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13. Le plan


Kaldor avait peut-être un plan, mais nous, dans l'Armada, on n'en manquait pas non plus.

Adrian von Zögarn, Histoire de la grande guerre et du rôle mineur que j'y ai joué (avec une annexe sur l'élevage es moutons)


Le rétablissement du champ de gravité artificielle fut accueilli avec soulagement par l'équipage de l'Indra, car il présageait celui de la propulsion. Dans l'espace, comme sur les océans, un vaisseau immobile est une tortue retournée, qui ne peut survivre bien longtemps.

À peine une heure plus tard, la nouvelle du retour à la vie de Mjöllnir se répandit comme une traînée de poudre, bien qu'il n'y eût aucune annonce officielle. Les officiers vampires se montrèrent plus réservés. Mjöllnir était le meilleur élément de l'Armada dans la lutte contre Hélios, mais celle-ci s'était envolée de leur pensées, et ne demeurait le sujet principal de leurs discours que par un effet d'inertie. Ils ne souhaitaient plus maintenant que survivre et s'enfuir, quitte à s'enfoncer dans l'espace sans retour. Dans cette optique, Mjöllnir échoué constituait un vivier de ressources formidables, une épave remplie de trésors ; Mjöllnir vivant n'était qu'un atome de plus face au dieu-soleil tout-puissant.

L'amirale Ek'tan posa ses coudes sur la table et tourna la tête en direction du docteur Jin. Sur demande de Fréya, ils avaient réduit le cercle des officiers à son minimum ; ce qu'elle avait à dire ne concernait que les décideurs ultimes de l'Indra.

« Elle ne devrait plus tarder » plaida le docteur, dépassé par les événements, tel un médiateur divin casanier qui, trois fois dans la même journée, vient d'assister à d'indubitables miracles.

Une fenêtre de lumière s'ouvrit à demi dans le mur, cracha une farandole de copeaux laiteux, qui s'assemblèrent en visage et en silhouette. D'un regard, Fréya captura chacune des personnes présentes ; sa voix, tout aussi surprenante que son image, était aussi claire qu'un songe d'été.

« Ma pilote... amirale Ek'tan... docteur Jin... monsieur Garrison... ingénieure-major Sahir. Le Grand Ivan ne viendra pas ?

— Il se repose encore, indiqua Ek'tan. Il m'a demandé de décider pour nous deux. »

Fréya constata la présence d'une chaise vide et s'y assit. Elle passa à quelques centimètres à peine de la pilote, qui ne ressentit aucun souffle d'air, car elle était pure illusion. Même le son de sa voix était isotrope, indépendant de sa position dans l'espace, et ne remontait donc pas d'un larynx.

« Comment faites-vous cela ? lança le docteur Jin, ce qui devait être, pour lui, la question la plus importante. L'Indra est imperméable aux champs magnétiques.

— C'est un champ d'inhomogénéité. Je n'ai besoin que de modifier localement l'indice de réfraction du vide. Je réfléchis vers vous une partie de la lumière produite par vos projecteurs halogènes.

— Et pour parler ?

— Champ de distorsion moléculaire. À petite échelle, juste assez pour donner des vibrations à l'air. »

Pour Fréya, ces générateurs de champ n'étaient pas des armes, mais des couteaux suisses. Scandalisée qu'elle s'en serve ainsi à l'intérieur même de l'Indra, l'amirale fronça des sourcils.

« Vous êtes donc Fréya, l'intelligence qui régit Mjöllnir. Nous avons bavardé avec votre pilote. Il paraît que vous avez mis à profit vos trois jours de veille pour concocter un plan de bataille.

— En effet. Ce pourquoi j'avais besoin de vous voir physiquement.

— Vous êtes consciente, avança Garrison, que nous ne sommes pas certains d'arriver en vie à Stella Rems ?

— Ce n'est pas mon problème. Je maintiendrai en vie ma pilote. Vous avez aussi cinquante unités d'hibernation sur ce vaisseau, donc au moins cinquante membres d'équipage survivront. Je veux vous soumettre mon plan dès à présent, afin que vous puissiez envoyer à Rems le détail des investissements techniques nécessaires.

— Expliquez-nous tout » exigea Ek'tan.

Fréya posa les mains sur la table et ouvrit les bras, comme si elle déroulait sous leurs yeux un parchemin invisible.

« Tout d'abord, sachez que je parle de détruire l'étoile, c'est-à-dire le corps d'Hélios. En faisant cela, il est probable que son esprit survive, et ce sera une menace tout aussi grande. Mais une menace qui appellera une autre forme de guerre, dont je ne suis pas capable, et qui n'est pas la nôtre.

— Poursuivez. »

L'ingénieure-major Sahir écoutait avec autant d'intérêt qu'elle observait. Car l'image de Fréya n'était pas celle d'une humaine comme ce qu'ils avaient vu jusqu'alors. Pourtant, elle avait le nez plat des remsiens et la pâleur des vampires. Malgré sa beauté stupéfiante, les proportions de son visage, ou peut-être de son corps, laissaient une impression inquiétante. Peut-être avait-elle les bras trop longs. Elle venait d'un monde lointain, d'une époque révolue, où les êtres humains avaient les bras trop longs.

« Je veux détruire Hélios avec un trou noir. Je suppose que vous savez de quoi il s'agit. Un objet dont la densité est si élevée qu'il existe un rayon au-delà duquel la lumière ne peut pas échapper à son attraction gravitationnelle. Ces objets existent couramment dans l'univers et je sais qu'ils peuvent être produits de manière artificielle. Je sais même comment en fabriquer un. Mais je ne peux vous révéler cette recette, par sécurité.

Une fois conçu le trou noir, nous attirerons Hélios dans un système inhabité, pourvu d'une géante gazeuse, dont l'ombre nous servira de cachette. Nous y réunirons l'Armada Secunda, comme si nous souhaitions lui livrer bataille. Nous aurons aussi construit deux mille générateurs de champ autonomes, qui seront cachés dans l'atmosphère de la planète.

— Il n'y croira pas, protesta Garrison.

— Hélios est puissant, et il aime faire usage de cette puissance. L'occasion sera trop belle pour lui. »

Le docteur Jin allait poser une question, mais Fréya l'arrêta aussitôt d'un geste hâtif, comme si son temps de parole était limité.

« Je propulserai le trou noir en direction d'Hélios. Ce ne sera pas difficile : son diamètre sera à peine de l'ordre de celui d'un atome, et je l'entourerai d'un amortisseur de masse inertielle qui réduira son inertie de dix millions de tonnes à quelques grammes. Arrivé au niveau de la chromosphère, l'amortisseur de masse sera détruit et le trou noir regagnera son inertie habituelle. Il s'arrêtera donc dans l'héliosphère. Il sera soumis au champ gravitationnel de l'étoile et tombera vers son centre. Hélios ressentira à peine sa présence, comme un picotement. Ensuite, nos générateurs de champ sortiront de la moyenne atmosphère d'une des planètes gazeuses et encercleront Hélios. Ils comprimeront sa matière vers le centre. Il suffira d'une onde puissante, mais brève, de l'ordre d'un quart de seconde, de façon à ce qu'un poids suffisant traverse l'horizon du trou noir et le fasse grossir. Ensuite, Hélios ne pourra pas échapper à son attraction. Sa matière formera un disque d'accrétion. Le système stellaire sera, lui, totalement absorbé dans quelques milliers d'années. C'est pourquoi il doit être inhabité.

— C'est un plan... audacieux, commenta le docteur Jin.

— J'ai pris le temps d'en calculer les détails, mais ce ne sont que des points techniques. »

Ek'tan rejeta la tête en arrière.

« Entendu. Sous réserve que l'amirale Flaminia soit aussi convaincue par vos projets. »

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