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12. Lui qui possédait tous les rires


L'histoire vous rappellera toujours qu'un empire n'a besoin que d'un seul tyran, et de dix mille sujets qui se croient incapables de le vaincre.

Ce n'est pas qu'ils sont aveugles, ou couards, ou stupides ; c'est qu'ils savent que le tyran est un tyran, et ne savent pas que les autres le savent.

Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde


Chaque jour, le nombre des condamnés augmentait et Kariev s'enfonçait davantage dans la terreur. De crainte d'être dénoncé soi-même, on dénonçait son voisin ; si le voisin avait déjà fui, on dénonçait son chat. On s'inventait des suspicions, on échafaudait des raisons, finalement, on poussait vers la corde les plus purs, ceux qui avaient refusé de vendre quelqu'un d'autre pour s'acheter un sursis.

Arcana s'en lassait. Depuis la défaite de l'Armada, elle avait cessé de voir ses ministres ; elle passait des journées entières enfermée dans sa salle d'audience, à regarder tomber la neige. L'hiver avait déjà duré quatre mois ; il se terminerait bientôt. D'ici là, ses fruits glacés ne cessaient de se multiplier. Les arbres de la cour ne suffisant plus, on pendait désormais aux ponts.

La reine vampire émit un profond soupir, de ceux que les acteurs de théâtre, jouant le grand amour, expirent entre deux tirades enflammées. Elle-même n'avait jamais connu l'amour. Aussi bien celui de son père absent que de ses amants évanescents, si vite éteints, comme la flamme vacillante d'une bougie, un soir où gronde la tempête. Aussi bien celui que le peuple, dit-on, porte à ses rois, aussi bien celui que Kaldor, disait-on encore, portait aux conscients et qu'en retour, on aurait dû porter à Kaldor.

Arcana s'était contentée d'imitations, tel cet enfant poitrinaire, incapable de sortir de chez lui, qui ne connaît le monde que par les livres, les animaux que par les jouets qui débordent de sa chambre à coucher, qui croit que la carte étendue au bureau de son père est le territoire et qui, en rêve, parcourt un royaume fait de cuir bouilli, teint en vert, sur lequel sont dessinés des châteaux à quatre tours. Tout ce qui ressemblait, de près ou de loin, à une forme d'amour, elle en devenait mortellement jalouse ; elle s'emparait de ce sentiment, le disséquait et l'empaillait, avec la férocité d'un alchimiste en quête de l'absolu, quand bien même elle savait déjà que son absolu n'existait pas, qu'elle n'obtiendrait jamais ce qu'elle voulait vraiment, et qu'elle marchait depuis toujours au bord de l'abîme.

Elle rabattit le châle de soie sur ses épaules, resserra le col de sa robe d'hermine blanche et descendit de son siège. Comme chaque matin, comme chaque soir, elle marcha le long de l'immense vitre décorée, fit glisser sa main contre le verre pour en effacer la buée. Elle ne différenciait plus la nuit du jour, le rêve du sommeil ; elle sentait partout la présence d'Hélios, un soleil éternel, brisant tous les cycles et tous les ordres établis. Un être de chaos.

Sa robe glissa contre un rideau replié. La neige s'était arrêtée, les derniers flocons suspendus dans l'air. Le soir s'abattait sur Kariev, qui retenait son souffle ; la police d'État sortait dans les rues, en chasse de toute sympathie envers le dieu-soleil.

Des lueurs s'allumèrent tout au bout de ses jardins, un petit cercle d'étoiles vacillantes. Elle plissa des yeux. Un groupe de serfs humains protestait à ses portes. Ils étaient déjà venus la veille. Ils étaient revenus ce soir. C'était du jamais vu à Kariev. Ces loqueteaux se trouvaient encore si loin qu'elle ne pouvait pas les compter, ni distinguer l'un de l'autre ; ils formaient une métaphore indéchiffrable.

Arcana ne craignait pas que son royaume soit renversé. Même si la porte de cette grande salle s'ouvrait avec fracas et qu'une jacquerie se déversait sous les lustres scintillants, son règne ne finirait pas. Nul sur Lazarus n'avait la force de défier la reine. Elle était encore une déesse en ce monde. Et les serfs repoussés aux grilles de ses jardins ne souhaitaient rien de plus que d'attirer son attention.

Elle entendit quelques claquements, qui firent résonner la vitre. Les lumières s'agitèrent et s'éteignirent ; le gros de la foule se dispersa, laissant quelques minuscules points noirs dans la neige. D'autres points noirs traînèrent les corps à distance. La scène se fût-elle déroulée sous ses yeux, Arcana se trouvait déjà trop loin de ce monde pour compatir à sa peine.

Un hululement retentit dans son dos, le rire d'un animal nocturne, qui règne là où tous les autres se cachent, et qui avance lorsque tous les autres s'enfuient. Elle découvrit le bouffon borgne, au centre de la pièce, en pleine lumière. Sa silhouette gauche faisait un contraste saisissant avec l'alignement rectiligne du marbre et du cristal. Face à elle, il se tut, mais sa mâchoire tordue continua de claquer dans le vide, comme animée d'une vie propre.

« Que fais-tu ici, bouffon ?

— Altesse, j'ai été à vos côtés depuis le jour de votre naissance, et j'y resterai jusqu'au jour de votre mort. »

Elle ne voyait quasiment plus que lui, qui lui portait des nouvelles du monde extérieur. De toute la Cour, seul le bouffon était adéquat à son état d'esprit, créature gazeuse évoluant entre un sérieux de marbre et un rire sardonique, observateur assidu, meilleur stratège que Ptolémée, puis tantôt versé dans la plaisanterie cruelle, tel un Aristophane vicieux, pour qui se moquer signifie aussi détruire.

« Altesse, je vous apprends sans doute que le Grand Ivan n'est pas mort.

— Cela te fait sourire ?

— Avez-vous hâte qu'il revienne sur Lazarus ? »

Arcana, pensive, observa son reflet dans la vitre. Par un effet de perspective, sa robe cachait à demi la silhouette grotesque du bouffon.

« Il ne reviendra pas sur Lazarus. La bataille de Realis a été perdue, l'Armada détruite, Ivan n'a plus aucune raison de me revenir en vainqueur.

— Les choses peuvent encore changer.

— Non, c'est terminé. Nous avons perdu. Il ne nous reste plus qu'à attendre patiemment qu'Hélios frappe à nos portes. »

La reine marcha jusqu'à son siège et s'y installa de nouveau. Le bouffon la suivit par à-coups, comme un héron claudiquant.

« Je sais pourquoi tu ris, dit-elle sur un ton empreint de lassitude. J'en ai rêvé. On dit que tout être possède trois vérités, trois vérités essentielles qui le définissent. L'une d'entre elles est capable de le détruire. J'ignore quelles sont les miennes et je m'en moque. Mais je sais quelle est celle de notre monde. L'histoire ne s'est pas déroulée telle que nous l'avons écrite. Lors de la bataille contre Hélios, la grande bataille de Sol, durant laquelle l'Armada Magna défit les troupes de Naglfar, le vaisseau des morts...

— Lors de cette bataille, Lazarus a trahi Kaldor, dit posément le bouffon, d'une voix qui ressemblait à une porte qui grince.

— Voilà, lâcha la reine. Voilà ce que nous aurions dû savoir. Nous avons dépensé tous nos efforts pour un idéal : nous élever au même niveau que nos ancêtres, les vampires qui avaient traversé les étoiles en tête des légions de Kaldor. Mais ces ancêtres étaient pourris jusqu'à la moelle, et nos idéaux ne valaient pas un clou. Ce monde est une comédie. Tu as raison de rire de nous.

— Maintenant, Altesse, nous pouvons rire tous les deux. »

La porte s'entrouvrit. Un costume usé de travail passa l'entrebâillement, surmonté d'un front plissé d'incertitudes ; une main hardie referma le battant sans cacher son inquiétude.

« Dragomir Bokariov, reconnut Arcana. Mon ministre des finances, ajouta-t-elle, car elle ne se rappelait plus des noms de tous les membres de son gouvernement.

— Votre Altesse, je suis désolé de vous importuner ce soir, il m'a été très difficile de...

— Au contraire, je devais vous voir. »

La reine glissa jusqu'à lui telle un fantôme ; plus elle se rapprochait, plus le visage de Dragomir Bokariov se décomposait. Elle se reflétait en lui comme dans un miroir, et son reflet était la peur.

« On dit que je suis capable de lire dans les pensées de mes sujets, dit la reine en lui prenant la main. Je vais vous faire une confidence, cher ministre : je n'ai pas ce pouvoir. Mais même les nobles de la Cour y croient. Ils sont si persuadés de ne rien pouvoir me cacher qu'ils ne me cachent rien. Depuis que je suis petite, je vois au travers de leurs plans et de leurs projets. Tout ce palais est transparent. Mon regard porte jusqu'à l'autre côté du monde, et jusqu'à l'autre côté du monde, il n'y a rien dont je ne me sois lassée.

— Votre Altesse, j'ai appris que notre flotte avait subi un revers...

— C'est vrai. Votre cousin, l'amiral Bokariov, est mort. Ainsi que beaucoup d'autres. On dit qu'il ne nous reste que dix-huit vaisseaux, ou dix-neuf, et que nos troupes n'ont survécu que parce que les remsiens ont grand cœur, et partagent avec les survivants leurs réserves de dioxygène.

— Votre Altesse, j'ai fait les comptes et je crois qu'en diminuant les budgets non essentiels, nous pouvons allouer assez de fonds à nos chantiers...

— Cela fait des années que Lazarus se sacrifie pour envoyer nos armées dans l'espace. Il est trop tard, Dragomir. Nos enfants sont partis vers les étoiles. Ils n'ont rencontré là-bas que la mort, car nous étions marqués de notre péché originel, car Kaldor n'a placé aucun espoir en nous.

— Votre Altesse, nous ne pouvons pas attendre les bras croisés...

— Pourtant, c'est ce que je ferai. »

Arcana prit une grande inspiration. Elle gardait toujours une arme sur elle ; aujourd'hui, c'était un poignard dont la lame courbe avait, dit-on, été forgée à partir de la dent d'un omnisaure. Son père avait fait enchâsser une énorme gemme de lapis-lazuli à son pommeau, ce qui l'alourdissait et le rendait à peine bon à égorger un cochon. On aurait dit un vieux maître d'escrime à la retraite, un ancien bretteur itinérant qui, au terme de son épopée, s'était sédentarisé au service d'une famille de bourgeois, et qui se chargeait de leurs manières, gourmand, frileux et enrobé comme un pâté en croûte.

« Je sais ce que vous souhaitez, Dragomir. Vous voulez que votre cousin ne soit pas mort en vain. Hélas ! Vous n'accepterez jamais la vérité : il est mort pour rien. Notre flotte s'est brisée contre le premier obstacle. Si je cache notre défaite au peuple, c'est pour que ses derniers jours lui soient plus agréables ; mais le dévoreur d'étoiles viendra, demain, dans dix ans, ou dans un siècle ; il viendra manger Sol Lazarus et aucune de nos armes ne pourra en venir à bout, aucun dieu, et surtout pas Kaldor, n'entendra nos prières. Nous étions maudits. Nous avons tourné le dos à notre destin, mais il est revenu devant nous. Ce monde est une tragédie. Mais je crois qu'on peut encore en rire. »

Dragomir Bokariov ne semblait pas saisir le comique de la situation. Arcana lui fit un sourire éclatant, puis elle le frappa une fois à l'emplacement du cœur, puis une deuxième fois, puis une troisième. Il glissa contre sa robe inondée de sang en s'y accrochant, le regard convulsé. La reine ôta son blanc manteau pour le laisser tomber avec lui.

Le bouffon entonna un rire qui ressemblait tantôt à un jappement, tantôt à une chanson à boire qui résonne au fond d'un troquet aviné, aux premières lueurs de l'aube. Car plus personne ne riait sur Lazarus, sauf lui, qui possédait tous les rires, comme on joue d'une partition.

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