Zeus se redressa et s'adressa à tous.
- Au nom de cette assemblée, je te déclare coupable d'avoir enfreint notre loi. La punition requise est l'emprisonnement dans le Tartare. Néanmoins, nous te gracions afin que tu puisses accomplir cette mission divine qui est l'extension du jeu de l'Olympe. Sois à la hauteur des divinités qui t'ont jugé et régale les habitants de cette noble demeure ainsi que toutes les autres divinités.
Hyperion s'inclina en souriant et quitta le tribunal à reculons, suivi par Peitho qui lui posa une foule de question une fois à l'extérieur.
- Tu ne m'avais pas dit pour la mise à jour, ni pour les ligues, le jeu de l'Olympe ? On a pas mieux comme nom ? Ce n'est pas très vendeur. Quand sera t-elle effectuée ? Tu vas garder tous les joueurs ? Les ligues sont déjà prêtes ? Et les temples ? Il va falloir agrandir la carte non ? Tu vas faire un monde dans les enfers ? Et d'autres aux cieux ? Tu vas faire une quatrième génération de joueurs ?
Paix à l'âme du titan.
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