CHAPITRE 5 ✓
Réviser, lire, mettre en scène. Voilà presque deux semaines que nous avons reçu l'importante mission. Nous passons notre temps à nous entraîner et à apprendre nos rôles. Léo et moi devons aussi connaître les spécificités de l'autre, afin d'éviter toute incohérence.
Nous avons rapporté tout ce que nous a appris Roy au reste de notre équipe et au Maître. Ce dernier, fier de nous, nous a félicité, un grand sourire au lèvres.
Après avoir relu une dernière fois mes feuilles, je finis par me coucher. Comme à mon habitude, je ne peux m'empêcher de réfléchir avant de m'endormir. Ashley jouera finalement une jeune fugueuse, en désaccord avec ses parents quant à la manière de vivre, et cherchant donc un refuge loin de ses parents.
Matt, lui, adoptera le rôle d'un mendiant, pour qui l'opportunité d'avoir un toit et à manger est immanquable. Pour que nous puissions parler entre nous ensuite, il faudrait créer un lien en l'aidant - comme l'a si bien proposé notre stratégique Ashley.
Après quelques minutes perdue dans mes pensées, je finis cependant par trouver le sommeil, et m'endors paisiblement, bercée par les ronflements de mon amie.
***
Je me réveille quelques heures plus tard, reposée. Durant mes années à la Ligue, j'ai appris à me satisfaire de peu de sommeil, si bien que je peine à dormir plus de sept heures. Cela ne me dérange pas, j'aime bien être seule le matin, et remettre toutes mes idées en place.
— T'es réveillée ? chuchote soudain une voix que je ne connais que trop bien.
— Bien sûr, réponds-je sur le même ton. Tu sais bien que je dors peu le matin.
La tête joyeuse d'Ashley apparaît du lit d'au-dessus, à l'envers.
— On sort ? me demande-t-elle, les yeux brillants d'envie.
Elle descend prestement de sa couchette et pose ses mains sur mes épaules. Les secouant doucement, me suppliant presque, elle réitère sa proposition.
— D'accord ! finis-je par accepter, de bonne grâce. Ça me fera du bien.
— J'en peux plus de réviser ! J'ai l'impression de retourner avec mon père, bougonne mon amie tout en s'habillant.
En effet, dans notre royaume, les enfants ne sont pas obligés d'étudier dans un établissement. C'est aux parents de décider si, oui ou non, ils intégreront une école, ou si au contraire, les géniteurs leur enseigneront eux-mêmes ce qu'ils ont besoin de savoir. C'est ce que mes parents ont fait avec moi, tout comme le père d'Ashley.
Je me lève commence à enfiler une tenue noire et ample, tout en écoutant Ashley débiter son monologue à toute vitesse.
— J'ai tellement hâte de sortir ! Un peu d'action ne nous fera pas de mal ! Et puis, aller dans le cœur de l'ennemi, c'est enivrant ! L'enfermement commence à me peser, conclut-elle en soupirant.
— Je suis complètement d'accord avec toi. On a tous besoin d'un grand bol d'air, et je pense qu'on sera servis, complété-je, rangeant mes poignards dans leurs fourreaux.
— Allez, allons-y !
Je suis mon amie hors de notre chambre et nous entrons dans le Laby. Après avoir humé l'odeur qui y règne, je soupire de satisfaction. Elle a un goût de sécurité, ainsi que de chez-moi. Nos ombres se détourent faiblement sur les murs, créées par les torches qui luisent doucement dans la pénombre.
— Rattrape-moi si tu peux ! s'écrie soudain Ashley en partant précipitamment.
Réagissant au quart de tour, je pars à sa poursuite à toute vitesse. Le claquement de mes pas résonne alors que je m'enfonce dans les sombres couloirs du Laby. J'accélère, mais mon amie a un tour d'avance. Brusquement, elle tourne à gauche, m'obligeant à ralentir pour ne pas louper le boyau.
Ma respiration s'accélère au fur et à mesure que le temps passe. Je m'approche peu à peu de ma camarade de chambre, qui redouble d'efforts. Mais c'est sans compter sur ma grande endurance due à mes nombreuses années d'entraînement qu'Ashley n'a pas eu en totalité.
Depuis mon plus jeune âge, je m'entraîne à donner le meilleur de moi-même, et même plus. Cela fait neuf ans que je combats au poignard, que je fais du sport deux fois par jour. Ces neuf longues années ont changé ma vie, et surtout m'ont forgé telle que je suis.
Je la rattrape peu à peu et la dépasse. Puis d'un coup, je me retourne et la plaque au sol en poussant un grand cri. Elle éclate de rire et se retourne prestement en donnant des coups de poing dans tous les sens. Je riposte en lui faisant une clef de bras. Elle se tortille pour s'échapper alors je m'assois sur elle pour la bloquer.
Une idée me vient soudain. Je lâche son bras, et elle essaie de se dégager mais je la bloque en restant sur elle, mes jambes l'empêchant de bouger. Elle tourne la tête pour me regarder, impuissante. Je lui fais un clin d'œil et approche doucement mes mains de ses côtes.
— Oh non... Pitié, pas la torture !
Un sourire narquois monte sur mes lèvres tandis que je m'empresse de la chatouiller. Elle éclate de rire et se tortille dans tous les sens pour essayer de mettre fin au supplice. Mais je tiens et continue. Je ne peux pas m'empêcher d'émettre un petit gloussement en voyant son air dépité.
Elle s'est faite piéger et ne peut plus faire marche arrière. Je ris maintenant jusqu'aux larmes qui dévalent mes joues. Ashley ne peut s'empêcher de rire en me voyant. Je me plie en deux et suis obligée de cesser les chatouilles. Je n'en peux plus. Je hoquette et m'esclaffe de plus belle.
Roulant sur le côté, je tape du poing le sol en pierre, m'écorchant la peau. À côté de moi, Ashley se tient la vessie, et serre les lèvres, essayant de réprimer un gloussement. J'arrive à contenir mes larmes, je relève la tête et croise malheureusement le regard de mon amie. Repartant dans un grand éclat de rire, je m'affale par terre. J'ai mal au ventre mais je n'arrive pas à m'arrêter.
— Il... Faut... Qu'... On essaie de... Ne pas se ... Regarder, je souffle.
Ashley rit de plus belle en m'entendant parler ainsi. Je m'approche d'elle et la soutiens quand elle se relève. Je n'en peux plus. J'ai un énorme point de côté.
Laborieusement, nous parvenons à nous mettre debout, nous soutenant mutuellement. C'est seulement après que nous ayons marché quelques minutes que nos sursauts disparaissent.
— Ça fait du bien, commente Ashley, le souffle court.
Incapable de parler, je hoche la tête. Je me sens plus légère, comme si un poids s'était envolé de mes épaules. Mine de rien, la mission à venir me stresse beaucoup. Elle est importante et nous raterions une grande opportunité si nous échouions.
Lorsque nous arrivons dans la salle commune, les garçons nous attendent en bavardant gaiement, confortablement assis sur le canapé. Dès qu'ils nous voient, ils se lèvent pour venir à notre rencontre.
— Vous étiez où ? On vous a cherché partout ! demande Léo, décontenancé.
— On est sorties se promener, mais ça a un tout petit peu dégénéré, explique Ashley, désolée.
— Pas de problème ! On pensait qu'on pouvait réviser une dernière fois avant demain, propose Matt.
En effet, notre départ vers les Phénix est prévu pour le lendemain. Nous nous sentons prêts, mais il y a toujours une petite incohérence dans notre histoire, surtout Léo et moi, pour qui c'est plus grave. Il est important que nous ayons la même version des faits.
— Ça me va !
Ashley saisit Léo par la main et l'emmène à l'écart pour l'interroger. Quant à Matt et moi, nous restons près de la porte.
— Très bien. Présente-toi, exige-t-il.
— Je suis Sky Marinier, assuré-je d'une voix claire. J'ai dix-sept ans, et un petit frère qui est là-bas. Il a treize ans et s'appelle Maurice.
— D'où venez-vous ?
— Nous venons de la ville de Teltar, dans le sud du royaume, je réponds sans hésiter.
L'interrogatoire continue pendant de longues minutes, puis Matt rejoint Ashley pour vérifier les informations qu'il a recueillies. Après avoir débattu pendant quelques instants, ils nous annoncent avec joie que nous avons fait un sans-faute.
Je suis fière de nous, et serre mon petit frère dans mes bras, puis nous inversons les rôles. J'interroge Matt, qui joue son rôle de mendiant à la perfection. Il a toujours été excellent en improvisation et pour masquer ses émotions, alors il s'en sort très bien.
La suite de la journée passe à la vitesse de l'éclair. Nous profitons de nos derniers moments ensemble pour nous rappeler de vieux souvenirs, comme celui de notre rencontre. L'ambiance est très spéciale : fébrile, mais en même temps teintée de la tristesse de nous séparer. C'est le cœur lourd que nous allons nous coucher de bonne heure, afin d'être prêts et reposés pour le lendemain.
***
Lorsque je me lève, les souterrains de la Ligue sont encore silencieux. Leurs habitants, pour la plupart, dorment encore, mais pas moi. Je me rends dans la salle commune, mes poignards dans les mains, encore en tenue de nuit. Mes amis émergent peu à peu de leur chambre et une demi-heure plus tard, nous sortons de notre appartement.
Le trajet jusqu'à la cantine se fait en silence. Nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre. Après nous être servis, nous mangeons un petit-déjeuner bien solide puis nous nous dirigeons vers une autre salle.
Deux couturiers se sont occupés de nous confectionner des tenues adaptées à notre rang. Tout est fait pour que nos couvertures soient les plus crédibles possible et que nous ne rencontrions pas de problème qui nous mettraient dans l'embarras ou dans l'incapacité d'assurer la mission.
— Bien, les filles, venez avec moi, commence la première couturière lorsque nous arrivons.
Nous passons derrière un grand rideau puis elle me donne une tenue de combat noire sophistiquée, ainsi que de bonnes chaussures. J'enfile le tout, puis passe le fourreau posé à côté de moi autour de ma taille et insère mes poignards à l'intérieur. Une veste simple, de la même couleur que le reste de mes vêtements vient compléter ma tenue.
— Vous êtes enfants de nobles. Ton frère et toi aurez donc des vêtements et de la nourriture, m'explique ensuite la dame, revenant vers moi. Tu trouveras le tout dans ton sac à dos. Ton frère aussi en aura un.
Je hoche la tête en saisissant le bagage, pendant qu'Ashley attend patiemment que la couturière ait finit de lui détacher et ébouriffer les cheveux. Elle est habillée simplement, un carquois plein de flèches et son arc l'attendent non loin.
— Bien, vous pouvez y aller. Bonne chance.
— Merci beaucoup, prononcé-je en même temps que mon amie, avant de réapparaître dans la pièce.
Léo et Matt nous rejoignent peu de temps après. Mon frère est couvert d'une tenue de guérisseur en toile grise. Avec son bâton en main, sa sacoche sur son épaule et son air grave, il fait plus vieux que son âge.
Quant à Matt, il est presque méconnaissable. Des vêtements sales et déchirés couvrent son corps musclé, et son visage est noir et terreux. Cependant, malgré ses vêtements en piteux état, je le trouve toujours aussi beau. La saleté fait magnifiquement ressortir ses yeux verts émeraude.
— Allez, on y va ? Le Maître doit nous attendre à la sortie, propose ce dernier avant de prendre les devants.
Je le rejoins et marche à ses côtés. Nos épaules se touchent, et nos bras se frôlent à chaque pas. Le surnommé Terre, qui porte actuellement bien son nom, me regarde avec plein de malice en souriant.
Nous arrivons finalement devant l'une des innombrables entrées de Labyrinthe. Le Maître, masqué comme à son habitude, est déjà sur place.
— Bonjour, les Éléments. Votre nuit n'a pas été trop courte ? s'enquit-il.
— Ne vous inquiétez pas, nous nous sommes couchés de bonne heure, le rassuré-je.
— Bien. Sachez que je suis très fier de vous. Vous êtes la meilleure équipe que j'ai formée, et je ne veux pas vous perdre. Aussi, si vous voyez vos identités ou pire, vos vies menacées, il faudra que vous rentriez à la Ligue.
Mon cœur se serre alors qu'il prononce cette phrase. Nous n'avons jamais abandonné, je n'ai pas envie de le faire maintenant. Me prenant à part, le Maître me regarde d'un air grave.
— Flamme, en tant que cheffe, mais aussi en tant qu'amie, veille bien sûr les autres. Tu n'es pas la plus âgée, mais tu es la plus expérimentée. Je compte sur toi, insiste-t-il.
— Je ferais de mon mieux, Maître, promet-je fermement.
Après avoir dit deux mots à chacun d'entre nous, et rappelé où nous devons aller, notre professeur nous quitte, nous laissant seuls. Je serre Ashley dans mes bras, puis regarde Matt.
— On va vous laisser, propose Ashley en sortant, suivie de Léo. Ne faites pas de bêtises !
Dès que mon frère et elle sont sortis, je me jette dans les bras de mon copain.
— Hé, pas besoin de me faire tomber, je suis déjà plein de terre !
— Tu vas me manquer, avoué-je, alors qu'il me caresse les cheveux.
— Ali ! Peu importe qu'on soit séparés, on est forts ! J'attendrais le moment où l'on pourra se retrouver chaque seconde et si j'en suis capable, toi aussi ! murmure-t-il.
À ses mots, une douce chaleur envahit mon cœur.
— Je t'aime, Matt.
— Moi aussi, ma belle.
Il m'embrasse tendrement et nous sortons, prêts à affronter le monde.
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