60. Que veut-il ?
« Les champignons, insista Adrian, sont des êtres fourbes. Je postule que dès que vous avez le dos tourné, ils s'enfuient sous terre, ce qui explique pourquoi on aperçoit parfois un champignon de loin, et quand on s'en approche, il a disparu ! Mais grâce aux progrès de la technologie, au positionnement GPS et aux caméras thermiques, les champignons ont pris du retard sur l'ingéniosité humaine. Demain, monsieur Mouflon, la soupe de champignons aura le goût de la victoire.
— Comment êtes-vous arrivé ici ?
— Moi ? Et si je n'étais jamais arrivé ici ? Et si je n'étais qu'un produit de votre imagination ? Le grand alchimiste Adrian von Zögarn est si célèbre que, si vous prenez un von Zögarn au hasard, il y a de fortes chances qu'il s'agisse d'un faux, issu des rêves enfiévrés d'un admirateur. »
Adrian prit tout à coup un air soucieux et lissa sa moustache, comme pour vérifier sa présence.
« Il faudrait que je me pose plus souvent la question. Suis-je Adrian von Zögarn, ou un faux Adrian von Zögarn ? Comment définirait-on le vrai Adrian von Zögarn ? Je suppose que le faux portera aussi la moustache. Hmm.
— Nous étions dans la voiture » intervint Astyane.
Au moment où Marcion aperçut l'ange vêtue de blanc, qui se tenait debout à côté d'Adrian, il comprit qu'elle avait été là depuis plusieurs heures. Il sut quel était son nom et il se souvint d'elle sur le siège arrière, murmurant quelques mots à Adrian, discutant des meilleures pistes à suivre. Occultée jusque-là, sa présence lui paraissait désormais naturelle.
« Par Kaldar... je croyais que tous les anges avaient disparu... après...
— J'étais là quand Eden est tombée, l'interrompit Astyane. J'ai assisté à la mort du titange Pierre. J'ai même connu Samaël, le responsable de notre ruine.
— Où est-il, maintenant ?
— Si j'avais la réponse à cette question, je ne serais pas ici. »
Il y avait une grâce indéniable dans ses gestes, une délicatesse envoûtante dans sa voix. Éberlué, Marcion la suivit du regard tandis qu'elle se penchait sur Siren.
« Il faut la réveiller, dit-elle. Nous ne pouvons pas nous éterniser ici. Il y a un hôtel à une demi-heure de route. »
Sa veste dans une main pour faire office de sac, un scalpel dans l'autre, Adrian était en train de procéder à l'ablation du champignon précédemment confondu. Proie facile en dépit des théories de l'alchimiste, car incapable de s'enfuir, ce dernier constituerait le personnage principal d'une excellente soupe.
« Vous êtes une atmaniste, remarqua le vampire.
— Tous les anges sont des mages, rétorqua-t-elle.
— Mais vous êtes d'une autre trempe que le commun des anges...
— Peut-être. »
Elle posa sa main sur le front de l'agente du Bureau, qui ouvrit des yeux fatigués. Toute tension semblait avoir quitté son corps.
« J'hallucine, dit-elle d'une voix pâteuse.
— Je viens d'avoir une excellente idée, lança Adrian en oubliant son champignon sur place. Je me sens beaucoup mieux depuis que mes côtes se sont ressoudées toutes seules. Je vais conduire.
— Il y a moyen d'aller plus vite, indiqua l'ange.
— Personne ici n'est en état de traverser une torsion, et ça me reste toujours sur l'estomac. Ce n'est pas une demi-heure en plus qui va changer quoi que ce soit. Ah, monsieur Martien, prenez donc place à côté de moi ! Je vais vous révéler tous mes plus grands secrets. Pour commencer, dit-il en claquant la portière, je n'ai jamais passé mon permis. Mais rassurez-vous ! Une fois, j'ai piloté un vaisseau spatial que j'avais trouvé dans un garage. Tiens, il n'y a que deux pédales ? Le frein est à gauche, n'est-ce pas ? Et ce levier, ici, à quoi sert-il ? Hmm. Tout a l'air beaucoup plus simple quand c'est quelqu'un d'autre qui s'en occupe. Mais ne craignez rien ! Rien n'arrête un grand alchimiste comme celui que vous avez sous les yeux. »
Siren observa Astyane, Marcion et Adrian, tandis que ce dernier démarrait.
« Pourquoi êtes-vous ici, monsieur von Zögarn ?
— J'accompagne Astyane. Nous cherchons Samaël. C'est compliqué, mais la vie est toujours compliquée.
— Votre Samaël a-t-il le moindre lien avec les Convertis ?
— Au moins un, dit l'ange de sa voix douce et claire comme un songe de printemps. Le pouvoir d'atman. Alma Treskoff, possède une épée nommée Tyrfing. Cette épée porte sur sa poignée un objet que l'on nomme un Stathme, une attache physique pour l'esprit d'atman. Alma Treskoff tire sa magie de cet objet. Il l'influence. Il lui dicte ses volontés. Le temps passant, il finira par fusionner avec elle, comme ce fut le cas de Samaël.
— Le Stathme est donc celui qui tire les ficelles. Et que veut-il ? »
Astyane haussa les épaules.
« Partout où l'atman a offert son pouvoir, ses pantins se sont targués de bâtir des empires, et n'ont réussi qu'à détruire ceux qui les précédaient.
— Notre objectif, expliqua Adrian, est de nous emparer du Stathme. Eh ! Je viens de me faire doubler ! Par les trous de nez d'Unum tout-puissant !
— Et qu'en ferez-vous ? s'inquiéta Siren.
— Notez bien, intervint l'alchimiste en donnant un violent coup de volant, que vos Convertis seront privés de leur source d'énergie spirituelle, donc a priori, Alma et sa clique deviendront des gens normaux.
— Oui, mais vous ?
— Nous allons détruire le Stathme. Mais avant, lui seul peut nous dire où se trouve Samaël.
— Vous aussi, vous êtes une mage d'atman.
— C'est vrai.
— Alors comment, pourquoi vous a-t-il octroyé ce pouvoir ?
— Je n'en sais rien.
— Figurez-vous, raconta Adrian, que je n'ai pas toujours porté la moustache. Quand j'étais jeune, mon symbiote astral refusait catégoriquement que je l'acquisse. Je crois qu'il me refusait aussi l'alcool. Mais c'est comme quand on a des enfants ; on commence avec des règles très strictes, et au bout d'un moment, on les laisse aller en boîte de nuit.
— Est-ce que vous avez vraiment inventé la vaccination ? demanda Marcion, soupçonneux.
— Tout à fait, je me suis injecté la peste bleue après avoir dormi sous la pluie au milieu d'un troupeau de droms. C'était pour voir si la grippe des droms immunisait contre ce redoutable virus. Et ce fut le cas ! Paf, la peste bleue a été éradiquée en moins d'un siècle. Une autre fois, j'ai découvert que la bave d'escargot... eh, lui aussi m'a doublé ! Chauffard ! C'est un scandale ! À croire que c'est autorisé par le code de la route... vous allez voir... où est-ce qu'on klaxonne, sur cette guimbarde ? Est-ce que ça se fait encore, ou il faut envoyer des SMS ?
— Le Bureau a été compromis, poursuivit Siren, mais il reste nous deux...
— Nous quatre. On ne peut pas se débarrasser d'un von Zögarn. C'est impossible. Je suis aussi collant qu'un caramel mou à la fête foraine.
— ... j'ai les noms de la plupart des Convertis. C'est notre seule piste pour retrouver Treskoff. Mais elle pourrait être n'importe où sur Terre à l'heure qu'il est...
— Richard Broker, lança Adrian comme une évidence.
— Broker ?
— Oui, il habite juste à côté. Il a passé dix minutes à me parler de son chien, comment il l'avait adopté dans un chenil ; de ses enfants, comment il les avait adoptés dans un pays étranger, de sa femme, comment il l'avait adoptée dans un bal des débutantes, et enfin de ses holdings, comment il les avait adoptées avec ses millions. C'était épuisant.
— Je peux y aller seule, indiqua Astyane.
— Seule, c'est impossible. À cause du caramel mou. »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro