1. Lilith
Bonjour !
Bienvenue dans Nolim III, « Les trois noms du dieu-soleil », qui clôt l'arc d'Hélios mais qui sera quand même suivi par d'autres bouquins. Si vous cherchez le livre où Adrian envoie un mouton dans l'espace, c'est ici.
Tout le blabla introductif a déjà été blablaté dans les tomes précédents. Je vous conseille grandement d'aller voir si j'y suis (spoiler : j'y suis) si vous ne l'avez pas déjà fait !
Salutations kaldaristes,
CN
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Les heures étaient devenues des jours. Les jours des années. Les années des siècles. Et tandis que la Terre tournait autour de l'étoile Sol, que la Lune tournait autour de la Terre, le troisième astre du trio circulait dans l'ombre, d'un équinoxe à l'autre.
« Réveille-toi. »
Lilith ouvrit un œil.
Elle était allongée sur le sol de marbre froid. Devant elle, à deux cent mille kilomètres, la Terre se levait. En axe avec Sol, elle présentait sa face visible, bleue et blanche. Dans ce domaine obscur, aux frontières incertaines, Lilith n'avait pour seule voisine que la Terre.
Elle releva la tête. Elle avait peut-être dormi un siècle de plus, mais son corps ne se souvenait de rien, car il n'était qu'une forme astrale. En revanche, son esprit baignait encore dans les cauchemars. La seule vision de ce monde lointain, insouciant en apparence, baigné de la lumière de Sol, lui donna les larmes aux yeux. Un sentiment d'injustice alourdissait son cœur, bien que nulle colère ne soit venue l'entacher.
« Mère ? »
Une main délicate se posa sur son épaule.
« Je suis là, mon enfant. »
Néa posa sa tête contre la sienne. Dans cet univers hostile, situé à mi-chemin entre le réel et le rêve, c'était la seule source de chaleur et de lumière. La Terre avait son soleil. Lilith avait Néa, qui l'aida à se relever. Elle portait une tunique blanche éclatante, qui découvrait le cuir rouge de ses bras. Lilith caressa ses cheveux dorés, dont surgissaient deux cornes blanches ; elle contempla ses yeux clairs, comme un lac de douceur et de paix.
« J'ai fait d'horribles rêves » dit Lilith.
Lilith dormait depuis deux mille ans et son sommeil était l'écho des souffrances de la Terre. Elle avait vécu chaque meurtre, chaque trahison, chaque guerre ; une longue litanie de tourments. Une pluie rouge, des fleuves de sang s'abattaient sans cesse sur son enfer, sur sa prison de ténèbres, d'où elle n'avait jamais pu sortir.
« Comment un tyran peut-il tuer des millions d'hommes ? »
Néa ne répondit pas. Elle ne répondait jamais ; ce n'était pas nécessaire. Sa fille souffrait avec la Terre et elle souffrait avec sa fille. Elle referma sa main à six doigts sur la sienne, pour la rassurer en silence. Le son de sa respiration était apaisant, comme si elle aurait pu, en fermant les yeux, dissiper le brouillard sombre qui s'étendait autour d'elles sur un millier de kilomètres. Cette masse de peurs, de plaies et d'afflictions, enfermée dans une coquille inerte, qui dérivait dans l'espace depuis deux mille ans.
« Comment les dieux peuvent-ils le permettre ? dit Lilith, la voix brisée, car elle savait cette question vaine. Quand est-ce que cela prendra fin ?
— Les tyrans ont tous pris fin, lui fit remarquer Néa.
— Mais la souffrance n'a jamais cessé. »
Des larmes coulèrent sur son visage, dont le sel piquait sa peau rouge cramoisi. Le monde, pour Lilith, était une roue. Les humains sur Terre, ailleurs les vampires, les samekhs, ou d'autres encore, étaient enchaînés à cette roue. Ils croyaient en un avenir meilleur. Ils promettaient la paix à leurs enfants, et des étoiles dansaient dans leurs yeux quand ils pensaient aux temps de félicité, et qu'ils prophétisaient leur retour. Mais leurs enfants seraient rattrapés par la roue.
« Combien d'hommes doivent-ils mourir ? » demanda à nouveau Lilith.
Elle avait été, en son temps, la reine des ombres, et des occultistes la vénéraient encore pour cela. Mais Lilith était endormie et ne répondait pas à leurs appels ; aussi invoquaient-ils d'autres créatures, des démons rôdant aux abords d'Océanos, ou circulant dans l'espace lointain. Ceux-là satisfaisaient bien souvent leurs exigences ; ils honoraient leurs promesses et, en retour, récoltaient leurs âmes.
« Tous les hommes finiront par mourir, observa Néa. À l'exception d'un seul, qui est devenu immortel. »
À cette mention, Lilith se souvint que sa mère lui en parlait déjà quelques siècles plus tôt. Elle lâcha sa main, fit quelques pas toute seule, respira l'air vicié de cette approximation de monde. Le regard ne pouvait pas repousser bien loin les ténèbres opaques qui menaçaient sans cesse de les engloutir. Seules deux sources de lumière maintenaient les cauchemars à distance. La plus proche, la plus certaine était Néa, qui veillait sur les âmes en peine en leur souhaitant le repos, et parmi toutes, sa fille adoptive. L'autre était le croissant de Terre, dont la lueur surgissait à chaque cycle, rappel encourageant que, malgré toutes les atrocités de l'histoire, malgré la noyade de générations entières dans les flots de chaux brûlante du désespoir, la Terre survivait toujours.
« Mais combien doivent-ils encore souffrir ?
— Ils ne souffriront pas tous. Et tous seront sauvés.
— Tous ? Que nous importent les tyrans !
— Même les tyrans. Même les pires des criminels, et ceux qui ont arraché le masque de l'humanité, qui sont devenus des monstres. Ils marcheront mille ans dans le lointain désert d'U'jera, dans la solitude, avant de rejoindre la Source du Temps, et quand ils reviendront vers nous, nous les accueillerons de nouveau parmi les civilisations de la lumière. »
Elle avait raison. Néa avait toujours raison. Son amour avait triomphé des pires monstres, dont Lilith elle-même. Alors la jeune fille sécha ses larmes. Elle remit de l'ordre dans ses cheveux. D'un noir d'encre, ils avaient pris une teinte lunaire, comme si Lilith se libérait des milliers de démons autrefois attachés à elle.
« Pourquoi m'as-tu réveillée, mère ?
— Je voulais te montrer quelque chose. »
Elle lui prit la main et la guida à travers le brouillard. Le sol n'était pas partout tangible comme au centre de leur séjour ; souvent, il était mou, spongieux comme une matière organique ; chaque pas y soulevait une puanteur de marécage qui s'assèche. Mais Néa écartait l'ombre de quelques mètres, assez pour s'y tracer un chemin. Elle ne craignait pas les serpents noirs qui glissaient entre les bancs de fumée, ni les longs cristaux de glace, fins comme des aiguilles, sur lesquels un corps astral se déchirerait en deux. Car sa lumière se reflétait sur ces formes de l'ombre, les faisait surgir du brouillard et les rendait inoffensives.
Elles posèrent le pied sur la première marche d'un escalier, qui se forma à mesure de leur avancée. Bientôt, le brouillard se fit moins dense, l'air plus respirable. Lilith put apercevoir la frontière de ce monde invisible au commun des mortels, une surface transparente derrière laquelle perçait la lumière des étoiles. La Terre réapparut, vieille confidente qui, à force de raconter ses histoires, n'avait plus de secret pour elles.
« Que voulais-tu me montrer ? dit Lilith en pressant la main de sa mère.
— Regarde là-bas. Entre ces étoiles qui forment un losange. Juste au milieu. »
Elle plissa les yeux. En effet, un petit point rougeâtre clignotait.
« La lumière est trop lente dans cet univers pour que son image soit parvenue à la Terre. Mais dans la Noosphère, il est déjà partout. Le peuple de la Terre plonge dans un sommeil sans rêve, car les rêves se cachent en craignant sa venue. Toi et moi, nous naviguons entre le réel et l'irréel, sur notre barque, c'est pourquoi nous le voyons ainsi. Il est loin de nous. Mais il est là.
— C'est bien lui ? Tu le reconnais de si loin ?
— Oui, mon enfant. Il n'y a qu'un seul dieu-soleil. C'est Aton, le dévoreur d'étoiles, notre propre frère. Il est revenu de la prison où Kaldor l'avait enfermé – le Monde Solitaire, notre propre monde. Il est revenu pour mettre fin au Temps.
— Va-t-il y parvenir ?
— Le corps d'Aton ne pourra grossir que jusqu'à une certaine limite. Aussi, ce qui me préoccupe le plus, c'est le principe de son esprit. C'est la symbiose entre l'esprit d'un mortel et celui des étoiles sous son emprise. C'est cela qui doit prendre fin.
— Et c'est pour cela que tu attends ?
— Je veille sur toi depuis deux mille ans, mon enfant. Nous allons pouvoir bientôt partir d'ici. Mais en effet, je dois attendre cet homme.
— Est-ce que tu vas te battre contre Aton ? »
Néa sourit.
« Je suis trop faible pour cela. Non, mais il sera vaincu. Tu sais, Lilith, Kaldor a prévu que cet homme se tournerait vers moi. Je pourrai alors lui donner les clés dont il a besoin.
— Un mage d'Arcs suffira-t-il pour ce combat ?
— Ils seront deux. Et ce sont bien plus que des mages d'Arcs. Ce sont des êtres capables de défier les dieux, chacun à leur manière, et qui l'ont prouvé à maintes reprises. »
Les voix discordantes du doute se turent. Lilith accepta la paix qui émanait de Néa, elle se laissa bercer par ses paroles.
« Quels sont leurs noms ?
— L'une porte un nom très rare dans l'Omnimonde, mais elle l'a porté des milliers de fois. L'autre porte deux noms. Mais ce deuxième nom est aussi un message. Comme s'il avait quelque chose à dire à l'univers, quelque chose que seule pourrait entendre celle à qui est destiné ce message. Un mot peut-être, sur lequel les linguistes gloseraient sans relâche, hésitant entre le nom et le verbe, l'objet et l'action. Un nom qu'il sèmerait sur son chemin, car c'est un infatigable voyageur. Et ce nom est « Nolim ». C'est le nom de notre espoir. »
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