II

La nuit tombée, Kal rejoignit le second de la famille. Ce dernier le laissa pénétrer dans le cimetière sans broncher. En marchant sur les graviers, il scruta les tombes, en espérant voir le nom d'une femme s'étant fait en partie dévorer par une Créature, apparaître. Il soupirait au fur et à mesure que les tombes défilaient. Le jeune homme restait persuadé qu'il avait affaire à une goule, et que la raison de sa transformation la plus logique serait qu'elle se soit faite dévorer alors qu'elle était encore vierge. Seulement, peut-être n'était-elle pas dans le cimetière, mais cela serait surprenant. Il avait jusqu'à minuit pour trouver la cachette de la goule, et pouvoir l'attraper par surprise, puis la tuer. Sinon elle sortirait par elle-même de sa cachette et retournerait dans la ferme, où un nouveau massacre aurait lieu, ce qui n'était pas du tout dans les projets du Chasseur.

Brusquement, il s'arrêta net, ne bougea plus d'un pouce et se tourna vers la ferme que l'on pouvait apercevoir un peu plus loin. Et si au lieu de chercher sans but, il attendait comme un véritable prédateur ? Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Il allait attendre minuit, puis quand elle sortirait de sa tombe il la prendrait par surprise. Il grimpa sur un des murets, et s'assit en tailleurs, en gardant sans cesse un œil sur les pierres tombales. Les minutes passaient, bientôt les heures et rien ne bougeait. Même s'il n'était pas encore l'heure du réveil, des tremblements, ou même des cris, auraient déjà dû être en train de se faire entendre, puisque cela signifiait que le Monstre était en train d'émerger. Seulement, Kal ne percevait absolument rien. Serait-elle déjà partie ?

Plusieurs longues minutes s'écoulèrent, tandis que la lune commençait à descendre dans le ciel. Un léger vent soufflait sur la peau blanche du jeune homme, tandis que le gardien du cimetière, chargé par son père de garder un œil sur Kal, roupillait paisiblement, adossé contre un mur. La nuit était calme. Tout était silencieux, rien ne venait perturber ce calme. En temps normal, Kal aurait grandement apprécié ce moment... Pourtant, il avait l'intime conviction que quelque chose clochait. Son intuition se confirma très vite. Entendre les bêlements et les cris terrifiés lui suffirent amplement.

- Et merde ! pesta-t-il.

Ni une, ni deux, il sauta de son perchoir et courut aussi vite que possible en direction de la ferme. C'était bien ça. L'odeur était de plus en plus forte, et les cris aussi. Les pleurs des enfants résonnaient dans la nuit noire. Mais quand il arriva sur les lieux, il fut horrifié par ce qu'il vit. Ce n'était pas une goule, mais une Chimère.

Son rythme cardiaque s'accéléra de manière considérable. Il n'avait jamais rien vu de tel. La chimère était un mélange entre une goule et une autre Créature, qu'il supposait être un Wendigo des forêts, si l'on se fiait aux gigantesques bois qu'elle arborait. Au premier coup d'œil, le Monstre toisait au moins une demi taille de plus que Kal, et son regard menaçant, miroir de ces intentions, n'augurait rien de bon. Ce Monstre était doté d'une peau grisaillante, dépourvue de poils, et d'un corps de cervidé avec les mains effilées d'une goule. La maigreur de la Créature était abominable. Le crâne de cerf qui recouvrait sa tête était bien abîmé, ce qui était un indicateur très intéressant pour Kal, puisqu'il pouvait en déduire l'âge de la Créature. D'après lui, la chimère approchait un état de assez vieille. Quand elle ouvrit sa gueule pour rugir, et répandre au passage sa putride haleine, le jeune Chasseur put découvrir ses immenses crocs, presque aussi tranchants que ses griffes, s'ils n'avaient pas été usés.

- Par les quatre sangs Divins... c'est quoi ça ? murmura-t-il.

- Mais faites quelque chose bon dieu ! fulmina l'éleveur.

Son sang ne fit qu'un tour. Il dégaina son épée située derrière son dos, et la brandit en criant :

- Eh la chimère ! Viens par là au lieu de t'attaquer à des animaux puis à un gosse !

Attirer son attention, était pour l'instant la meilleure chose à faire, ne serait-ce que pour écarter toutes potentielles victimes. Les enfants avaient hurlé de terreur, et non de douleur, au grand soulagement de Kal. Non pas que voir un enfant blessé l'aurait dérangé, mais parce que cela signifiait qu'il n'y avait donc aucun blessé à protéger, ce qui allait tout de même lui faciliter un peu la tâche.

La Créature se retourna vivement, puis bondit sur Kal qui esquiva d'un saut sur la gauche, sans perdre son adversaire de vue. Le jeune Chasseur profita du moment d'étourderie de la bête, pour lui asséner un grand coup d'épée, tout en criant aux paysans de libérer la zone. Une nouvelle fois déstabilisée, la chimère perdit l'équilibre, et le Chasseur lui donna un violent coup de pied dans l'objectif de la faire chuter. Seulement, cette dernière, très rapide et agile malgré sa taille, éjecta le jeune Chasseur d'Ombre plusieurs mètres plus loin. Kal grimaça quand son dos heurta violemment le sol, prêt de l'enclos des brebis, mais il se releva tant bien que mal, pour se diriger vers elle, son épée toujours à la main. La chimère essaya de l'intimider en poussant un cri très désagréable, mais rien y fut. Kal était déterminé à battre son premier Monstre en tant que Chasseur d'Ombres.

- Écoute ma jolie, tu ne me fais pas peur. Je te dézinguerai, quoique tu fasses.

La Créature sembla comprendre qu'elle n'avait pas à faire à quelqu'un que l'on pouvait nommer "d'ordinaire", et se mit à vociférer plus fort encore, dans l'espoir de faire reculer cet entêté qui la gênait. Son cri demeura si puissant que Kal dû se résigner à prendre du recule, pour ne pas devenir sourd. Mais ce n'est pas ce qui allait l'arrêter. Ainsi, alors qu'une rage commençait à gronder en lui, le Chasseur tenta à nouveau d'approcher la Chimère, sans la quitter des yeux une seconde. Il voulait sa mort. Tout en se déplaçant autour de la chimère, la lame pointée sur elle, il analysa son comportement. Elle ne semblait pas être dotée de capacités lui permettant de réfléchir, et ne répondait qu'à l'instinct. Ainsi, malgré la puissance qu'elle possédait, elle ne l'utiliserait pas à bon escient. Il s'agissait d'un Chimère de niveau deux, sans aucun doute.

La rage qu'il ressentait à ce moment n'était pas qu'une simple émotion. C'était une arme, qui permettait de libérer toute sa puissance. Une puissance qui grandissait avec l'expérience, et qui se devait, à quelques exceptions près, d'être contenue pour n'être utilisée que contre des Monstres.

Ses iris se tintèrent d'un sombre rouge, et ses veines, de noir. Il se sentait vivre. Kal asséna un violent coup de poing à celle qui lui résistait. Cette dernière fut de nouveau déséquilibrée par la force surhumaine du Chasseur, et lorsqu'il brandit son épée pour la tuer, elle envoya valser son antérieur droit, qui le mit au sol tout en éjectant sa grande épée au loin. Tandis que Kal était allongé sur l'herbe, et que les crocs de la chimère s'approchaient dangereusement de son cou, il sortit de sa botte un poignard qu'il enfonça dans le crâne de son ennemie. La Créature poussa un cri si strident qu'il aurait pu réveiller un mort. Le Chasseur d'Ombres profita de ce moment pour courir récupérer sa grande épée, tant que son ennemi était hors d'état de nuire. Seulement, il commit une grosse erreur.

Ne jamais lâcher sa proie des yeux, et encore moins l'abandonner en lui tournant le dos.

Elle le prit par-derrière et le projeta au mur avec une violence excessive. Par réflexe, Kal se protégea le visage par son bras, et l'affreuse Créature lui enfonça ses crocs dans le muscle. Malgré l'épouvantable douleur qu'il ressentit à cet instant, le jeune Chasseur trouva la force de lui retirer le couteau de la tête et de le lui planter dans le poitrail. Le Monstre recula et tenta de retirer l'arme à plusieurs reprises, tandis que le Chasseur tira un nouveau poignard, dissimulé dans une de ses manchettes, pour le lui planter dans la gorge.

La douleur s'intensifiait dans son bras, mais il finit tout de même son travail en lui perforant les poumons et les yeux.

Ce fut seulement une fois qu'il eut la certitude d'avoir vaincu son adversaire, qu'il laissa son corps s'écrouler contre le mur de la maison, en pressant son bras contre son corps.

- Qu'est-ce qui vous a pris ? Mon fils a failli se faire tuer ! l'incendia le chef de famille tout en se précipitant près du jeune homme et de la dépouille.

- Mais il n'est pas mort, rétorqua Kal avant de tordre de douleur.

- C'est vrai, notre fils est en vie, et grâce à vous, intervint la mère. Vous êtes blessé, entrez-donc. Kristin ! Va ramasser l'épée et les couteaux de Monsieur.

« Monsieur »... Qu'on l'appelle ainsi lui fit tout drôle. C'était la première fois. Avec l'aide de la femme, il se releva doucement, et marcha jusqu'au salon. C'était la deuxième fois qu'on l'aidait, et cela ne lui plaisait que moyennement. Il était censé n'avoir besoin de personne, il devait se débrouiller seul.

En s'asseyant sur le siège, il retira sa machette pour constater l'ampleur des dégâts, sous le regard terrifié des fermiers.

- Ô mon dieu ! Votre bras !

- Oui... C'est la rencontre entre mon sang et les toxines de la bave de cette Chimère, qui le rend noir comme ça. Il me faudrait un flacon de lotion de roche, ou un nom comme ça...

- Où peut-on trouver ça ?

- Chez une sorcière. Je crois qu'il y en a une au château. Mais je ne sais pas où il se trouve.

- Il est à une journée à cheval. Vous pourrez tenir ?

- Oui, répondit-il en se remémorant ce cours, indiquant qu'injecté autre part que dans la jugulaire, pour les Chimères de catégorie deux, le venin n'agissait que deux jours après.

Le temps sera juste, il n'avait plus qu'à pour que son corps tienne.

- Bien, on va vous y emmener, ordonna la mère, provoquant un grognement de la part du père. Vous avez sauvé notre fils, nous avons une dette que nous comptons payer.

Kal refusa catégoriquement de laisser son cheval ici, et ce dernier fut donc attaché à la charrette qui le transportait. La douleur était plus insupportable chaque heure, mais il tenait bon. L'important était d'arriver au château, pas la douleur. Puis, il était fort, pas faible. Il ne devait pas faiblir. Jamais. Il était fort. La force était son chemin à suivre, qu'importe le bien ou le mal. Le mal qui l'assaillait se montrait comparable à un feu qui ne pouvait s'éteindre, et qui brûlerait continuellement sa peau.

Ils s'arrêtaient une demi-heure toutes les cinq heures. Les deux hommes n'étaient plus qu'à quelques kilomètres du château, tandis que la pluie s'abattait lourdement sur le sol, et que l'orage ne rassurait personne. Le soleil était censé s'être levé il y avait déjà plusieurs heures, mais les nuages noirs l'en empêchaient. L'infection du jeune Chasseur avait atteint son épaule, par conséquent elle commençait à devenir, elle aussi, noirâtre. Il n'arrivait pas à dormir pour faire passer le temps, ni à penser à autre chose. Alors, le jeune homme se focalisait sur sa respiration pour essayer de ne pas agoniser à chaque grosse secousse.

- Nous sommes à l'entrée de la ville, où se trouve votre sorcière ?

- Déposez-moi au château, je me débrouillerais, je n'ai pas le droit de montrer sa résidence, grogna-t-il difficilement.

- Bien.

La charrette reprit son chemin à travers les innombrables maisons, et étales marchandes. Quand ils arrivèrent à quelques mètres des remparts entourant la cour du château, le fermier aida Kal à descendre puis lui amena son cheval. Le grand brun lui remercia fermement :

- Merci beaucoup. Rentrez vite.

- Je ne comptais pas rester plus longtemps, rassurez-vous.

Hey !

Comment allez-vous?

J'espère que le chapitre vous a plus, même si il est très court XD

Mais on se retrouve quand même au prochain chapitre :)