7 En avoir gros sur la patate !
Le reste de la soirée me parait durer une éternité.
Et lorsqu'à minuit, Juliette me dépose enfin devant le portail de chez mes parents, je remercie mes dix ans de théâtre en amateur pour avoir aussi bien joué la comédie. Moi-même, j'y aurais presque cru. J'ai réussi à faire semblant pendant tout le dîner. Le sourire ultra bright, je me suis obligée à paraître enjouée jusqu'à m'en faire une crampe à la mâchoire.
—À plus, poulette. On s'appelle, on s'fait une bouffe, crie Juliette après avoir baissé la vitre de sa Fiat 500 noire.
—Bonne nuit Lise, bisous, rajoute Sophie en me faisant au revoir de la main.
—A bientôt. Rentrez-bien.
A force de sourire comme une imbécile heureuse, j'ai les muscles zygomatiques tétanisés. C'est n'est qu'une fois la voiture disparue que je m'autorise à redevenir moi-même en reprenant ma tête de dépressive célibataire sans emploi.
Je n'arrive pas à m'en remettre. Mes deux meilleures amies sont à un tournant de leur vie. Elles voient leur existence changer, évoluer d'un coup alors je suis en train de stagner telle de l'eau croupie.
À vingt-cinq balais, qu'ai-je accompli ? Rien. Nada. Nothing.
Je suis une ratée, et la seule chose de potable dans ma vie, je l'ai bousillée à cause de mon caractère de cochon.
Mais qu'est-ce qui cloche chez moi ?
Juliette se voit offrir une superbe situation professionnelle et Sophie, qui est comptable dans une grande boîte, s'apprête à être une maman géniale. Toutes deux vivent une belle histoire d'amour avec deux mecs canons et sympas.
Et moi dans tout ça ?
Moi, je suis seule comme un chien errant ayant trouvé refuge chez ses parents.
Inconsolable, je passe le reste de la nuit à sangloter, le visage enfoncé dans mon oreiller tout déformé.
—Hé Ho, la marmotte, j'entends une voix de crécelle.
J'essaye d'ouvrir les yeux mais j'ai l'impression que mes paupières ont été collées entre elles avec de la glue. C'est une sensation très désagréable, et c'est ce qui arrive lorsqu'on pleure trop. J'ai mal à la tête aussi, une migraine carabinée doublée d'un nez complètement bouché.
—Liseuh, insiste la voix.
Plus de doute, il s'agit bien de mon frère.
—Tu veux quoi, Simon ?
—Maman me fait te dire que nous passons à table.
—Hum, il est quelle heure ?
—Treize heures trente. On t'a attendue, mais là j'ai trop faim...
Son ventre se met à gargouiller.
—Explique à maman que je m'suis couchée très tard. Je vais me reposer encore un peu.
—Okay d'acc.
—Referme la porte derrière toi, s'il te plait.
Je ne mets pas longtemps à me rendormir. C'est l'unique chose que je suis encore capable de bien faire. Sombrer dans un profond trou noir pour oublier réalité.
Lorsque mon réveil pour prendre ma pilule retentit à dix neuf heures trente, j'ai envie de jeter mon smartphone à l'autre bout de la pièce. Enervée de ne toujours pas l'avoir désactivé, je le choppe lorsqu'il s'arrête in extremis de sonner. Du coup, pas la peine de casser mon téléphone pour rien. Quoique, cela m'aurait alors évité de devoir lire les trois sms reçus pendant la journée.
Le premier, à 12h46, vient de Sophie :
Coucou ma poule, alors tu te remets de ces bonnes nouvelles ? ^^
En tout cas, j'ai passé une trop bonne soirée.
Tu me dis si tu veux qu'on se voit dans la semaine.
Gros bisous de nous deux. (Moi et le bébé, héhé ! :p )
Le second, à 16h19, vient de Juliette :
Salut salut poulette.
Bien dormi ? Tu fais quoi ?
Moi, je suis en train de regarder les apparts sur Panam, putain, c'est hors de prix.
Heureusement que j'aurais la paye qui va avec, mouahahahahah.
Dis-moi quand on peut se voir.
Bisous ma caille.
Et le troisième, à 18h58, provient de Jules.
Un frisson se met alors à me parcourir le long de la colonne vertébrale.
Qu'est-ce qu'il veut ? Déjà une semaine d'écoulée sans que ni l'un ni l'autre ne daigne prendre de nouvelle.
A t-il besoin d'une signature pour la résiliation du bail de l'appartement ?
Ou peut-être d'un document précis lié à nos factures communes ?
Après tout, j'étais partie plus vite que mon ombre, telle une étoile filante ou Lucky Luke. J'avais laissé Jules gérer seul, c'était logiquement ce qu'on avait convenu. Nous nous étions mis d'accord quant au fait que nous ne pouvions pas vivre sous le même toit pendant les trois mois de préavis obligatoires avant de pouvoir rendre notre logement.
Du coup, puisque lui avait suffisamment d'argent pour payer le loyer en entier, du moins temporairement, j'avais fiché le camp le jour même de notre rupture, puis je fis définitivement mes valises une semaine après. Mon père et ma mère m'avaient aidée à récupérer mes meubles. On ne tergiversa pas, ce fut plié en deux temps trois mouvements. En fait, je n'avais même pas eu le temps de réaliser ce qui nous arrivait que j'étais déjà de retour dans la maison familiale, loin de Jules et de ma vie d'avant.
Qu'est-ce que tu me veux encore ? pensé-je, la gorge nouée.
Il faut que je sache. Impossible de supprimer son message sans le lire.
Non sans une certaine appréhension, je finis par l'ouvrir :
Bonsoir Lise,
Tu as oublié des dvd à toi à l'appart.
Et des livres aussi.
J'espère que tu vas bien.
Bonne soirée.
Jules.
Et voilà. Moi qui pensais être à sec, que nenni, c'est reparti pour un tour, je pleure de plus belle. Jusqu'à ma mère vienne toquer à la porte.
—Lise, ma puce, je peux entrer ?
—Oui, hésité-je.
—Oh, Lise chérie.
Elle s'assied et me serre fort dans ses bras.
—Mon cœur, ça va passer, tu verras.
—Quand ?
—Plus vite que tu ne le penses, je te le promets.
—Ne fais pas de promesse que tu ne peux pas tenir.
—Tu sais ce que me disait ma grand-mère quand je n'avais pas le moral ?
—Non.
—Que la vie est un pot de merde dont on mange une tartine chaque jour.
—Ouais mais moi c'est le pot entier dont je me suis empiffrée.
Elle me caresse les cheveux et en profite pour remettre l'une de mes mèches rebelles à sa place.
—Mais non, je t'assure. L'orage finira par se calmer, et quand ce sera le cas, tu n'en ressortiras que plus forte. En attendant, ton père et moi, nous sommes là pour t'aider, pour te réconforter.
—Et moi aussi, intervient Simon avec sa voix fluette de garçon qui n'a pas encore mué.
Il saute sur mon lit et s'allonge à côté.
—Et moi, bien sûr, s'immisce à son tour mon père en apparaissant à l'entrée de ma chambre.
Il dépose un baiser sur mon front, puis imite Simon et maman en s'installant au milieu de nous trois sur mon matelas.
À ce moment précis, j'en ai gros sur la patate. Je me rends compte à quel point mes parents et mon petit frère m'aiment fort, et réciproquement. J'ai beau avoir le cœur en charpie, j'ai la chance de ne pas être toute seule pour recoller les morceaux.
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