
CHAPITRE 6 ✓
Dès que nous arrivons à l'extérieur, la porte se referme sur nous et nous rejoignons discrètement nos amis. Nous avons débouché sur une petite ruelle sombre, dont le sol pavé est couvert de terre et de saleté. Un rat qui est en train de se nourrir de graines s'enfuit dès qu'il nous voit, abandonnant son maigre repas.
Mis à part le petit animal, la ruelle est vide, ce qui nous arrange bien. Je prends mon petit frère par la main et, après avoir souhaité bonne chance à nos coéquipiers, l'entraîne à l'opposé de nos amis, qui attendent un peu avant de partir à leur tour.
Nous sommes désormais Sky et Maurice, deux jeunes nobles. Je cale ma démarche à celle que pourrait avoir une jeune fille un peu trop gâtée, qui a l'habitude d'avoir toujours été dans les jambes de ses parents, et me dirige vers le lieu de recrutement.
Nous traversons la ville qui se peuple peu à peu de ses habitants. Les rues, de plus en plus bruyantes, sont remplies d'enfants qui courent dans tous les sens, bousculant les adultes, qui pour la plupart les regardent repartir, un sourire affectueux sur le visage.
Lorsque l'un d'entre eux, couvert seulement d'une tunique en toile qui laisse deviner sa minceur, vient me demander une pièce, je lui fourre discrètement un petit sac d'argent dans la poche en le regardant d'un air éloquent. Surpris, il me remercie à l'aide de grands signes de tête avant de s'enfuir, par peur que je le lui reprenne.
Je le regarde partir, la peine dans les yeux. Cela aurait pu être Léo, ou même moi, si nous n'avions pas été accueillis par la Ligue, des années auparavant. À l'époque, nous avons eu beaucoup de chance et j'en suis bien consciente. Léo, qui ne se rappelle que très peu du temps où nous étions à la rue, me regarde, inquisiteur.
— Ce n'est rien, ne t'inquiètes pas, le rassuré-je avant de repartir, laissant la place et les enfants derrière nous, pour arriver dans des rues plus propres.
Nous passons non loin du palais du roi et je me demande ce qu'il y fait. Est-il en train de dormir, ou doit-il déjà obéir aux ordres des Phénix, par peur pour ses enfants ? Je ne peux m'empêcher de ressentir de la compassion pour lui, qui a toujours été si bon pour le peuple et qui doit maintenant assumer une immense responsabilité.
Et le pire, c'est qu'il ne peut se confier à personne, à cause de la surveillance constante exercée sur lui, pour ne pas risquer la vie de sa progéniture. Car il est vrai que tout le monde ferait n'importe quoi pour ses enfants. Tout le monde, sauf mes parents, visiblement.
— Sky, tu crois qu'ils vont nous faire faire quelque chose avant d'entrer ? demande soudain Léo, interrompant mes réflexions.
— J'avoue que je n'en sais rien. Je préférerais que non, mais ce ne sera certainement pas à nous de choisir.
— Et si je dois combattre ? s'inquiète-t-il en serrant son bâton dans sa main libre.
— Je ferais tout mon possible pour que ce ne soit pas le cas, tempéré-je, comprenant son inquiétude.
Mon petit frère, bien qu'il connaisse les bases du combat et ne se débrouille pas trop mal, a horreur de faire du mal aux autres. C'est d'ailleurs ce qui l'a amené à suivre une formation de guérisseur.
— Merci, souffle-t-il, rassuré.
C'est alors que je remarque le bâtiment, entre deux maisons. En pierres grossièrement taillées, pourvu d'une porte en chêne noir, il semble appartenir à un autre temps. Il a dû être construit il y a des années. Un lourd portillon en métal empêche l'entrée dans la demeure. Ce lieu représente exactement la description que nous en a fait Roy.
Des adolescents et jeunes adultes patientent à l'extérieur de l'enceinte. M'approchant, je lis le petit écriteau qui se trouve sur la barrière. "Centre d'approvisionnement pour les jeunes". Une bonne couverture, pour une organisation clandestine.
— On est arrivés.
Ces mots sonnent comme une sentence à mes oreilles. Ils ont un goût d'interdit, de mauvaise idée. Cependant, quoi qu'il nous attende après, je suis prête.
Les quelques jeunes présents attendent sagement devant le portail fermé. J'aperçois Matt parmi eux, un peu en retrait. Scrutant le périmètre à la recherche d'Ashley, je finis par me rendre compte qu'elle n'est pas encore arrivée. J'espère qu'elle sera à l'heure pour commencer...
À ce moment-là, un homme d'âge mûr sort du bâtiment. Avec sa moustache bien taillée, ses vêtements soignés et son épée pendant à sa ceinture, il m'a tout l'air d'un personnage aimant bien commander les autres mais ne bougeant pas le petit doigt pour les aider. Ses cheveux bruns foncés, coupés très courts, ainsi que ses yeux marron et froids contribuent à lui donner un air antipathique.
Il commence à faire entrer la vingtaine de jeunes et nous nous approchons de lui. Lorsqu'arrive mon tour, il me reluque de haut en bas avant de demander brusquement :
— Nom, prénom, et raison pour laquelle vous êtes ici.
— Je suis Sky Marinier, et voici Maurice, mon frère. Nous sommes ici pour... Entrer dans les bonnes grâces des Phénix, si je peux me permettre, soufflé-je en lui faisant un clin d'œil.
— Je vois très bien. Vous pouvez passer, cède-t-il en montrant la porte.
Les dernières personnes derrière moi finissent d'entrer, mais toujours pas de trace d'Ashley. Commençant à m'inquiéter, je regarde Léo, inquisitrice. Il hausse les épaules, n'en sachant plus. En effet, les arrivées se font seulement une fois par semaine, et si elle loupe celle-là, mon amie devra attendre six jours avant de pouvoir nous rejoindre.
Alors que le garde s'apprête à refermer le portillon, Ashley surgit à toute vitesse du coin de la rue, criant à ce dernier de l'attendre.
— Pourquoi devrais-je faire cela ? demande l'homme d'un ton bourru. Il y en a déjà assez.
Il continue à faire coulisser le portillon. C'est alors qu'Ashley, tentant le tout pour le tout, saisit son arc, une flèche et, un instant plus tard, laisse son projectile partir. La pointe s'enfonce entre les deux doigts du garde, qui gronde de colère. Les jeunes amassés autour de moi laissent échapper des murmures ébahis.
Je retiens mon souffle, m'attendant au pire. Ce garde n'a pas l'air de tolérer les écarts de conduite, ni les jeunes qui sapent son autorité.
— Alors toi... commence-t-il avant d'être coupé par une deuxième voix.
— Magnifique ! Incroyable ! intervient un homme aux allures de dirigeant. Tu es acceptée dans nos rangs, ma chère... Quel est ton nom ?
Je pousse un soupir de soulagement, me détendant. Nous sommes sauvés.
— Aisha, monsieur, répond mon amie, qui vient d'arriver à la hauteur de l'entrée.
— Bienvenue chez les Phénix, Aisha ! reprend-il. Quant à vous autres, suivez-moi à l'intérieur. Je vais vous expliquer les termes de votre admission.
— Elle a eu chaud, murmure Léo à mon intention.
— Oui, c'était moins une, je lui réponds sur le même ton avant d'entrer dans le bâtiment.
— Bien ! Un peu d'attention je vous prie. Vous pensiez peut-être que rejoindre les Phénix était facile ? Et bien, à vous de voir. En tout cas, vous n'y arriverez pas sans rien faire.
Son discours d'accueil rend peut-être fébrile les autres, mais moi il me laisse de marbre. Je n'ai qu'une envie : leur montrer ce que je vaux.
— Vous devez m'impressionner. Voilà ce qu'il faut pour que l'on vous accueille. Vous devez faire quelque chose que je n'ai pas l'habitude de voir, qui va m'exciter et me donner envie de vous recruter. S'il y a des volontaires, vers moi et montrez-moi ce que vous savez faire.
Je regarde Léo, partagée entre le soulagement et l'inquiétude. Il n'aura pas à se battre, mais je me demande comment il pourra impressionner l'homme. Il me rassure d'un regard confiant.
— J'ai seulement besoin que tu passes avant moi et que tu leur fasses un bel effet, me sourit-il.
Je hoche la tête. Déjà, les premiers volontaires s'avancent, mettant tout en œuvre pour satisfaire leur jury. Tandis que les uns se battent, d'autres tentent des actions qu'ils n'auraient pas le droit de faire, copiant Ashley, mais sans résultat. L'imitation n'est pas dans les codes de notre recruteur.
La plupart des jeunes sont invités à rejoindre mon amie, derrière l'homme, mais certains, jugés trop faibles ou inutiles sont renvoyés chez eux. Je me décide à m'avancer. C'est alors que je remarque Matt, qui me montre mes poignards.
— Excuse-moi, je... Je n'ai plus rien et je n'ai pas d'armes, est-ce que tu peux m'en prêter une, s'il te plaît ?
Le regardant de haut en bas, je ricane :
— Attends, tu es sérieux ?
— J'ai l'air de rigoler ? réplique-t-il, sourcils froncés.
— Écoute-moi bien ! Si tu penses ne serait-ce qu'un instant à me la voler, ou si tu l'abimes, tu me le paieras, ok ? sifflé-je.
— Je ne comptais rien faire de tout ça, me rassure-t-il avait dédain.
Cela me fait un pincement au cœur de parler comme ça à mon copain, mais je ne laisse rien paraître et gagne le centre de la pièce, après que la personne avant moi ait été acceptée. Une ébauche de plan se forme dans mon esprit : les paroles du recruteur m'ont donné une idée.
— Très bien. Je vais vous montrer que je peux arriver à entrer chez les Phénix sans rien faire, commencé-je. Y aurait-il deux ou trois soldats pour me combattre ?
D'un signe de la main, mon interlocuteur fit sortir trois personnes armées d'épées de l'ombre. Me regardant avec intérêt, il hoche la tête. Je sors mon poignard restant et le pose à ses pieds, puis vais m'assoir à même le sol. Il veut des surprises ? Il va être servi.
— C'est quand vous voulez, prononcé-je calmement.
J'inspire lentement, me préparant. Ma force est l'attaque, mais il est possible de se défendre tout en retournant les attaques des adversaires contre eux. C'est ce que je compte faire. Cependant, c'est un pari risqué. La moindre erreur de ma part et je suis morte. Littéralement.
Les trois soldats chargent simultanément vers moi et je ferme les yeux pour me concentrer. Le bruit de leurs pas me suffit pour déterminer à quelle distance ils sont. Lorsque je sens que le premier s'apprête à enfoncer son arme dans mon corps, je roule vers l'avant et passe entre les jambes d'un soldat, qui trébuche dans la poussière. Tombant à terre, il lâche son arme.
Il s'apprête à la récupérer pour retourner au combat, mais le juge lève la main. Que j'ai réussi à le désarmer lui suffit. Piteux, le soldat retourne à son ancienne place. Ouvrant les yeux, je me retourne vers mes deux autres adversaires. Je suis toujours au sol, accroupie dans une position d'animal, prête pour la suite.
Tout se passe alors très vite. Voulant sûrement prouver leur valeur, les deux soldats chargent vers moi, sans se concerter, désordonnés. Je recule lentement vers le mur. L'un d'eux, sûr désormais de sa victoire, me saute de dessus, mais je disparaîs soudain de sa vue. Emporté par son élan, il finit dans le mur et son épée tombe au sol.
Dans un même mouvement, je réapparais derrière l'autre soldat et lui touche doucement l'épaule. Il se retourne précipitamment, avec un grand coup d'arme, mais je me laisse tomber sur le sol. Furieux de s'être fait piéger par une adolescente, il grogne.
Cependant, je n'y fais pas attention : je suis prête à terminer le combat. Allongée à terre, j'attends que mon adversaire arrive à mon niveau. Je ne peux retenir un sourire sadique lorsqu'il abaisse son épée vers ma tête. Roulant dans la poussière, j'esquive. Dans un dernier mouvement, je balance mes jambes, fauche les siennes et le fais tomber à terre.
Poussant l'épée du bout du pied, je me relève, tête haute et regarde le recruteur. Ce dernier a les yeux fixés sur moi, bouche-bée.
— Cela vous convient-il ? demandé-je, sentant que j'ai réussi mon défi.
— C'est juste ce qu'il me fallait ! Viens ! s'exclame-t-il en me désignant le groupe d'élèves acceptés.
Je vais me poster à côté, et regarde mon frère s'avancer, la boule au ventre. Il n'a pas l'air angoissé, mais je remarque son poing serré, reflétant son stress. Il le cache bien.
— Vous voyez la jeune fille qui est passée avant moi ? C'est ma sœur. Si vous me refusez, elle partira avec moi, affirme-t-il, sûr de lui.
Je comprends alors pourquoi il voulait que je fasse vraiment quelque chose d'impressionnant. Parce que sa réussite dépend de moi. Un élan de fierté se répand en moi : décidément, Léo nous réserve beaucoup de surprises.
— Mais toi, que pourrais-tu apporter à notre société ?
Le juge a l'air partagé. D'un côté, il n'a probablement pas envie de me perdre, mais de l'autre personne n'est irremplaçable.
— Je suis guérisseur, et peux intégrer votre groupe en tant que tel, répond assurément Léo.
En voyant son interlocuteur hocher la tête, je comprends que c'est gagné. Son audace a payé, mais je pense que c'est le fait qu'il soit guérisseur qui a fait pencher la balance. Je me détends immédiatement. Plus que Matt, qui, je n'ai aucun doute, arrivera sans peine à impressionner le recruteur.
Et c'est ce qui se passe quelques minutes plus tard, quand il lui demande de le rejoindre au centre de la salle. Il lui serre la main, et de mon œil aguerri de voleuse, j'aperçois la montre de l'homme dans la main de mon copain. Puis, il lance mon poignard, qui atterrit en plein dans le mur.
— Je ne vois pas en quoi ce tour est sensé être impressionnant, déplore le recruteur, secouant la tête.
— Oh, vous vous en apercevrez dans quelques instants, affirme Matt en récupérant l'arme et me l'amenant.
— Je... D'accord, nous verrons bien.
Et effectivement, pendant que l'élève suivant, un des derniers, exécute des acrobaties, le recruteur s'exclame soudainement :
— Ma montre !
— Oups, rit Matt en la sortant de sa poche.
Quelques instants plus tard, il réitère la même opération avec toutes sortes d'objets appartenant au membre des Phénix. Un bouton, un lacet, une photo et quelques pièces sont rendus à leur propriétaire. Celui-ci, sidéré par tout ce qui s'est passé en l'espace des quelques minutes pendant lesquelles il était avec Matt, l'enjoint de prendre place près de moi.
Je soupire de soulagement. La première phase du plan s'est déroulée comme nous l'attendions. Maintenant, il nous faut simplement essayer de rester en vie. Et ça, c'est une autre affaire.
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