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63. Métaphysique du yaourt


Tout homme a ses illusions, ses rêves, ses souvenirs. Leur agrégation forme ce que l'on nomme un monde intérieur.

Outa-Napishtim, le devin des dieux, est le seul homme de l'histoire à n'avoir sans doute connu ni illusions, ni rêves. Condamné par les dieux primordiaux à l'immortalité et à la connaissance de l'avenir, le passé, le présent et le futur étaient pour lui de la même matière. Sa malédiction l'empêchait de se faire une quelconque illusion sur le monde ; il avait toujours raison sur tout, mais ne contrôlait rien. L'univers était comme un rêve incapable de lui obéir, un cauchemar dont nous n'aurions tous été que les ultimes produits.

Caelus, Histoire de l'Omnimonde


Richard Broker s'était essayé plusieurs fois à entrer dans les esprits des gens. Ils en avaient rarement conscience, car les hommes sont souvent absents de leur monde intérieur. Tel un cambrioleur explorant une résidence secondaire laissée à l'abandon, Broker trouvait ainsi de nombreux secrets laissés à découvert. Le souvenir d'une maîtresse attendait dans une pièce isolée de la demeure. Dans une cave obscure, un placard fermé à clef tremblait de peurs profondément enfouies. Sur le bord de la piscine, un amour de jeunesse, au visage affadi comme celui d'une vieille statue, se laissait dorer au soleil.

Broker se contentait de passer et d'observer. Sur les réseaux sociaux, la personne afficherait une photo de l'anniversaire de ses cinq ans ; ici, dans l'envers du décor, la pièce de l'anniversaire donnait sur une cour clôturée de barbelés, où grondait encore le chien qui l'avait mordue le même jour. Sur internet, on trouverait peut-être une photo de vacances avec une des femmes de sa vie, mais il n'y a qu'ici qu'on découvrirait que, même marié depuis dix ans, il ne rêvait que d'elle et n'avait jamais cessé de la regretter.

Mais les mondes de l'esprit sont fragiles, et comme toute exploration noosphérique, on peut s'y mettre soi-même en danger ; le lendemain, un chien avait mordu Broker à la main et durant plusieurs semaines, il avait rêvé de cette femme qu'il n'avait jamais connu. Il n'était encore qu'un débutant ; un jour, il saurait manipuler les humains en modifiant l'agencement de leur monde intérieur. Il suffisait de remonter l'armoire de la cave, de l'entrouvrir pour engendrer la peur ; il suffisait de traîner l'amante d'un été dans le salon pour déclencher une vague de doutes et de regrets. Jusqu'ici l'argent lui permettait de rendre les hommes malléables à ses désirs, mais les pouvoirs de l'esprit viendraient à le supplanter.

« Eh bien, eh bien, eh bien. C'est ce qui s'appelle renverser l'interrogatoire. »

La forme astrale d'Adrian zon Zögarn était celle d'un homme un peu plus jeune, de même que Broker. Seule différence notable avec le réel, un chapeau était venu compléter son costume de monsieur Loyal.

« Bienvenue chez moi, monsieur Broker. J'espère que c'est à votre goût. »

Richard fit quelques pas vers Adrian, arrachés à une vase épaisse qui remontait jusqu'à ses genoux. Ils étaient en plein air, ce que l'homme d'affaires, dont l'expérience en mondes intérieurs se résumait à sa secrétaire et deux agents de sécurité, trouva inhabituel. Le ciel était d'un gris laiteux, parsemé d'épais nuages, qui jetaient sur eux des ombres arrondies.

Broker baissa les yeux. Il marchait dans une pâte blanche, légèrement translucide, visqueuse mais sans mémoire de forme. L'odeur désagréable, car exagérée, lui rappelait quelque chose. Il regarda Adrian en baissant les bras.

« Oui, monsieur Broker, ceci est une mer de yaourt. Pourquoi du yaourt ? C'est une excellente question, à laquelle il se trouve que j'ai déjà réfléchi. Je pense que le yaourt représente la transformation. Le lait liquide, par l'action de ferments lactiques, devient une matière solide. N'est-ce pas fascinant ? Je me suis moi-même beaucoup transformé au cours du temps. Par exemple en faisant pousser cette moustache. J'ai été tantôt lait écrémé, tantôt fromage, tantôt yaourt. De ma matière originelle, je recherche la transformation qui fera de moi ce que je devais être réellement. J'ai toujours eu le choix entre la poésie, la science, la philosophie, la politique, j'ai toujours fait un peu de tout, et peut-être ne suis-je moi-même qu'en faisant tout à la fois. Qu'en pensez-vous ? »

Je m'en fiche, allait répondre Broker, quand Adrian s'exclama :

« Oh, mais voilà Socrate ! »

Il s'empressa de courir en direction du célèbre penseur grec, avec force clapotis et projections de grumeaux blanchâtres. Broker n'avait d'autre issue que de le suivre. Présent à lui-même, Adrian était seul maître ici.

« Bonjour, Socrate ! »

Les pieds au sec, grâce à un petit socle en pierre portant l'inscription « Socrate », l'homme était vêtu une toge défraîchie qui ressemblait à un vieux rideau. Il était aussi immobile qu'une statue, le regard vague, les épaules rentrées, comme s'il boudait.

« Je sais que je ne sais rien » énonça-t-il sur le ton bourru d'un homme qui après des années à la recherche de la vérité éternelle, aurait découvert qu'il s'agissait de la recette de la tourte au fromage – laquelle, d'ailleurs, était inscrite sur une stèle de pierre à la droite de Socrate.

« Mais, puisque tu as dit ça, renchérit Adrian, tu sais au moins quelque chose. Donc tu ne sais pas rien. Cette phrase est fausse ! »

Cette révélation fit disparaître Socrate, qui ne laissa derrière lui qu'un peu de poussière, quelques poils de barbe mal taillée et le souvenir d'un visage ingrat.

« Je fais ça pour mettre un terme à la conversation, expliqua Adrian. Ça marche toujours. Oh, mais regardez donc par ici. »

La mer blanche s'étendait à perte de vue, et à chaque pas, Broker songeait qu'ils ne se déplaçaient pas, mais que le décor glissait sous leurs pieds.

Ils atteignirent le bord d'un échiquier géant, qui flottait sur l'écume blanche comme un radeau. En prenant pied, Broker le sentit tanguer sous son poids. Les pièces reproduisaient à l'identique la configuration de son bureau ; elles lui arrivaient à la taille. Adrian s'empressa de déplacer un autre pion.

« Quelle est votre pièce préférée ? s'exclama l'alchimiste en courant à l'autre bord du plateau pour ramener un cheval.

— Je déteste ce jeu, rétorqua Broker.

— Parce que c'est difficile ?

— Parce que je trouve toujours plus malin que moi.

— Personnellement, je préfère le fou. Les joueurs qui savent bien manier le fou sont très rares. Certains pensent qu'il ne sert à rien et le laissent de côté. D'autres pensent qu'il est plus utile que le reste, le font voyager à outrance et négligent les autres pièces. Il faut apprécier le fou pour ce qu'il est. Un élément décisif. Il ne sera pas toujours utile, mais il lui suffit d'être utile une seule fois. Échec et mat. »

Le plateau se fendit en deux, séparant les deux camps ; il s'ouvrit en une trappe sans fond. Un des fous glissa vers Broker et manqua de le heurter ; la statue de bois secouait ses grelots avec un sourire niais. Ne pouvant s'accrocher à rien, il fut englouti par les profondeurs.

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