58. Cards
Une fois que vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi absurde soit-il, ne peut être que la vérité.
Adrian von Zögarn, Citations célèbres
« Bonjour, monsieur le directeur. Je suis l'agent Stanislas Cards. »
Denrey écarta son fauteuil pour le laisser entrer ; l'homme boita jusqu'à une chaise. Son nez était recouvert d'un pansement épais et entouré de traces de sang séché. Il se tenait les côtes et traînait une béquille pour lui éviter de poser le pied droit.
« Dites donc, vous avez eu un accident de voiture sur le chemin ? »
Avec un soupir, l'agent Cards vérifia que la porte était bien fermée.
« J'ai rencontré l'agent Siren hier soir. Ça ne s'est pas très bien passé.
— Je suppose qu'il s'agissait de légitime défense, rétorqua Jim en bombant le torse, prêt à défendre son employée jusqu'à la Cour Suprême, voire le tribunal de Saint Pierre.
— Oui, et non. D'un point de vue strictement légal, et si vous analysez les vidéos de la scène, elle nous attaque sans raison. Mais d'un point de vue opérationnel, elle a fait ce qu'il fallait pour nous échapper et pour exfiltrer votre agent Marcion. »
L'agent amoché croisa les bras. Lui non plus n'avait pas beaucoup dormi depuis la veille.
« Je vais jouer cartes sur table, monsieur le directeur. Je suis le numéro deux de la cellule spéciale du Bureau Fédéral chargée d'enquêter sur les Convertis, et c'est moi qui ai pris la décision de dissoudre la SPEX.
— À supposer que tout ceci soit vrai, ce que je récuse fermement, vous devez avoir une excellente raison de me raconter tout cela.
— Je souhaite que vous m'aidiez.
— Vous ne manquez pas de culot.
— Notre raid sur les bureaux de la SPEX avait pour but de mettre la main sur plusieurs membres de cette cellule qui faisaient partie de notre liste de suspects. Nous avons décidé de ne pas prendre de risques. Les Convertis font des progrès tous les jours, et certains d'entre eux commencent à s'afficher dans les couloirs du Congrès. Notre objectif est le même que le vôtre : arrêter Alma Treskoff.
— Non, corrigea Denrey. Vous voulez l'avoir avant nous, et c'est pour cela que vous avez sabordé notre travail.
— Ce n'est pas qu'une question de rivalité entre agences, même si, je le concède, beaucoup d'hommes chez nous n'apprécient pas la liberté d'action du BIS. Il y a une taupe chez vous, monsieur Denrey.
— C'est très facile de lancer ce genre d'accusation, surtout quand c'est invérifiable. Laissez-moi deviner. La taupe en question est quelqu'un que vous n'avez pas pu arrêter, donc Anastasia Romanovna, ou Siren, ou pourquoi pas Marcion ?
— Toutes ces personnes sont sur notre liste. »
Jim Denrey émit un grognement désapprobateur.
« Je vais vous soumettre une autre théorie, lança-t-il en pointant Cards du doigt. Il y a une taupe au FBI, et c'est cette taupe qui vous a fait croire qu'il y a une taupe chez nous. J'ai même quelques noms à vous soumettre. Vous, le directeur adjoint, le directeur lui-même. Et pourquoi pas le président ? J'ai fait un rêve la nuit dernière, qui m'a conduit à cette conclusion.
— Ce n'est pas un jeu, monsieur Denrey. Je pense sincèrement que si nous collaborons, nous réussirons à trouver Treskoff avant que les Convertis ne nous en empêchent. Qu'est-ce que vous croyez ? Depuis qu'elle existe, notre cellule d'enquête fait l'objet de pressions. S'attaquer à la SPEX, ce n'était qu'une façade. Ne me dites pas que vous y avez cru ? Si nous avions voulu dynamiter le BIS, des hommes seraient déjà ici, dans ce bureau, en train de mettre sous scellés vos listes de courses.
— J'ai des relations à l'ONU, protesta Denrey.
— Oh, et depuis quand l'ONU empêche-t-il ce pays de faire ce qu'il veut ?
— Touché, concéda le directeur en fronçant du nez. Reprenons. Notre priorité commune serait donc d'arrêter Alma Treskoff. »
Cards hocha la tête.
« Une fois que ce sera fait, nous attraperons les Convertis un par un, le Bureau a les ressources pour le faire. Vos deux agents, Marcion et Siren, connaissent les identités d'au moins la moitié des membres du groupe. Ils sont en cavale, mais nous finirons par les retrouver.
— Le problème, je suppose, c'est que vous ne savez pas où commencer.
— Alma Treskoff est une mage atmaniste. Elle pourrait se trouver n'importe où sur cette planète, se rendre invisible, indétectable ; elle pourrait être dans ce bureau et nous écouter parler si elle le voulait.
— Et je suppose qu'elle pourrait prendre l'apparence de n'importe qui. Je suis disposé à vous croire, agent Cards, à condition que vous accédiez à une requête de ma part.
— Dites toujours.
— Retirez le pansement de votre nez. »
Cards émit un rire gêné.
« Vous... pourquoi ?
— Pour vérifier une hypothèse.
— Et si je refuse ?
— Notre collaboration prendra l'eau. J'appuierai sur un petit bouton situé sous l'accoudoir de mon fauteuil, et mes agents de sécurité viendront vous escorter en dehors de ces bureaux.
— Vous êtes un renard, Denrey.
— J'étais déjà diplomate quand vous appreniez à compter. Allez, le pansement. »
Cards tira d'un coup sec sur la compresse recouvrant son nez et arracha les sparadraps. Hormis des traces de sang coagulé, il n'avait rien, comme si un chirurgien plastique renommé s'était penché la veille sur ce groin aplati et avait reconstruit le cartilage tel une cathédrale en allumettes.
« Je suppose que votre béquille ne vous sert à rien, non plus, susurra le directeur du BIS.
— Vous êtes content de vous ? »
L'agent Stanislas Cards se leva d'un bond et fit le tour de la pièce.
« Évidemment, ces capacités de reconstruction accélérées ne sont pas humaines. Depuis combien de temps êtes-vous converti, agent Cards ?
— Depuis la création de notre cellule. Environ deux ans.
— Quel effet cela fait, d'être un vampire ? Est-ce que vous avez peur des croix, de l'ail, de la lumière ? Est-ce que vos canines se sont mises à pousser ?
— Non, je n'ai pas de nouvelles dents, et pas de photosensibilité. Les convertis ne sont pas des vrais vampires comme votre Marcion, plutôt des hybrides génétiques. Les chiens font la différence à l'odeur. Les humains peuvent les reconnaître de visu et Siren m'en a fait la démonstration hier. »
Jim Denrey décrocha son téléphone fixe avec son plus beau sourire de diplomate et le laissa suspendu dans sa main tel l'épée de Damoclès.
« Avez-vous une autre information juteuse à me révéler contre votre gré, avant que je téléphone à votre patron ?
— Ne faites pas ça.
— Pourquoi ? Vous êtes armé ? Vous allez me mordre ?
— Mon infiltration chez les Convertis a été nécessaire pour le succès de nos opérations. Mais si mes supérieurs étaient au courant, ma couverture serait foutue. Les Convertis pensent que je travaille pour eux. Ils en sont même convaincus depuis qu'on a fait fermer la SPEX.
— Ce qui fait de vous un agent... double ? Triple ?
— Écoutez, Denrey, j'ai besoin de retrouver Marcion, Siren et Romanovna. C'est ma seule piste pour mettre la main sur Alma Treskoff, sans que les Convertis ne se doutent de quelque chose. Vous pouvez m'y aider, vous pouvez ne pas m'aider. Mais à chaque minute qui passe, nous perdons des points. Je ne parle pas seulement de la fermeture du BIS, mais aussi d'un coup d'État. Alma Treskoff pourrait très bien décider de faire sauter la Maison-Blanche demain, si l'envie lui prenait. Nous sommes dans son jeu ! Nous devons en sortir.
— Je vais voir ce que je peux faire.
— N'oubliez pas. Au Bureau Fédéral, c'est moi la taupe. Mais chez vous, je l'ignore. Restez sur vos gardes. »
L'agent Cards remit son pansement en place, ramassa sa béquille et poussa la porte du pied gauche.
« Qu'y a-t-il, Christian ? lança Denrey en apercevant son secrétaire dans le couloir, qui patientait entre deux plantes vertes.
— Je vous ai ramené un deuxième café. Que voulait-il ?
— Le baratin habituel. Collaborez, sinon vous êtes fichus, etc, etc. »
Voyons, se dit Denrey en engloutissant son café crème, si j'étais une vampire souhaitant prendre le contrôle de la Terre et m'en faire un empire planétaire, disposant de pouvoirs magiques inégalés et ayant deux longueurs d'avance sur tous ceux qui essaient de démêler mes plans, où est-ce que je me cacherais ?
Une réponse lui vint, à la fois absurde et plausible.
Mon propre bureau.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro