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17. Crysée


Tout évolue, et ne pas évoluer soi-même, c'est reculer.

Adrian von Zögarn, Maximes pour mon petit-fils Maxime, ou de la philosophie pour les enfants


Caelus reposa le livre consacré à la société des anges de Daln ; celui-ci s'envola de sa main et fut comme aspiré par son étagère, qui s'engouffra aussitôt entre deux rayonnages, disparaissant dans la jungle de sa bibliothèque.

Celle-ci fut parcourue d'une légère brise ; les livres bruissaient comme si, écrits en langues vernaculaires, mais tous locuteurs de la même vérité, ils s'échangeaient leur savoir avec une passion frénétique.

Une ombre passa au-dessus de lui ; le vieux bibliothécaire ramena son regard bleu océan au plafond en construction. L'ouverture circulaire se résorbait, engloutie par les rayonnages, dont les étagères mouvantes croissaient comme des lichens. Ce projet fou, de réunir en un seul endroit tout le savoir de l'univers, d'y concentrer toute l'histoire, prenait de plus en plus de place.

Un millénaire plus tôt, Caelus avait fait des plans naïfs, semblables à l'exégèse infatuée de scientifiques persuadés que tout a été découvert de leur vivant, et que le futur se contentera de compiler leurs œuvres. Il se méprenait sur deux points : d'une part, la digestion de l'Histoire passée de l'Omnimonde avait pris un temps considérable ; d'autre part, durant ce temps, l'Omnimonde avait produit une quantité non moins considérable d'Histoire. Confronté à ce vertige, Caelus se sentait parfois reculer plutôt que d'avancer.

La bibliothèque ne cessait de croître, étage par étage ; le savoir s'y jetait en désordre par sections entières, attendant d'être trié et rangé. Certaines civilisations prodigieuses n'avaient encore qu'un seul ouvrage dédié, parfois aussi peu qu'une note de bas de page, qu'un graffiti laissé à la hâte sur le bois ondulant par l'archiviste débordé.

Caelus descendit le long d'escaliers qui naissaient spontanément sous ses pas ; une porte s'ouvrit dans la muraille du phare et il sortit sur la plage, pour prendre l'air et reprendre quelque inspiration.

Sa bibliothèque se trouvait sur une île, entourée d'un océan agité ; au loin, l'horizon se fondait toujours en un mur de nuages. En ces temps-là, Caelus n'avait pas la notoriété que nous lui connaissons aujourd'hui, et seule une poignée de visiteurs était venue s'échouer sur sa plage, en quête d'une information dont lui seul disposerait. Il regarda les vagues remuer le sable cristallin, strié d'azur. À chacune d'entre elles, un peu de Temps se déposait ici comme l'écume, de sorte que ce monde, situé dans la sphère des rêves, était tout autant soumis au décompte des heures que l'univers matériel. Sans quoi Caelus n'aurait sans doute pas pu construire la bibliothèque. Les rêves soustraits au Temps ne sont que des boucles causales, des pièces de théâtre, ou de simples saynètes, qui se rejouent sans cesse.

Ce rêve était sa retraite, la bibliothèque sa grande œuvre, Caelus avait tout ici pour le satisfaire et rien pour le déranger ; aussi ne sortait-il que rarement et ne s'impliquait-il plus dans les affaires de l'Omnimonde. Cela justifiait, à ses yeux, son inaction lors de la terrible guerre qui avait opposé le dieu-sage Kaldor et le dieu-soleil Aton. En contrepartie, il ne savait rien ou presque de cette guerre ; les témoins directs avaient fui ses sollicitations ; l'Omnimonde s'étant dépeuplé de ses dieux, il n'avait personne à qui parler. La section qu'il imaginait dédier à Aton, restée vide, s'était remplie de livres consacrés à l'alchimie traditionnelle de Neredia. Car la bibliothèque manquait cruellement de place. Faute de matière première, ces événements n'entreraient jamais dans l'histoire – ni dans sa propre mémoire.

Une année durant, il avait espéré que Kaldor lui-même vienne le voir, ou du moins, qu'il envoie quelqu'un parler en son nom. Il s'imaginait, car Caelus avait une assez haute opinion de lui-même, que cette personne donnerait de son temps et de son énergie pour rédiger des comptes-rendus détaillés dont lui, l'historien de l'univers, aurait la garde. Mais cette perspective ne l'enchantait plus désormais. Il craignait, plus que toute chose, qu'on vienne lui rappeler sa couardise. Kaldor, qui avait mené seul la guerre, serait le mieux placé pour le faire.

Aussi, lorsqu'il vit une main humaine émerger des flots, Caelus fut tenté de regarder ailleurs.

L'eau émit un remous, comme si elle relâchait quelque chose de ses profondeurs.

Gardant les pieds plantés dans le sable azuré, Caelus tendit un œil suspicieux. Une humaine était allongée sur le dos, les bras étendus ; les vagues agitaient ses cheveux orangés par poignées entières. Elle ne bougeait pas. Sa seule idée à l'instant fut que si elle n'était pas en vie, il essaierait de rendre le corps à l'océan, en espérant qu'il veuille bien l'en débarrasser.

« Je sais que je vous dérange. »

La femme se releva sans difficulté ; le sable et l'eau ruisselèrent sur sa tenue beige, n'y trouvant prise. Elle semblait n'avoir rencontré aucun écueil sur son chemin, au contraire des précédents voyageurs, qui essoraient leur tunique astrale durant des heures en essayant de se sécher au soleil. Son visage était couvert de taches orangées, brillantes, qui formaient comme des dessins, soulignant son nez et ses sourcils.

« Avez-vous un nom ? lança le bibliothécaire, formule habituelle pour différencier les esprits des illusions.

— Je suis Crysée. Vous êtes Caelus. Je suis venue vous voir.

— Comment avez-vous entendu parler de moi ? »

Elle répondit à cette question par un sourire.

Fin connaisseur de la Noosphère, l'univers des rêves, Caelus y avait croisé des dieux et des hommes, des sages et des devins, des sorciers pratiquant l'oniromancie et le voyage astral. Ce peuple des rêves se partageait en trois castes vouées à ne se rencontrer que rarement. Certains, comme lui, étaient des seigneurs ayant trouvé retraite dans un repli de l'espace-temps. D'autres étaient des voyageurs au but précis, des explorateurs aux projets fous, des rois visant à reconquérir leur royaume. Ils flottaient dans les rêves en traînant les leurs propres comme une malédiction qui finissait par les engloutir, comme un animal sauvage se retournant contre son dresseur ; car ce but qui les maintenait en mouvement était leur prison ambulante, le château dont les sombres murs, les barreaux de fer les tours décharnées se déplaçaient avec eux au cours de leur périple. Les derniers, enfin, étaient des êtres perdus, privés de passé et d'avenir ; il en surgissait partout comme par génération spontanée. Ils flânaient dans les rêves, dans les souvenirs des mondes comme ce client hésitant qui, dans un magasin de chaussures, essaiera toutes les paires et n'emportera rien.

Crysée lui parut se rapprocher de cette dernière catégorie. Son regard, son sourire portaient une mélancolie cruelle, comme si on l'empêchait de s'attacher aux choses, ou de leur reconnaître la moindre valeur, alors qu'elle aurait aimé créer le bien dans ce monde.

« M'apportez-vous un message de Kaldor ? tenta le bibliothécaire.

— Kaldor ne sait pas que je suis ici. Je pense qu'il désapprouverait ma présence – à demi-mot, car je suis dans le flou de la morale. Je ne sais pas s'il est bon de faire ce que je fais, ou non. Je ne le saurai qu'a posteriori. »

Elle connaît donc Kaldor, songea Caelus. Mais qui ne le connaît pas ? Depuis la guerre contre Aton, le dieu-sage était le dernier phare de l'Omnimonde. Il avait été le seul à répondre à la nécessité ; il avait vaincu le dieu-soleil, sauvé des milliers de planètes de l'anéantissement ; l'univers lui était redevable et le culte à son nom ne cessait de se répandre.

« Dans ce cas, que voulez-vous ?

— J'ai besoin de renseignements.

— Vous devriez être plus précise.

— C'est que j'ai peur de me voir opposer un refus.

— Allons donc ! Vous voyez bien que la porte de ma bibliothèque est ouverte ; si vous avez réussi à venir jusqu'ici, vous méritez bien que j'accorde toute mon attention à votre requête. »

Caelus avait fait son calcul : Crysée devait être la dernière de quelque dynastie déclinante de rois-mages, sur un monde isolé, qui cherchait auprès de lui des secrets de magie d'Arcs. Elle consulterait des ouvrages, elle n'en comprendrait pas l'objet, et rentrerait bredouille en son monde, avec l'impression rassurante d'avoir tout tenté.

« Ma requête... commença-t-elle en répétant son sourire. Je veux que vous me racontiez l'Imperium Draconis. »

Le bibliothécaire eut l'impression que le sol s'effondrait sous ses pieds.

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