Je me réveille de bonne heure. Trois jours se sont écoulés depuis mon altercation avec Gama. Trois jours passés à m'entraîner pour les tournois et à chercher en vain des informations que je pourrais rapporter à Léo. Aujourd'hui, c'est la veille des jeux. Tous les élèves doivent aller s'inscrire, choisir leur deux types de combats et leurs coéquipiers pour la réflexion.

J'en ai aussi appris plus sur les notations. Le but est d'avoir le moins de points possible. Pour les combats, c'est du un contre un. Les gagnants s'affrontent et ainsi de suite jusqu'à qu'il ne reste qu'une seule personne. Le premier obtient un point, le deuxième deux...

Pour la course d'orientation et la course simple, le nombre de point est donné en fonction de l'ordre d'arrivée. Et enfin, dans l'épreuve de logique, les examinateurs donneront entre un et vingt points à chaque équipe. Puis les juges feront le calcul et nommerons les gagnants.

Je me lève en silence et ouvre doucement la fenêtre. J'inspire l'air nocturne, qui s'engouffre dans mes poumons, frais et revigorant. Je ferme les yeux et laisse mon esprit divaguer.

La première personne à laquelle je pense est Lorin. Oh non. Encore lui. Je chasse notre mésentente de mes pensées et m'efforce de détourner mon esprit vers un fait plus joyeux.

Une présence soudaine à côté de moi me fait sursauter. Je tourne la tête et découvre Elena, qui se perche sur le rebord. Je l'imite et nous restons côte à côte, silencieuses : nous profitons juste du moment.

- Ça craint, hein ? murmure-t-elle au bout d'un moment, si bas que je ne l'entends presque pas.

- Oui... répondé-je sur le même ton.

Je me retourne pour observer Bianca et les triplettes qui dorment sereinement.

- Tout est tellement simple pour elles... soufflé-je.

- Qu'est ce qu'elles vont nous dire quand elle sauront ? s'inquiète la jeune fille, un éclat de tristesse dans ses beaux yeux violets.

- Franchement, je n'en sais rien... J'espère que, lors de la bataille finale, nous n'auront pas à faire de mal à nos amis, je souffle.

- De toute façon, je ne pourrais rien leur faire. C'est pour ça que j'ai essayé de m'attacher à peu de gens. Pour les préserver. Mais ça ne sert à rien. C'est inévitable.

- C'est dur pour toi aussi, n'est-ce pas ? je questionne ma camarade de chambre. De leur cacher ta vraie identité.

- Oui, même si je ne le montre pas et ai l'ai de me ficher de tout. C'est pour ça qu'au début, je me montrais froide, pour ne pas me lier aux autres.

- Je vois...

Je comprends mieux pourquoi elle ne m'adressait pas la parole quand on s'est rencontrées. Elle appréhendait la suite des événements.

- Mais tu es arrivée, avec ton mental de guerrière, et cela m'a rappelé qui j'étais vraiment. C'est ce jour-là que je me suis jurée d'être moi-même jusqu'à la fin, parce qu'on ne sais jamais quand la vie va se terminer.

Je médite ses paroles quelques secondes. Pour moi, c'est la même chose. Je ne peux pas me résoudre à être quelqu'un d'autre que moi. Changer de nom et d'histoire, je veux bien. Mais pas opprimer mon caractère et ma langue bien pendue.

- C'est exactement pareil pour moi, je lui réponds honnêtement.

- Tu sais quoi ? Au début, je pensais que tu me voulais du mal. Puis je me suis rendue compte qu'on était étrangement similaires. Tu sais pourquoi ?

Tout à coup, Chipie se met à parler dans son sommeil. Je me retourne vivement et constate qu'elle dort encore. Je réponds à Elena, plus doucement encore :

- Peut-être parce que la personne qui t'a élevée a été comme un père pour moi. Nous avons eu la même éducation...

- Oui... dit-elle l'air pas très convaincue. Tu crois à ces histoires d'égal ?

- Avant, je me demandais comment ça pouvait être possible. Mais maintenant je n'ai plus de doute quant à leur véracité.

- Je suis complètement d'accord...

Ce qu'aucune de nous deux ne dit, c'est que pour les jeux, cela risque de poser problème... Quoique peut-être que l'une finira plus fatiguée que l'autre ? Je ne sais pas du tout si deux personnes peuvent être à égalité. Je suppose que oui.

- La cloche ne devrait pas tarder à ...

La coupant dans sa phrase, la sonnerie retentit, réveillant nos quatre amis qui grognent, mécontentes. Je souris face à la précision d'Elena et nous descendons de l'avancée de fenêtre.

- Réveillez-vous, les dormeuses ! je m'écris, autant pour les triplettes que moi.

Je sautille doucement pour me mettre en jambes puis sors mes poignards, que j'astique pendant la préparation de mes amies. Une fois ma tâche terminée, je les rengaine et apostrophe les filles :

- Vous venez ? Si on ne veut pas faire la queue pour l'inscription, il faut se dépêcher !

- Oups ! Deux minutes ! Je me dépêche, promet Bianca.

Après quelques cris et jurons, nous sortons de la chambre en courant, afin de minimiser l'attente. En chemin, je prends Bianca à part.

- Si tu veux, tu peux te mettre avec Adam, Elena et moi pour la logique, lui proposé-je.

Les équipes pouvant aller de trois à quatre, Bianca est la bienvenue dans le petit groupe que nous avons formés. De toute façon, Adam et moi étant nuls en logique, je doute qu'on ait une bonne note. Notre seul point fort est notre amie aux beaux yeux violets... Enfin, peu importe.

- C'est gentil, mais je vais me mettre avec les triplettes, affirme-t-elle en hochant la tête. Je n'ai pas été très juste avec elles avant ton arrivée, et je compte réparer ça, parce que je les aime vraiment. Tu ne m'en veux pas ?

- Tu sais que tu es vraiment une belle personne ? Bien sûr que je ne t'en veux pas ! À vrai dire, peut-être qu'en mon fort intérieur, j'espérai que tu dises ça, je ris.

- Tant mieux alors !

Un sourire illumine son visage et nous rejoignons les autres. Après un rapide petit déjeuner, nous nous rendons en vitesse vers le rez-de-chaussée. Les couloirs sont remplis de jeunes allant et venant dans tous les sens, si bien que je ne vois presque pas devant moi, et ce n'est pas ma petite taille qui va m'aider. Finalement, après de nombreux efforts, me rends compte que nous sommes presque arrivés.

- Bon, à tout à l'heure, me salue Bianca en se dirigeant vers la partie "combat d'armes particulières", sûrement pour s'inscrire au fouet.

Je lui souris et suis Elena vers celle des "duo d'armes courtes". Comme je l'avais prévu, nous combattons toutes les deux dans les mêmes catégories. J'ai vraiment hâte. Nous nous posons à l'arrière de la file et attendons notre tour.

J'observe un peu les gens que je vais potentiellement avoir à combattre et aperçois quelqu'un que j'aurais volontiers enterré tout entier. Gama. Je serre involontairement les poings, alertant Elena. Elle suit mon regard et découvre l'homme aux longs cheveux noirs.

- On dirait que tu t'es fait des ennemis... constate-t-elle en croisant le regard assassin de Gama.

- Malheureusement, oui...

Elle pose une main sur mon épaule.

- Fais attention à toi, quand même. Un homme en colère est aveugle. Mais un homme emplit de haine est d'autant plus dangereux.

Je suis surprise par la sagesse de ses paroles. Oui, Gama pourrait devenir incontrôlable. Mais en même temps, c'est lui qui me provoque à chaque fois ! Ce n'est pas dans mon tempérament de me laisser faire.

- Je suis complètement d'accord. Mais n'oublie pas qu'une Sky en colère peut causer de sacrés dommages.

- Alors ça, je n'en doute pas ! rit mon amie. N'empêche, ne fais pas de bêtises. Je commence à tenir à toi, tête de mule.

Ses paroles me réchauffent le cœur. Je hoche la tête, sérieuse.

- Excusez-moi ? On a pas toute la journée ! intervient soudain une voix.

Je tourne la tête vers la femme qui a prononcé ces mots. Ah, mince. C'est à Elena et moi qu'elle a parlé.

- C'est bon, Anna ! Pas besoin de faire ta rabat-joie ! Je reprends la place, annonce une voix que j'ai déjà entendu quelque part.

Je reconnais immédiatement Sheela, la belle professeur de combat aux cheveux noirs.

- Vous parliez de Gama ? demande-t-elle sans préambules.

- Heu... Oui, dis-je après avoir consulté Elena du regard.

- Il vous a embêté ? Il se comporte mal ? C'est ça ! Oh, j'en étais sûre ! Et qu'est-ce qu'il a encore fait, cette fois-ci ?

- Ne vous inquiétez pas... On gère. Enfin, à peu près, répond mon amie après m'avoir lancé un coup d'œil éloquent.

- J'irai lui dire quelque mots, s'entête la professeur.

- Ce n'est pas la peine, Sheela ! Vraiment, prometé-je.

- Mais je vais me gêner ! Mon petit frère a souvent besoin d'une bonne leçon ! Alors, que s'est-il passé ?

-Votre... Votre frère ?

Incrédule, je regarde attentivement les deux adultes. Ils ont tous deux de longs cheveux noirs et lisses, ainsi que des yeux noirs profonds. Mais là s'arrête la ressemblance. Dotée d'une peau bronzée qui contraste avec celle, pâle, de son frère, Sheela est petite et a un visage lumineux et souriant. Tout le contraire de Gama.

- Et oui... On a pas tous de la chance niveau famille, dit tristement la combattante. Vous savez quoi ? Je veux bien ne rien lui dire, mais vous me racontez tout. Enfin, vous n'êtes pas là pour ça. Donnez moi vos noms, prénoms et armes.

Encore sous le choc, je laisse Elena commencer. Je n'arrive pas à y croire. Mais il faut bien que je me résolve à parler.

- Sky Marinier, deux poignards.

- Parfait. Rubis ! enchaîne-t-elle. Tu peux reprendre ma place, s'il te plaît ? J'ai quelque chose à dire à ces demoiselles.

Elle nous entraîne dans un coin calme. Je lui raconte alors comment j'ai vaincu Gama lors de notre première rencontre, puis la manière dont il a traité Léo. Au fur et à mesure de mon récit, les traits de mon interlocutrice se tendent. Elle crie :

- Je vais le...

- Non ! Il va être d'autant plus énervé ! S'il vous plaît, laissez moi essayer de gérer cette affaire. Si ça dégénère, je viendrai vous voir ! Promis.

Elle capitule, mais nous recommande de faire attention à nous, et nous cherchons Adam dans la foule qui remplit la salle d'audience. Nous finissons par le trouver, non loin de la file pour la logique.

- Salut les filles ! Je vous ai pas trop manqué ? s'écrit Adam quand nous arrivons.

- Un tout petit peu, rigolé-je en écartant les doigts. Comme ça.

- Hé ! C'est pas très sympa ! proteste le blond, les sourcils froncés.

J'écarte les bras.

- Bon, comme ça alors.

- Je préfère ça, dit-il, un grand sourire collé au visage.

- Bon, on y va ? Sinon on y est encore demain, râle Elena.

Après presque une demi-heure de queue, nous arrivons devant le professeur de réflexion et remplissons le formulaire. Après avoir quitté Adam, j'ai une illumination.

- Et ! Je viens de me rappeler ! Elena, on a oublié de s'inscrire pour le combat au corps à corps ! Mais ce qu'on est têtes en l'air !

Nous courons vers le stand, devant lequel il ne reste quelques personnes. Zut. Le professeur qui le tient n'est autre que Lorin. Je souffle lentement pour ne rien dire qui serait de trop. Après cinq minutes, nous arrivons devant l'aigri personnage.

- Bonjour Elena. Sky, siffle-t-il en me regardant de travers.

Je ne réplique pas et m'efforce de ne rien laisser paraître.

- Alors, on a perdu sa langue ? Quel dommage... ricane le professeur.

Je secoue la tête et Elena sourit doucement. Il ne faut absolument pas que je m'énerve. Pas la veille du tournois, alors que Lorin va faire partie des juges. Alors je fais profil bas et ignore les piques de mon ennemi favori.

- Nous venons nous insrire toutes les deux, le coupe Elena, désireuse d'en finir au plus vite, alors qu'il reprend son monologue.

- Je l'avais compris, merci. Me prendrais-tu toi aussi pour un imbécile ?

- Ce n'était pas mon intention, réplique Elena. Mais si vous tenez vraiment à vous faire passer comme tel, continuez ainsi. Vous êtes sur la bonne voie.

Elle tourne les talons et s'en va, m'entraînant avec elle. Et tandis que je me retiens de rire face à la tête qu'a fait le professeur, je me promets intérieurement :

"Lorin, sache que ce n'est pas terminé entre nous. Aujourd'hui, je me maîtrise, mais demain est un autre jour..."