CHAPITRE 8 ✓
Je lève les yeux au ciel. Voilà à peine quelques minutes que le quatuor est arrivé, et j'ai déjà mal à la tête. Leurs gloussements incessants me vrillent les oreilles, aussi, je m'efforce de ne pas les écouter. Cependant, même avec tous mes efforts, je continue de les entendre. Soudain, la blonde se tourne à nouveau vers moi.
— Bien. Je te préviens. Si tu te tiens tranquille, on te laissera en paix. Mais si tu nous cherches les poux, ou que tu projettes de faire des trucs contre nous, on te pourrira la vie, compris ?
Son ton, qu'elle veut sec et autoritaire, sonne comme un caprice d'enfant à mes oreilles. Je ne réplique pas, ses paroles ne valant pas que je cherche une réponse. Cependant, cela ne m'empêche pas de bouillonner intérieurement. J'ai horreur des gens qui se croient au-dessus de tout et j'ai bien l'impression que cette jeune fille en fait partie.
— Et je ne compte rien faire de tel, alors tu peux rengainer tes petites remarques, cinglé-je.
— Tant mieux pour toi, remarque mon interlocutrice, une grimace déformant son visage. Je suis Bianca.
Son nom me fait penser aux princesses précieuses des livres et que j'ai toujours trouvé trop incompétentes. De plus, sa chevelure blonde et son air supérieur conviennent très bien à l'image que je me fais de ces personnages.
Elle me tend alors une main, que je ne saisis pas, non par défi, mais plutôt pour lui montrer qu'elle ne me fait pas peur et elle la retire, piquée au vif.
— Ne me cherche... commence-t-elle, les yeux plissés.
— Et moi je suis Sky, la coupé-je délibérément, l'air innocent. Je suis ravie de vous rencontrer.
Si Bianca se rend compte de l'ironie de mon ton, elle n'en laisse rien paraître. Elle hausse les sourcils et va chercher du soutien auprès des triplettes, qui suivent la conversation, sans intervenir. Cependant, ces dernières ne remarquent pas l'appel à l'aide de leur amie, qui me répond, presque avec regret :
— Moi aussi...
Elle s'assoit, déçue que sa tentative d'intimidation soit tombée à l'eau, et j'en profite pour réfléchir à ce qui vient de se passer. Les triplettes n'ont pas l'air méchantes - à mon avis, elle sont juste dans les jambes de Bianca et n'ont jamais eu l'occasion d'être elles-mêmes. Quant à leur amie, elle a l'air d'une personne un peu trop sûre d'elle. Mais on ne sait jamais ce qui se cache sous les apparences.
— Et voilà Chipie, Grâce, et Teigne, reprend-elle, plus calme, désignant tout à tour les trois filles.
Je ne peux m'empêcher d'être surprise face à des noms si atypiques. J'en conclus que ce ne sont que des surnoms, peut-être dus à une volonté d'échapper au passé. Cependant, elles auraient pu en choisir des plus... mignons, ou au moins, jolis ?
Je m'apprête à les saluer quand la porte s'ouvre à nouveau. Une fille de petite taille entre, sans nous adresser un mot. Je lui donne à peu près mon âge, c'est-à-dire dix-sept ans. De belles boucles brunes encadrent son visage dur et fier, et lorsqu'elle lève la tête vers moi, je m'aperçois avec stupeur que ses yeux sont violets. D'un violet pénétrant, comme une fleur matinale.
Sans attendre, elle détourne le regard et s'assoit sur son lit à côté du mien. Ses yeux sont impénétrables et je n'y décèle aucune émotion. Soit elle ne ressent rien, soit elle cache très bien son jeu. La seconde option me semble plus plausible et je me demande ce qu'elle pense.
Je soupire : entre les quatre prétendues pestes et une fille à l'air d'une tombe, je sens que je vais bien m'amuser ici...
Personne ne reprenant la conversation, j'observe la nouvelle venue, sa moue presque boudeuse, sa manière de se tenir, ses yeux vifs. J'ai l'impression de la connaître. C'est comme si j'ai déjà vécu tout cela. Et c'est alors que je comprends : je l'ai déjà vue quelque part, j'en suis aussi sûre que mon nom de code est Flamme.
L'adolescente a d'ailleurs fini ses réflexions et me reluque ouvertement, sans gêne. Si ça se trouve, elle ressent la même chose que moi. Mais peu importe : je l'ai sûrement croisée lorsque j'étais petite - j'ai toujours eu une mémoire physionomique - et elle a le droit de me regarder. Après tout, je viens d'arriver.
Le silence inconfortable s'étire, jusqu'à ce que j'entende une sonnerie aiguë, résonnant trois fois. C'est le signe que le repas est prêt, d'après ce que je me souviens. Ça tombe bien, parce que je commençais à avoir un peu faim. Le combat de ce matin et la marche sous le grand soleil m'ont ouvert l'appétit.
Alors que les quatre amies quittent la pièce en papotant, la jeune fille aux yeux violets se lève et me laisse seule, sans même me jeter un regard. Soupirant, je saisis mon emploi du temps que je glisse dans ma poche, puis entreprends de me rendre à la cantine, bousculée par la foule pressée d'aller manger.
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cela ne va pas être facile de m'intégrer. Déjà que j'ai du mal à aller vers les autres, si lesdites personnes me sont hostiles, cela ne va pas forcément bien se passer. Et c'est sans compter sur mon sale caractère...
Je descends les escaliers et arrive à l'étage désiré. Deux grandes portes ouvertes s'y trouvent chacune abordant un écriteau. Sur l'un d'eux est indiqué "réfectoire des élèves", et je m'engouffre dans l'espace correspondant. Aussitôt, une odeur alléchante m'emplit les narines. Pas de doute : leur cuisine est bonne.
La salle est immense, à l'image du reste du bâtiment. De longues tables traversent la pièce, devant lesquelles se tiennent de nombreux jeunes. J'estime rapidement leur nombre entre cent-cinquante et deux cents. Poursuivant mon observation, je jette un œil à travers l'une des baies vitrées et peux apercevoir les lignes de la ville qui se dessinent à l'horizon.
Je me dirige vers le self, sélectionne un plat simple, mais copieux et parcours la salle du regard. Ashley est attablée avec deux filles et semble discuter joyeusement, comme à son habitude. Matt est quant lui assis avec un groupe de personnes, mais il se tient à l'écart. Il joue parfaitement son rôle de mendiant. J'ai de la peine pour lui, mais je sais que ça ne l'impacte pas. Il est fort.
Léo est assis face à deux jeunes garçons de son âge, qui ont l'air plutôt gentils. Je m'approche d'eux et mon petit frère me hèle dès qu'il m'aperçoit. Je vais le rejoindre, reconnaissante. Je salue ses deux compagnons et me tourne vers lui :
— Comment ça va ? lui demandé-je en prenant place à ses côtés.
— Ça va ! Il y a trois garçons plus grands dans la chambre qui font un peu de bazar, mais Timéo et Gabin sont très gentils, me confie-t-il en souriant.
— Parfait alors !
Je mange en silence, écoutant la conversation des trois garçons, qui ont déjà l'air de bien s'entendre. C'est seulement lorsque l'un des camarades de Léo pose une question personnelle que je décide de m'en mêler.
— Et du coup, tu es guérisseur ?
— Oui, j'ai appris ça à...
— À la maison ! Nos parents pensaient qu'il était important de savoir se soigner, après les attaques, le coupé-je, l'empêchant de finir sa phrase.
Mon petit frère s'interrompt, équarquille les yeux et s'apprête à plaquer sa main contre sa bouche. Je la saisis et le regarde d'un air rassurant. Ce n'est pas grave. Il vaut mieux qu'il fasse une erreur lorsque je suis là que seul.
Soudain, une pensée me traverse la tête : j'ai faillit oublier de faire enregistrer mes poignards, et le directeur a bien dit dans sa lettre de s'en occuper au plus vite.
— On commence les cours à quelle heure, déjà ? demandé-je aux garçons, même si mon emploi du temps se trouve dans ma poche.
— Il nous reste à peu près vingt-cinq minutes il me semble, me renseigne Gabin.
Je soupire de soulagement, et me dépêche de finir mon assiette. Ceci fait, je dis au-revoir à mes compagnons et pars poser mon plateau. Je croise le regard de Bianca, qui le détourne aussitôt lorsqu'elle remarque que je l'ai vue.
Sortant de la salle, j'entreprends de descendre au rez-de-chaussée, puis cherche le bureau de Lorin, sans succès. Il n'y a personne, tout le monde étant en train de manger à cette heure-ci. Je fais de nombreux détours, me perds un nombre incalculable de fois, mais après avoir cherché pendant ce qu'il me semble une éternité dans le labyrinthe de couloirs, je trouve enfin le bureau du responsable des armes. Je toque deux coups clairs, puis attends que la porte s'ouvre.
Les Phénix ont l'air extrêmement bien organisés. D'après ce qu'a dit Corentin, notre guide, ils sont établis dans deux bâtiments : celui-là, avec les jeunes de moins de vingt-deux ans, et un autre avec les adultes plus âgés. Cependant, c'est ici que se passent les événements importants. Il y a beaucoup plus de jeunes que de vieux dans le besoin, et ces premiers sont plus influençables.
Soudain, la porte s'ouvre d'un coup, me faisant sursauter. J'entre dans le bureau à la demande de son propriétaire et découvre enfin Lorin. Doté de cheveux noir corbeau et de yeux verts, il aurait pu être beau, sans l'air dédaigneux et hostile qu'il abore.
— C'est pour quoi, jeune fille ? demande-t-il en me reluquant de haut en bas.
— Pour déclarer deux armes.
Lorin se déplace vers moi, et tend la main, sans rien demander. Tout en lui me dégoûte, mais je ne saurais dire pourquoi. Il dégage une aura antipathique et presque perverse. Je dégaine néanmoins mes poignards et lui pose dans sa main, tendue. J'ai horreur de me séparer de mes armes, même pour quelques instants.
— Bien, voyons voir ça... De sacrés beaux poignards, bien aiguisés, tranchants à souhait...
Il continue son analyse puis me les tend à nouveau. Alors que je les prends, il saisit mon bras et m'approche de lui.
— Mais dis moi... Qu'est-ce qu'une belle jeune femme comme toi fait avec d'aussi belles armes ?
Je recule pour échapper à son emprise mais il tient bon. Alors qu'il se rapproche de moi, il me lâche d'une main et la plaque sur mon dos, descendant peu à peu. Je m'empresse de me dégager, le poussant loin de moi.
— Mes parents me les ont offerts, sifflé-je, mécontente. Qu'est-ce que vous faites ?
— Bien, tout est ok, tu peux signer la feuille, souligne l'homme avant de me lâcher comme s'il ne s'était rien passé. Et je te conseille de me parler autrement, jeune fille. Tu me dois le respect.
Je fronce les sourcils mais quelque chose m'empêche de répondre. Je me dépêche de signer le papier. Je n'ai qu'une hâte : m'en aller d'ici et ne plus jamais recroiser cet homme fou. Dès que c'est fait, je me dirige vers la porte. Alors que je m'apprête à l'ouvrir, une main sur mon épaule me retient.
— Attends donc un peu ! On a pas pu faire connaissance correctement. Alors, quel est ton nom ?
— Sky.
Prétextant d'avoir fait tomber la feuille, je me baisse pour échapper à sa main. Cependant, lorsque que je me relève, l'homme semble avoir renoncé à me toucher et s'est éloigné. Je ne le comprends pas. Et cela me fait peur. Parce que lorsque je me bats, j'ai besoin de comprendre mon adversaire. Et c'est pareil dans la vie. Sinon, je suis déboussolée. Et Lorin est clairement un mystère à mes yeux. Cependant, je ne peux m'empêcher de ressentir des sentiments néfastes à son égard et je suis sûre que c'est réciproque. Cet homme me fiche la chair de poule.
Soudain, la sonnerie retentit et je pousse un soupir de soulagement : je suis sauvée.
— Je dois y aller, m'excusé-je, pas du tout désolée.
Je sors précipitamment de la pièce et tire mon emploi du temps de ma poche, sur lequel sont répertoriés mes cours. Je trouve le bon et stoppe ma course, dépitée.
Le cours de cet après-midi est un entraînement au combat.
Dispensé par le professeur Lorin.
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