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56. Le passage d'un fantôme


La vieille herboriste renvoya son dernier client de la journée, un homme de Zarith qui cherchait « la potion qui rend intelligent », et décida qu'il était temps de fermer la boutique. Elle trotta entre les étagères encombrées de bocaux d'onguents, de poudres, d'herbes rares dont certaines ne lui étaient ramenées que des confins du monde. Le comptoir se faisait chaque jour plus distant de l'entrée, comme si cette échoppe de misère, à l'instar de l'univers, voyait son espace se dilater.

Elle ouvrit le tiroir de la caisse et soupira en avisant les quelques piécettes. La générosité des habitants de Samera ne valait guère plus ; rares étaient ses clients fidèles ; aujourd'hui sur la terre de Ki, quiconque avec une certaine éducation orbitait autour des nouvelles sectes solaires, délaissant tout ensemble le kaldarisme, l'alménisme, la science de l'alchimie et tout ce qui ressemblait, de près ou de loin, à un savoir traditionnel. Les profits de cette année ne lui permettraient pas d'embaucher une assistante, pas plus que l'an dernier.

L'attrape-rêves suspendu derrière la porte d'entrée se mit à tinter.

« C'est fermé, annonça-t-elle d'un ton bourru, de cette voix éraillée que forgent les atmosphères confinées.

— Excusez-moi, madame. Je ne sais pas si je pourrai revenir demain. Le temps... »

Qu'est-ce qu'il a, le temps ? Songea-t-elle en remettant ses lunettes. L'individu referma doucement la porte derrière lui ; vêtu d'une manière excentrique, avec une sorte de drap blanc, il avait le cheveu grisonnant, les favoris argentés. Ses yeux pâles, fatigués d'avoir cherché des repères, étaient ceux d'un homme passé par toutes les étapes du doute. De fait, il n'avait pas cette foi enivrante, exagérée, que les adeptes des cultes solaires venaient tantôt lui asséner au visage à grands coups de tracts imprimés ; mais il se tenait encore debout, et il y mettait une certaine valeur, une certaine dignité.

« Qui êtes-vous ?

— Mon nom est Shan. J'ai connu votre arrière-arrière... disons, votre ancêtre.

— Mon ancêtre. Pourtant, vous avez l'air un peu plus jeune que moi. »

Il se rapprocha d'elle, ce qui força la myope à ôter ses lunettes. Son regard était un puits d'une profondeur inhabituelle.

« Je suis plus âgé que votre monde » asséna-t-il.

Il était difficile de le croire. Pourtant, la vieille femme s'y risqua. L'homme avait tout d'une illusion de l'esprit, mais ses paroles sonnaient moins comme un délire, que comme la légende d'un conteur solitaire.

« La légende de Kaldar mentionne quelqu'un dont le nom me rappelle le vôtre... un certain Shani, son médiateur.

— Kaldor. Par pitié ! Son nom est Kaldor.

— La légende dit « Kaldar ». Kaldor, je ne sais pas qui c'est. »

En même temps, s'il s'appelle Shan au lieu de Shani, cela suit une certaine logique, songea-t-elle.

« Et pourquoi êtes-vous ici ? De quoi avez-vous besoin ? Une peau de serpent des marécages ? Un fragment d'argile des golems du roi Zor ? Le fameux onguent von Zögar contre la chute des cheveux ?

— Zögarn ! Il se nomme Zögarn !

— Vous n'avez pas l'impression de vivre dans un autre monde ?

— Si, c'est exactement mon cas. »

L'homme ferma les yeux, pensif, comme s'il lui en coûtait de parler avec elle.

« Vous détenez un exemplaire du tarot à trois bras.

— Comment le savez-vous ?

— Il se transmet dans votre famille depuis plusieurs siècles. C'est heureux que ses cartes soient encore solides.

— Et vous dites, avec ça, que vous avez connu mon ancêtre ?

— Elle se nommait Valeria, et c'était une nomade du métal. Nous nous sommes rencontrés peu après la mort d'Almena.

— Almena ! Vous savez, vous devriez parler moins fort, il y a des fanatiques qui vous accuseraient de blasphème. Et quelle est le rapport entre cette Valeria et la déesse ?

— Par les eaux du Déluge ! marmonna-t-il, la tête dans les mains. Almena n'était pas une déesse ! Mais comment se fait-il que la mémoire humaine... malgré tous vos historiens et vos biographes... pourquoi vous sentez-vous obligés de transformer le passé ? Il ne vous convient pas ? Qui voulait récuser le fait qu'Almena soit humaine ? »

Il avait l'air sincèrement bouleversé de l'apprendre.

« Je suis désolée, monsieur Shan, qui que vous soyez. Au début, Almena était considérée comme une humaine ayant accédé à l'Illumination après la bataille de Zarith. Mais le clergé n'appréciait pas l'idée que le monde ait été sauvé par une femme, donc ils ont commencé à introduire la notion de transcendance divine ; le fait qu'Almena, bien qu'ayant forme humaine, n'était en réalité que le bras de la déesse Inanna. Puis le troisième concile a acté le fait qu'il s'agissait d'une incarnation d'Inanna, la lune rouge de Ki. Cette histoire a engendré un schisme parmi les alménistes. De toute façon, c'était il y a un siècle, et ils sont bien peu nombreux aujourd'hui.

— En êtes-vous ?

— Je suis plutôt kaldariste moi-même, monsieur Shan. Je pense qu'Almena est un mythe ; c'est une histoire trop extravagante.

— Justement, justement, lança-t-il avec des yeux furieux. Elle est si dérangeante qu'elle ne peut qu'être vraie. Mais ne parlons pas de cela... savez-vous procéder au tirage du tarot ?

— J'ai la recette dans un de mes vieux livres. Je le faisais encore au début de ma carrière, mais il y a bien dix ans que personne ne me l'a demandé.

— Eh bien, je vous le demande. »

L'herboriste le laissa passer de l'autre côté du comptoir et rejoindre l'arrière-boutique, encore plus renfermée et obscure. Shan dut baisser la tête pour éviter des larges feuilles séchant sur des fils suspendus, qui dégageaient une odeur de menthe poivrée. La vieille femme poussa un tabouret dans sa direction et déplia le paquet de cartes sur une table basse.

« Elles ont un peu vieilli, se justifia-t-elle aussitôt, car en effet, le roseau séché était aussi cassant et fragile qu'une mue de serpent, et les figures peintes, quasiment effacées, ne se devinaient plus que par leurs silhouettes.

— Ça ne fait rien.

— Et donc, qui êtes-vous, au juste ? Un kaldariste de passage ?

— Vous devriez me poser la question rituelle : « êtes-vous un dieu, ou l'envoyé d'un dieu ? ». Je vous répondrais alors.

— Que répondriez-vous ?

— Je ne suis plus un dieu, et je ne suis envoyé de personne. »

La femme se mit à mélanger les cartes, avec lenteur, pour ne pas abîmer leurs coins.

« À quoi ressemblait-elle, mon ancêtre ? » demanda-t-elle brusquement entre deux gestes.

Le regard de Shan fit le tour de la pièce ; il se contenta de désigner une photographie en noir et blanc, pressée sur une étagère, devant une rangée de livres du grand alchimiste von Zögar.

« C'est elle.

— Non, c'est ma petite-fille.

— C'est à cela qu'elle ressemblait.

— Que savez-vous d'elle ?

— Nous ne nous sommes rencontrés que deux fois. Après, le temps a passé plus vite que je ne le pensais. Et puis, il y a eu la guerre contre Hélios.

— Hm, hm, fit-elle sans décider encore si elle devait le croire ou non.

— Vous devez avoir terminé.

— Oh, pardon. Allons-y.

— Vous ne prononcez pas les paroles ?

— Quelles paroles ? Oh, tout le pataquès sur la sagesse de Kaldar ? Je ne suis pas très occultiste, je ne crois pas à toutes ces choses. C'est pour vous que je tire les cartes, c'est à vous de voir ce que vous souhaitez y voir.

— Vous ne croyez pas que, du hasard, peut naître une forme de vérité ?

— C'est présomptueux de dire ça, vous ne trouvez pas ?

— C'est parce que vous n'avez pas connu Aléane. Rien ne la dirige. Rien ne la contrôle. Rien ne préside à ses réincarnations. Pourtant elle semble toujours s'intégrer dans l'histoire, reprendre la trame de son destin. Elle est dirigée par le hasard. Pourtant, dans sa vie, il n'y aucun hasard.

— Vous avez raison. Je n'ai pas connu Aléane. Je ne suis qu'une pauvre vieille sorcière qui vend des tisanes contre la toux et des onguents contre la migraine. »

Elle tira la première carte.

« Le voyageur, reconnut-elle. Pour quitter le royaume des ombres, il a dû passer un pacte avec la déesse...

— Je sais de qui il s'agit. Je l'ai rencontré.

— Vous voulez que je vous donne les cartes, aussi ?

— Non, poursuivez. J'ai besoin de votre main. Autrement, mon esprit ferait naître ici les signes que je souhaite, ou ceux que je crains.

— Alors voici... oh, ça par exemple. Anh. »

Shan fronça les sourcils.

« Anh ? Qui est-ce ? »

La carte s'échappa de ses doigts et s'envola jusqu'aux siens – il n'avait pourtant pas bougé. L'herboriste fut forcée de voir qu'elle avait affaire à un magicien. Shan suivit les contours du doigt, machinalement. Anh était un symbole, un infini fait de deux sphères entrelacées, liées par une chaîne faite à la fois d'or et d'un métal sombre.

« Anh est l'âme du monde, expliqua l'herboriste. Il est le principe primordial, celui qui a enfanté tous les dieux et tous les hommes.

— C'est donc un être dual.

— Il est aussi sa propre dualité. Anh inspire le chaos et expire l'ordre. Il inspire le mensonge et expire la vérité. Ou le contraire, selon les phases de l'univers. Selon la légende, Anh est aussi la source du Temps. »

Shan fronça des sourcils.

« Nous arrivons maintenant à la dernière carte. C'est votre troisième vérité, qui...

— Nous ne sommes pas en train de tirer mes vérités, dit Shan en écartant cette hypothèse d'un geste négligent de la main. Nous réfléchissons à l'avenir du monde.

— Oh, si vous le dites. »

Son doigt se posa sur la troisième carte. Avant même qu'elle la retourne, Shan annonça la figure :

« Le Temps.

— En effet. Le Temps. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin. C'est le souffle de l'univers, celui qui met les choses en mouvement, mais aussi le destructeur de toute création. Il tient dans sa main droite une graine, qui est aussi un arbre, qui est aussi une forêt, qui est aussi le monde, car tout ce qui sera, est. Il tient dans sa main gauche un sablier, qui contient la poussière de ce même monde, car tout ce qui ne sera plus, n'est plus. »

Les sourcils de Shani se froncèrent ; il blêmit comme s'il faisait face à un fantôme et se leva d'un bond, au risque de se cogner dans les étagères.

« Je dois partir.

— Quelle est votre interprétation ?

— Je crains un malheur.

— Vous avez l'air pressé, en effet. Je suppose que vous ne paierez pas ?

— Dans quelques minutes, une femme passera dans cette rue. Elle se nomme Eleanor. C'est une alchimiste de l'école Bombastus. Elle cherche à s'installer à Samera, mais elle ne dispose pas des moyens suffisants pour s'acheter une boutique. Elle ne verra pas votre enseigne, à cause de l'obscurité et du brouillard. Elle fera une parfaite apprentie. Et elle reprendra l'échoppe à votre mort, comme vous le souhaitez.

— Quelle heureuse coïncidence ! Lança la femme, moqueuse.

— Les coïncidences n'arrivent que quand on les remarque. »

Shan marchait trop vite pour elle ; en un clin d'œil, il sortit dans la rue embrumée.

Quel étrange personnage, songea-t-elle.

Elle oublia aussitôt son visage. Quelques minutes plus tard, elle décida de faire du rangement et alluma une lampe-tempête dans l'entrée. C'est alors qu'Eleanor entra dans la boutique.

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