1. Mikhail
Bienvenue dans le dernier livre de Nolim !
Évidemment, pour arriver ici, il vaut mieux avoir lu les 6 précédents, quelques spin-offs, etc.
Une musique d'accompagnement se trouve en haut de ce chapitre.
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Mikhail avait passé toute la nuit dans son fauteuil à écrans, absorbé par les holographies 3D qui occupaient son champ de vision, lisant des rapports, rédigeant des rapports. Ce n'était pas la première fois que son travail éreintant de directeur de la Section 9 du BPS prenait le pas sur ses heures de sommeil. Okrane d'une cinquantaine d'années, terrien de souche mais passé par plusieurs universités martiennes très réputées, Mikhail était chargé de suivre, d'évaluer, de catégoriser les influences et menaces d'origine extraterrestre, de nature à perturber la sécurité de la Terre et de sa zone spatiale exclusive. Tous les mois environ se présentait une nouvelle source d'ennuis, par exemple un astronef non répertorié circulant à proximité de la Terre, ou une broutille diplomatique avec une planète de la Conférence. Après quelques nuits blanches, le tumulte disparaissait aussitôt qu'il était venu.
Du reste, il se situait souvent en amont des problèmes, et son rôle se résumait souvent à briefer une autre instance du Bureau – par exemple la Section 2, du suivi des débris spatiaux, ou la Section 7, des activités diplomatiques. Quant aux aéronefs suspicieux rôdant dans le système stellaire, tant qu'ils n'entraient pas dans l'espace terrien réservé, ils ne relevaient pas du BPS, mais de la Division 1.
Mais cette nuit-là, pour la première fois, l'urgence avait primé sur la qualité de ses rapports et de ses messages, et Mikhail s'était trouvé à quatre heures du matin en train de rédiger des notes de service au phrasé impardonnable. C'est la fin, s'était-il dit alors, il ne me reste plus qu'à démissionner. Puis il s'était endormi sur ses écrans.
C'est alors qu'il entendit des coups à la porte.
Mikhail se réveilla en sursaut et son bras s'écrasa dans un des écrans suspendus devant lui, dont il froissa le film plastique souple. Mikhail jura, tenta vainement de défroisser son gilet de flanelle, tira les manches de sa chemise de lin, remit son col, et avant même qu'il eut le temps de s'extraire de son confortable fauteuil, la porte s'ouvrit.
C'est impossible, se dit-il. Il n'y a qu'une carte d'accès.
Ce n'était pas la première fois que la Section 9 se serait confrontée à l'impossible, et Mikhail décida de prendre un air imperturbable, à la manière des plantes carnivores dont la collection encombrait son petit bureau. Il joignit les mains et fronça les sourcils.
Les deux agentes B2 entrèrent en esquissant un salut réglementaire. Mikhail n'avait pas besoin d'être réveillé pour comprendre que quelque chose clochait : les locaux du Bureau à Paz n'hébergeaient que cinq cent personnes à temps plein, dont il connaissait tous les noms et les visages. Ces deux femmes blondes venaient d'un autre Bureau. Elles auraient pu être jumelles, auquel cas celle de gauche – Ocel, matricule GX487-B2, selon la bande patronymique – s'était sans doute fait décolorer le sourcil droit pour se différencier de celle de droite – Bettina, matricule GZ550-B2. Toutes deux portaient l'uniforme à veste pare-balles du B2.
« Mikhail-sen, nous sommes venues vous escorter jusqu'à Cyra, exprima l'agent Ocel dans un panterrien teinté d'un accent slave.
— Et qu'irais-je faire à Cyra ?
— C'est un ordre du directeur général.
— Il aurait pu me prévenir, grommela Mikhail en ouvrant le quadrant dans sa main, avant de constater que c'était le cas – le message était arrivé à quatre heures trente, à peu près au moment où il rêvait qu'il se faisait courser par un lion dans une jungle, qu'une plante carnivore avait fini par avaler.
— Nous manquons de temps, Mikhail-sen. Notre décollage est prévu dans une heure.
— Décollage ?
— Vous êtes attendu à Cyra dans quatre heures. Un stratojet a été affrété exprès pour vous. »
Nous sommes en 2387, songea Mikhail. Le Starnet remplit très bien son office. Si le directeur voulait me voir en personne, il n'avait qu'à m'envoyer une demande de connexion. Pourquoi brûler dix tonnes d'hydrazine et casser des noyaux de thorium pour transporter mes soixante kilogrammes à la direction générale ?
Son esprit faisait le tour de la question, mais seule sa conclusion franchit ses lèvres tandis que la porte de son bureau coulissait derrière lui.
« Je suis viré, c'est ça ?
— Je suis désolée, exprima l'agent Ocel avec une politesse glaçante, car dénuée de toute émotion. Je ne suis pas habilitée à en savoir plus. »
Mikhail fronça sévèrement des sourcils et se laissa guider à travers les locaux, jusqu'à la voiture électrique déjà réservée qui attendait à deux pas de l'entrée. Ses pensées s'agitèrent sur le chemin de l'astroport. Peut-être s'agit-il d'un enlèvement, songea-t-il. Pourtant, notre propre service de sécurité a confirmé leur accréditation. Et elles sont bien en mission ordonnée par le directeur. Le directeur s'est-il trompé de bouton quelque part ?
Il n'avait pris un stratojet qu'une poignée de fois dans sa vie et son estomac s'en remettait à peine. C'était le moyen le plus rapide pour se rendre d'un point du globe à un autre, et aussi, le plus coûteux. Le BPS ne possédait aucun tel appareil et avait dû réserver un vol auprès d'une compagnie commerciale. Le fuselage argenté de l'appareil, sorti d'un hangar à l'écart de l'astroport, lui apparut de loin. À peine monté, deux hôtes s'empressèrent de lui ôter sa veste et de lui proposer une collation, avant de le pousser dans un fauteuil en cuir véritable. Scandalisé par ce luxe aux frais du contribuable terrien, Mikhail fut forcé d'admettre que le siège rivalisait en confort avec celui de son bureau. Il demanda un écran et reprit son travail, non sans jeter de discrets coups d'œil vers les deux agentes.
Le B2, instance méconnue du grand public, portait un nom à rallonge dont se dispensaient les membres du BPS. Il était le Bureau dans le Bureau, une unité qui ne sortait de sa tanière que sur ordre de la direction générale, pour épauler une autre Section ou pour mener une enquête interne. Mikhail se représentait les membres du B2 comme des almains froids et distants, à raison. Ces deux femmes n'étaient pas ses collègues, ni même ses subordonnées ; elles appartenaient à un monde distinct du sien, dont elles ne sortaient que pour intervenir là où le Bureau Panterrien de Sécurité avait échoué.
Ce qui l'amena naturellement à la question cruciale.
« Qu'est-ce que j'ai fait ? »
L'agent Ocel tourna la tête vers lui. À la faveur d'un rayon de lumière traversant le hublot, il remarqua qu'elle portait des lentilles de contact imprimées, sortes d'implants oculaires peu invasifs. Adepte de l'écran physique, Mikhail se trouvait dans la même position qu'un employé de bureau imprimant ses courriels au milieu du XXIe siècle.
« Je ne suis pas habilitée à répondre à cette question, Mikhail-sen. Vous le saurez à Cyra. »
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