10 Avoir la gueule de bois !
Lever de rideaux.
Les yeux lourds, je plisse plusieurs fois des paupières avant de parvenir à voir quelque chose.
—Elle se réveille, dit une voix familière.
L'instant d'après, j'ai le droit à un gros plan des sourcils broussailleux de mon père.
Il se recule un peu. Ma mère se tient juste à côté. Ils me sourient chaleureusement.
C'est donc ça le paradis, être entourée des personnes que l'on aime ?
—Je... je suis vraiment désolée, je parviens à prononcer, la bouche pâteuse.
—Oh non ma chérie, ne t'excuse pas, tu es là, avec nous. On ne t'abandonne plus.
—On t'aime, tu sais, conclut mon père, avant que je ne finisse en hotdog géant, écrasée entre mes deux parents.
—Je ne voulais pas... tenté-je de dire, à moitié étouffée et avalant les cheveux de ma mère au passage.
—Chut, repose-toi. Ça va aller.
Je jette un coup d'œil alentour. Nous sommes sans aucun doute possible dans une chambre d'hôpital. Murs et plafonds blancs immaculés. C'est froid et impersonnel, carrément flippant. Je suis allongée dans un lit médicalisé, et comme je m'y attends, je découvre en baissant les yeux que je suis perfusée. Je fais la grimace. C'est psychologique, je hais les aiguilles, et rien que d'y penser, j'en ai des frissons.
—Et Simon, où est-il ? Comment va-t-il ? je les questionne en me redressant légèrement.
—Il va très bien. Nous sommes lundi, il est au collège aujourd'hui.
—Et vous, vous n'êtes pas au travail ?
—On a pris quelques jours de congé, répond mon père.
—Mais...
—Bon, pipelette, tu arrêtes de bavarder, oui ? Repose-toi plutôt.
Mon père s'installe sur la chaise à ma droite, et ma mère s'assoit au pied du lit.
—Qu'est-ce qu'il s'est passé après que... Je me souviens de la porte des toilettes, et puis, plus rien.
—Tu es tombée et tu t'es évanouie. Il faut dire que tu ne t'es pas loupée, ma puce, m'annonce mon père.
—A cause des Lexomil ? J'ai eu un lavage d'estomac, c'est ça ?
—Non, heureusement. Tu regardes trop de films, toi ! Tu ne serais pas dans cet état si ça avait été le cas, m'explique t-il.
—Tu ne sens pas ? Oh ma chérie, c'est tant mieux, les antidouleurs doivent encore faire effet.
—De quoi vous parlez ?
Ma mère se relève et part chercher son sac à main posé sur la petite table, devant l'armoire murale coulissante. Elle fouille dedans, en sort son miroir de poche pour me le donner. Hésitante, je prends une grande goulée d'air avant de l'ouvrir pour découvrir mon reflet.
—Putain ! Qu'est-ce que j'ai fichu ?
J'ai un plâtre sur le nez. Oui, sur le nez. Ce qui me donne un faux air d'Hannibal Lecter, la grille devant la bouche en moins.
—Dans ta chute, tu t'es cassé le nez, me raconte mon père.
Je soupire, dépitée.
—Comme si ma vie n'était pas déjà une vaste blague, voilà que je vais ressembler à Bozo le clown une fois le plâtre enlevé.
—Ta vie n'est pas une vaste blague, ma chérie. Ce qu'il te faut à présent, c'est une aide pour soigner tes autres blessures, celles qui sont plus profondes et que nous n'avons pas su déceler, dit ma mère, l'air accablé.
—Mais maman, c'était juste un coup de déprime, je vais bien, je t'assure, j'essaye de la convaincre. Je ne voulais pas mourir, je te le promets. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris et comment j'en suis arrivée là. Une chose est sûre, l'alcool et Balavoine n'ont pas aidé. Je n'aurais jamais réagi de la sorte sans la tequila et Tous les cris les sos.
—Ma puce, ce qui s'est produit est extrêmement grave.
—Oui, j'en ai conscience, je baisse le menton, honteuse.
—Non, tu ne dois pas te sentir coupable, Lise, personne ne l'est. J'ai lu plein d'articles très intéressants à propos de la dépression, et on va s'en sortir. On va se serrer les coudes. Toute la famille te soutient.
—Ta mère et moi, nous t'aimons tellement. N'oublie jamais ça, ajoute mon père en se redressant sur sa chaise.
Je le vois, je la connais. Ma mère se retient pour ne pas pleurer. J'ai un pincement au cœur. Tous deux me fixent sans ciller. Je constate qu'ils portent les mêmes habits que la veille, ceux qu'ils avaient avant d'aller dîner chez les Martin. Ils n'avaient jamais étés aussi inquiets de leur vie, cela se voyait comme le nez au milieu du visage. Et sans mauvais jeu de mots, le mien, on ne pouvait plus le rater.
Je jette un second coup d'œil dans le mini miroir ovale. C'est moche. En plus du plâtre blanc qui enroule mon nez et du scotch de la même couleur allant de mon front jusqu'à chacune de mes pommettes, j'ai un œil au beurre noir et la lèvre inférieure boursouflée. On aurait pu croire que je me suis battue toute la nuit. Mes ennemies à moi : un gros chat roux et une porte en bois.
—On m'enlève ce truc dans combien de temps ?
—D'ici six sept jours à peu près. Mais tu devras ensuite en porter un la nuit.
—Toute ma vie ? je m'écrie, atterrée.
—Mais non, voyons. Quinze jours de plus. Hein Patrick, c'est ça qu'il a dit le médecin ? se retourne ma mère vers mon père.
—Oui. Tu as aussi des mèches dans le nez, mais avec les calmants qu'ils t'ont administrés, tu ne dois rien sentir, si ?
Je hoche la tête. Effectivement, j'ai le visage engourdi. Je m'entends juste parler avec une voix de canard depuis le début de la conversation, mais sinon, je n'ai pas mal.
—Et je sors quand de l'hôpital ?
—Demain matin.
—Oh non, mais pourquoi ? Je vais bien, je ne veux pas rester ici. Entre mon masque de plâtre et l'atmosphère austère de cette chambre dans laquelle je suis enfermée, j'ai l'impression d'être dans le Silence des agneaux.
—N'importe quoi, s'esclaffe mon père.
—Allez, rendors-toi encore un peu, Lise. Les médecins ont dit que tu serais très fatiguée.
—Ils n'ont pas la science infuse que je sache, vociféré-je, les bras en croix et les sourcils froncés.
—Tu sortiras demain matin, conclut sèchement ma mère. Et lorsque tu auras repris du poil de la bête, nous irons voir quelqu'un pour panser tes blessures.
Je plisse les yeux.
—Panser mes... ? Tu parles de retirer mes mèches ?
—Non, je te parle de consulter un psychiatre.
—Quoi ? Non.
Je suis scandalisée. Un psy ? Je déteste ces gens-là. Je refuse catégoriquement de devoir me confier à un inconnu bigleux et barbu qui notera mes paroles sur un carnet en disant à intervalles réguliers : « Mais, vous avez ressenti quoi exactement ? ».
Rien que d'imaginer la scène, j'ai déjà envie de lui jeter son calepin au visage.
—Non, maman, c'est un malentendu. Je te jure sur ma tête que...
—Ne jure pas, me sermonne-t-elle, visiblement en colère. Et encore moins sur ta vie, Lise.
Je poursuis ma plaidoirie.
—Je ne voulais pas en arriver à de telles extrémités. J'étais bourrée hier soir et je me sentais seule. J'ai pété les plombs, cela ne vous est jamais arrivé ?
—Pas à ce point, réplique mon père d'une voix grave.
Je révise ma tactique.
—De toute manière, j'ai vingt-cinq ans, vous ne pouvez pas m'obliger à y aller.
—Lise, tu en as besoin, s'étrangle ma mère.
—Je suis désolée de vous avoir fait subir ça, vraiment désolée, mais je ne raconterai pas mes problèmes à un inconnu qui est juste là pour encaisser les soixante quinze euros de l'heure.
—Arrête de t'excuser. Nous, on veut que tu ailles mieux, dit mon père. Quant au prix, on s'en fout !
—Ce n'est pas Freud et sa psychanalyse à deux balles qui vont m'aider, braillé-je. Et puis, ça va, combien de fois vais-je devoir vous le répéter ?
—Non, on ne serait pas ici, à l'hôpital, si tu allais bien.
—Lise, ma chérie, comprends-nous, on a eu si peur, temporise ma mère, on ne peut pas oublier ce qui s'est passé et faire comme si de rien n'était.
J'inspire un bon coup.
—Bon, OK, OK, j'irai le voir votre psy de pacotille, je déclare forfait.
Après tout, si ça pouvait soulager mes parents pour le mal que je leur ai causé, je leur devais au moins ça. Je hisse le drapeau blanc.
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