Un bruit de clochette me réveille une heure plus tard. Contre toute attente, je me suis endormie sans problème après l'incident de cette nuit. Une douce lueur dorée éclaire la pièce et je peux apercevoir mes camarades se frotter les yeux d'un air ensommeillé.

Une des triplettes - Garce, je crois - se lève doucement en grognant. Tout en l'imitant, je réprime un bâillement et me prépare pour cette longue journée de cours. Bianca, qui s'est levée il y a un instant, est en train de fouiller dans mes affaires. Je la regarde faire les sourcils froncés, étonnée par ce geste.

- Tu fais quoi ? demandé-je, espérant qu'elle n'ait pas oublié notre conversation de la veille.

- Oh, je cherche ton emploi du temps pour comparer nos cours, me rassure-t-elle sans cesser de s'affairer. Avec Elena, on est presque tout le temps ensemble, comme la plupart des gens qui sont dans la même chambre. Alors je voulais voir si toi aussi... Ah, le voilà !

Rassurée, je me lève et commence à le préparer. Le regard de la jeune blonde s'éclaire et je me dis qu'au fond, cette fille a vraiment une belle personnalité. C'est juste qu'elle ne sais pas comment se comporter devant des personnes qui ne la montent pas sur un piédestal. Ce que je peux comprendre, si c'est ce qu'elle a vécu depuis son enfance.

- C'est super, on a les mêmes cours, comme avec Elena... Sauf celui de logique et réflexion. Celui-là, on est séparées. Dommage... On s'amuse bien là-bas.

Un petit sourire apparaît sur mes lèvres : je suis heureuse d'être avec mes camarades, maintenant que nous avons réglé nos différents. Soudain, je me remémore les paroles de Bianca. Oh, non... Un cours de réflexion ? Ce n'est pas possible ! J'ai une poisse énorme. Je suis la pire bille en logique et comme le disait si souvent Ashley à la Ligue, je ne réfléchis pas assez avant d'agir... Dépitée, je me rends compte que je ne risque pas de briller.

Enfin, je verrais bien avec qui je serais. Si ça se trouve c'est une classe qui regroupe différents âges... Mais qu'est-ce que cela changerait ? Je ne peux me permettre de paraître proche d'Ashley.

- Vous venez, on va déjeuner ?

Ma camarade aux yeux violets se tient devant la porte de la chambre et attend notre assentiment pour sortir. Ses paroles entraînent de petits gargouillis dans mon ventre et je me rends compte que j'ai faim. Tout le monde opine et nous quittons la pièce. Les couloirs se remplissent peu à peu d'élèves à peine réveillés, tous divergeant vers le réfectoire.

Nous avançons au rythme de la foule, en bavardant gaiement. Puis je me sens coupable. Si je ne suis là, ce n'est que pour faire tomber les personnes qui les ont accueillies. J'aimerai tellement leur dire que je ne suis pas Sky, mais Alissandre, que je ne leur veux pas de mal, à elles, qu'elles pourraient m'aider...

Mais je ne le peux pas. Enfin, pas tout de suite. Si un jour on est découverts, alors je trouverai peut-être le moyen de venir tout leur expliquer. Et j'espère qu'alors elles me comprendront. Parce que sinon, je ne me le pardonnerai pas.

- On mange ensemble ?

Le repas se déroule parfaitement. J'aperçois Ashley, Matt et Léo, ce dernier m'ayant fait un signe de la main. Mais, comme tout bon moment a une fin, je dois me résoudre à le rendre au cours de logique.

Nous sortons du réfectoire et après un "à tout à l'heure !", je me dirige vers la salle correspondante. Devant attendent déjà plusieurs personnes. Ashley est là. Elle sera à sa place, ici : la logique est une de ses disciplines préférées.

Le professeur arrive et me toise. C'est un petit homme grisonnant à l'air grognon. Ses yeux gris, dédaigneux ne m'inspirent rien. Il dévérouille la salle, les sourcils froncés et la bouche retroussée en un rictus désagréable. J'attends cependant de voir comment il se comporte avant de me forger une opinion.

Lorsque nous entrons, je me rends compte qu'on est moins que je ne le pensais. Il y a Ashley et son amie, deux garçons qui ont l'air d'avoir mon âge et moi. Cinq, c'est peu... Mais c'est sûrement pour avoir une meilleure atmosphère de travail...

La salle est plutôt grande, pour le peu que nous sommes. Six chaises sont disposées en arc de cercle devant un bureau, que j'identifie comme celui du professeur. Une grande fenêtre taillée dans la pierre éclaire la pièce. Au fond de la salle se trouvent d'autres bureaux, sûrement pour les élèves.

Le professeur ferme la porte et s'assoit à sa place, tandis que nous nous installons sur les chaises disposées autour. Une cependant reste vide. Peut-être y a-t-il une personne absente ?

- Bonjour à tous. Je vois qu'il y a des nouvelles. Je suis le professeur Kyriel. Comme vous le savez sûrement, j'enseigne la logique et la réflexion. Je ne tolèrerais aucun manque...

La porte en bois s'ouvre violement, le coupant au beau milieu de sa phrase. De l'ouverture jaillit Adam, tout sourire, qui s'avance gaiement dans la salle. Je me retiens de rire face à l'expression de Kyriel, qui essaie sans succès de garder son calme.

- Excusez-moi m'sieur, mais j'avais besoin de temps pour me préparer ! s'exclaffe le garçon, l'air aucunement désolé.

- Adam, tu n'arriveras donc jamais à l'heure ? rouspète le professeur en secouant la tête.

- Si j'avais su qui participerait à ce cours, répond le blond en me faisant un clin d'œil, je serai même arrivé en avance !

Il ferme la porte derrière lui et vient s'asseoir à côté de moi. Kyriel souffle, mais ne proteste pas. Il doit avoir l'habitude du retard de celui que je suppose être le cancre de la classe. Étonnement, je ne suis même pas surprise de l'image qu'Adam montre de lui ici. Elle correspond bien à ce que je m'étais imaginé.

Il n'empêche que je suis contente de le revoir. Il est vraiment sympa, ce garçon.

- J'ai raté quelque chose ? me demande Adam en passant sa main dans ses cheveux.

- Non, il s'est juste présenté...

- Un peu de silence ! Adam, tu es déjà arrivé en retard, alors ne déconcentre pas ta camarade, me coupe le professeur, les sourcils froncés. Les nouvelles, veuillez vous présenter rapidement, sans oublier vos points forts et faibles.

Ashley me regarde puis commence :

- Je m'appelle Aisha Lebane et j'ai quinze ans ! Je maîtrise le tir à l'arc et j'adore élaborer des plans ! Et j'ai du mal avec le combat au corps à corps et être discrète, conclut-elle en prenant un air désolé.

Je vois bien que Kyriel l'aime déjà, à la manière où ses lèvres se rebiquent en un petit sourire et lorsqu'il se redresse en entendant la réponse de mon amie. Il doit être le genre de prof qui ne supporte que les élèves qui apprécient sa matière... Alors, quand il se tourne vers moi, je sais que je ne vais pas lui plaire et qu'il n'y aura pas de courant entre nous.

Enfin, façon de parler. Je parle d'un courant d'appréciation, et non d'amour.

- Je m'appelle Sky Marinier et j'ai dix-sept ans. Mes points faibles sont la réflexion et le tir à l'arc, et mes points forts, le combat au corps à corps et au poignard, je complète en lançant un regard noir aux deux garçons qui me lorgnent d'un peu trop près.

- Skyounette la guerrière ! J'ai drôlement peur, se moque Adam à voix basse.

- Tu feras moins le fier quand je t'aurai coupé la langue, retorqué-je, malicieuse.

- Tu n'as même pas réagis au surnom ! Tu vois, tu commences à t'y habituer, ricane le blond, fier de lui.

- Tu peux toujours rêver, soufflé-je.

À la suite de ma déclaration, Kyriel me lance un regard déçu et passe à autre chose. Mais je m'en fiche : je ne suis pas venue ici pour me faire apprécier des professeurs.

- Bon. Maintenant que les présentations sont faites, mettez-vous en groupe de deux pour débattre de la stratégie que vous allez adopter. Nous allons continuer les exercices d'y a une semaine. Je vais vous distribuer des plans. Vos partenaires vous expliquerons, ajoute-t-il pour Ashley et moi.

- On se met ensemble ? me demande Adam en voyant les deux garçons me regarder avec des yeux suppliants.

Je lance un regard noir aux garçons, ennuyée par leur comportement et opine joyeusement. Au moins, avec lui je ne m'ennuierai pas. J'attrape la grande feuille que Kyriel me tend, puis nous nous installons au fond de la salle.

- Il faut inventer un plan et une stratégie d'attaque dans cette maison. Certaines données sont écrites, et d'autres non. La semaine dernière, on a étudié le plan... m'explique mon compagnon.

Je me concentre et observe le lieu. Il y a un grand jardin et il est indiqué que le logement est habité par quatre personnes. Sachant qu'on ne serait que deux pour l'opération, (comme précisé en bas de la feuille) il faudrait forcément se séparer.

Je comprends qu'il y a un coffre, qu'il faut récupérer sans qu'il ait subit de dégât. Adam et moi devons coopérer pour trouver un plan. J'imagine tout de suite quelque chose d'un peu farfelu, mais qui pourrait marcher.

- Je propose de partir sur une attaque en plusieurs points, intervient Adam, me coupant dans ma réflexion. Il faudrait détourner l'attention des gardiens. Ou alors être totalement invisibles. Ça pourrait marcher, car ils ne seront pas prévenus qu'on sera là.

- Tu parles comme si ça allait vraiment se passer ?

Adam sourit et passe une énième fois sa main dans ses cheveux blonds.

- Totalement, Skyounette ! On fait un plan, puis on attaque une maison faite pour ça !

- Comment ça ? On va kidnapper des innocents ?

- Mais bien sûr que non ! répond-il en souriant. Cette maison est habitée par des gens des Phénix, qui restent là-bas et qui, de temps en temps, accueillent des élèves qui s'entraînent. Ils ne savent pas que nous irons tout à l'heure, ce sera donc comme un assaut surprise !

- D'accord !

Tout à coup, le cours devient plus intéressant. Parce que faire des plans, ça va quelques secondes, mais, si on les applique après, c'est beaucoup mieux ! Beaucoup plus emballée, j'embraie :

- Alors dans ce cas là, je ne suis pas d'accord avec toi.

- Sur quel point ?

- Si j'ai bien compris, ils ne sauront pas non plus notre nombre ?

J'attends qu'il ait acquiescé pour continuer :

- Alors, il faut que l'un de nous les retienne pendant que l'autre entre et vole le coffre. Au moins, on aura pas à réfléchir. Je suppose que toi non plus, tu n'es pas très bon pour trouver des alternatives...

- C'est pas faux, avoue le blond, mais un contre quatre ! Je veux bien être fort au combat, mais quand même ! Ils ont étés formés ici, ce sont des habitués...

- Quel âge ont-ils ? demandé-je, une idée derrière la tête.

- Dans les vingt ans, je crois... C'est à peu près toujours la même tranche d'âge. Pourquoi ?

- C'est parfait alors ! À cet âge là, les garçons veulent juste impressionner les filles, ainsi que jouer les machos.

- C'est pas vrai ! Bon, si peut-être un peu, ajoute-t-il devant mon air indigné.

Je réfléchis. Oui, ça pourrait marcher. Bien sûr, il y aura surement des filles, mais cela fait déjà au moins un adversaire qui sera plus facile à vaincre. L'arrogance est souvent un point faible en combat.

- Tu veux bien écouter mon idée ? je demande.

- D'accord, dis-moi tout.

- On se débrouille pour attirer au moins trois personnes que j'essaye de retenir le plus longtemps possible. Au pire, il t'en restera un. Le tout est que tu fasses le moins de bruit possible pour ne pas attirer les miens. Tu voles la boîte et on s'en va.

Adam me regarde bizarrement.

- Tu sais, j'ai pas l'habitude de laisser la vedette aux autres, sans vouloir te vexer.

- Je sais bien, mais j'ai l'habitude du combat à plusieurs. Et puis, j'ai un argument imparable.

- Lequel ?

- Je ne supporte pas de ne pas combattre. Et quand je suis irritée, il ne vaut mieux pas se trouver sur mon chemin, je déballe avec un grand sourire.