Un Chant de Noël, Épilogue
Holmes s'éveilla en sursaut, haletant, couvert d'une pellicule de sueur glacée.
Il se trouvait dans sa chambre.
Ses joues étaient mouillées de larmes, sa gorge affreusement serrée et ses yeux brûlants de sanglots versés. Que s'était-il passé ? Sa mémoire était complètement vide.
Il avait peut-être mal dosé la cocaïne...
Ses yeux se posèrent sur l'horloge. Trois heures s'étaient écoulées depuis qu'il s'était allongé sur son lit, sa seringue à la main.
Un peu groggy, il se leva et se rendit dans le salon. Watson n'était pas revenu. Une vague de tristesse et de solitude l'envahie.
Son regard tomba sur la table. Un carré blanc attira son attention. Il s'approcha. Il s'agissait d'une carte où trois anges étaient dessinés, un noir, un gris et un blanc. Il la prit et la retourna machinalement.
« Joyeux Noël, mon cher Holmes », y avait-il marqué derrière.
Trois certitudes s'imposèrent soudain à lui.
Il aimait Watson. Watson l'aimait. Et il devait le lui dire.
Parce que son ami méritait tout le bonheur du monde. Parce qu'il voulait le rendre heureux et vivre à ses côtés. Parce qu'il ne savait pas combien de temps ils avaient, et qu'il ne voulait pas en gâcher une journée.
Parce que l'avenir lui appartenait, et qu'il entendait le modeler à sa manière.
Ses yeux tombèrent sur les deux sacs de décorations que Watson avait ramené un peu plus tôt. Il inspira profondément, posa la carte aux trois anges sur la cheminée et retroussa ses manches. Il avait du travail à faire, s'il voulait offrir à Watson le meilleur Noël qu'il ait jamais vécu.
Premièrement, établir un plan d'action.
Bien.
Parfait.
Il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il fallait faire.
Il ne s'était jamais véritablement intéressé à Noël dans son enfance. Des dizaines de gens importants venaient chez ses parents, Mycroft et lui étaient exhibés par leurs percepteurs, puis renvoyés dans leurs chambres, et c'était tout. Il avait quitté la demeure familiale dès qu'il avait pu et n'avait jamais ressenti la nécessité de célébrer Noël depuis. Peut-être n'avais-je rien à fêter, songea-t-il fugitivement.
Fi de toutes ces considérations : il avait besoin de documentation ! Mais il n'avait pas le temps de se rendre à la bibliothèque ou la librairie la plus proche, et les deux seraient probablement fermés pour Noël...
La solution jaillit dans son esprit, claire, simple, efficace.
Il ouvrit la porte du salon, dégringola les escaliers et fit irruption dans les appartements de la pauvre Madame Hudson, qui ne passa pas loin de l'arrêt cardiaque.
— Monsieur Holmes ! protesta-t-elle, stupéfaite, en notant ses habits défais et sa mine résolue. Ne me dites pas que vous avez encore troué mon tapis !
— Le tapis ? Non, pas du tout. C'était Lestrade, de toute façon. Madame Hudson, j'ai besoin de votre aide.
— Mon aide ? s'étonna la logeuse.
— Oui, vous. S'il vous plait. Je voudrais fêter Noël. Que faut-il faire ?
La vieille dame se permit quelques secondes de confusion totale, puis tira une chaise, s'assit, et cessa de se poser des questions. Son expérience lui avait appris à être pragmatique. Les « pourquoi » étaient bien souvent inutiles.
Elle se mit donc en devoir de répondre aux questions du détective suspendu à ses lèvres, comme si elle seule possédait le secret du bonheur éternel.
— Pour la nourriture... Je suppose qu'il faut des petits sablés, idéalement, et quelques mince pie... Une dinde farcie pour le repas, de toute évidence. Et un pudding de noël au dessert.
— Vous avez tout cela ?
La logeuse ouvrit de grands yeux excédés.
— Figurez-vous, Monsieur Holmes, qu'un détective de ma connaissance a décidé qu'il ne fêterait pas Noël cette année. J'ai donné toutes mes mince pie aux enfants du quartier et je n'ai pas acheté de dinde, ni fait de pudding, pour vous et le docteur. Personnellement, je vais manger chez ma sœur...
Holmes se mordit les lèvres, hésita, puis se mit à genoux devant la vieille dame pour prendre ses mains dans les siennes.
— Madame Hudson... Je sais qu'il est tard... Mais si j'envoyais quelques-uns de mes irréguliers faire les courses, vous accepteriez de nous préparer un repas de Noël, pour Watson et moi ? Je sais que c'est beaucoup demander et vous auriez tous les droits de refuser, mais cela signifierait beaucoup pour moi.
La logeuse sourit.
— À une condition, Monsieur Holmes.
— Laquelle ? s'inquiéta le détective.
— Que vous décoriez l'appartement avec tout ce que le docteur a acheté cette après-midi !
— Madame Hudson, vous êtes une perle ! s'exclama Holmes en piquant un baiser sur sa joue. J'y vais de ce pas ! Merci ! Merci !
Madame Hudson rit en l'entendant quitter gravir les escaliers quatre à quatre.
Watson quitta son frère vers huit neuf du soir, le cœur un peu plus léger qu'à l'allée. Lorsqu'il était revenu de la guerre, Harry était devenu un ivrogne notoire et refusait d'admettre jusqu'à son existence. Il s'était un peu repris en main depuis, et il bénissait le Ciel de pouvoir passer quelques moments heureux en sa présence.
Son ventre grogna, mécontent. Une odeur de pâtisserie embaumait l'air. Il faillit en acheter, mais renonça. Il ne voulait pas risquer de provoquer une nouvelle dispute entre Holmes et lui. Pourvu qu'il le trouve de meilleure humeur qu'à son départ...
La tête rentrée dans les épaules, le bout du nez gelé, il prit la route menant à Baker Street.
Alors qu'il était presque arrivé, une pensée désagréable s'imposa à lui. Madame Hudson était absente pour la soirée. Elle leur avait probablement préparé quelque chose, mais vu la résistance de Holmes, ce ne serait probablement pas un formidable repas de Noël...
Enfin, s'il avait renoncé au reste, il pouvait bien renoncer à ça. Et puis, il aurait son détective, de toute façon, c'était l'essentiel.
Il atteignit la porte du 221b et toqua trois fois. Comme personne ne venait lui répondre, il testa la poignée, qu'il trouva ouverte, et entra.
Un délicieux fumet de dinde farcie, de pudding et de gâteau de Noël effleura ses narines, le ramenant sans prévenir aux années perdues de son enfance. L'image de sa mère flotta devant ses yeux. Il lui sourit et la chassa en même temps que les larmes qu'elle avait fait naître, témoins de nostalgie et de regrets enfouis.
Madame Hudson avait donc cuisiné, finalement. Pour eux ou pour sa sœur ?
Intrigué, Watson retira son manteau et son chapeau avant de grimper les marches menant à l'appartement. Il ouvrit la porte du salon sans y penser.
Et se figea.
La pièce était décorée de branches vertes et de rubans rouges artistiquement accrochés aux murs. Des anges en porcelaine et des pommes de pins dorées étaient disposés sur un porte-manteau couvert de guirlandes et surmonté d'une étoile, comme un sapin de Noël. Des bougies chatoyaient un peu partout, donnant au salon familier une ambiance douce et chaleureuse. La table était superbement dressée, l'argenterie des grandes occasions reflétant avec entrain la lueur des bougies. Une cloche protégeait un plat chaud sur la table basse, à côté d'un pudding et d'une bouteille de vin.
Mais ce n'est pas cela qui émerveilla le plus Watson.
Ce qu'il contemplait avec stupeur, comme un homme soudain précipité en face de la plus grande merveille de l'univers, était le détective échevelé aux habits froissés qui regardait d'un air perplexe la boule de gui qu'il tenait dans ses mains.
— Holmes... murmura Watson, terrifié à l'idée que la scène s'efface, comme le mirage qu'elle était certainement.
Le détective sursauta et se tourna vers lui.
— Watson ! s'exclama-t-il. Déjà ! Bon sang, je n'ai pas fini ! Je ne me suis pas changé ! Je ne sais même pas ce que je suis censé faire avec cette chose... Vous l'aviez enveloppé dans un morceau de tissu, donc je suppose que c'est une pièce de décoration importante, mais Madame Hudson m'a lâchement abandonné tout à l'heure...
Watson sentit ses lèvres sourire sans pouvoir les retenir. Comme dans un rêve, il se vit entrer dans la pièce et s'approcher de Holmes, qui le regardait avec des yeux brillants d'émotions contenues.
— Il s'agit d'une boule de gui, souffla Watson en posant sa main sur celle du détective qui tenait la plante.
Ils se figèrent tous les deux, perdus dans la chaleur de ce simple contact.
— Je sais encore reconnaître du gui, répondit doucement le détective, son regard planté dans les yeux si bleus de son ami.
— Il y a une tradition associée à cette plante...
— Vraiment ? murmura Holmes, soudain infiniment vulnérable.
Le pouce de Watson caressa doucement le sien.
— Oui... On la suspend en l'air, quelque part où les gens sont susceptibles de passer...
Ce disant, le docteur leva la main, emmenant avec lui celle de Holmes et le gui qu'il tenait.
— Et après ? souffla le détective.
— Si deux personnes se croisent en dessous...
Watson resta un instant en suspends, le cœur battant si fort qu'il l'assourdissait presque. Mais il voyait dans les yeux de Holmes ce qu'il avait toujours rêvé d'y voir et cette découverte l'enivrait si fort qu'il se sentait capable de tout.
— Elles s'embrassent, finit-il en se penchant pour déposer lentement ses lèvres sur les siennes.
Holmes lâcha le gui pour refermer ses bras autour de lui. La bouche de son ami était chaude et tendre contre la sienne, tout l'inverse de son visage encore glacé par le vent d'hiver.
Embrasser Watson ne ressemblait à rien de ce qu'il connaissait. C'était... C'était comme si le monde entier trouvait soudain sa place. Rien n'avait plus d'importance en dehors de ça, en dehors d'eux-deux, là, maintenant, de son cœur qui battait à toute vitesse, de ce corps pressé contre le sien, de cette personne si chère qu'il n'étreindrait jamais assez.
— Je vous aime, avoua-t-il à l'instant où leurs lèvres se séparèrent.
Les yeux du docteur se mirent à luire.
— Je... Oh mon Dieu, Holmes, je vous aime aussi ! Je vous aime tellement. Depuis le premier jour, je n'ai pas cessé de vous aimer.
— Il m'a fallu un peu plus de temps, souffla le détective en caressant sa joue. Vous me pardonnez ?
— Toujours.
Holmes l'embrassa de nouveau, plus fort. Les doigts de Watson glissèrent sans ses cheveux, teintant leur tendresse d'une passion nouvelle. Leurs corps se pressèrent un peu plus fort. Leurs lèvres s'entrouvrirent pour mieux s'abreuver à leur chaleur commune.
Essoufflés, ils se séparèrent en souriant à s'en décrocher la mâchoire et posèrent leur front l'un contre l'autre.
— Et si nous allions nous changer ? proposa Watson. J'ai vraiment envie de vous voir dans votre plus beau costume et de manger avec vous ce repas de Noël. Et ensuite...
— Ensuite... répéta le détective, extasié par toute les possibilités de cette phrase suspendue.
— J'ouvrirai mon présent, termina le docteur en laissant quelques doigts glisser sous le col de sa chemise.
— Un cadeau ! s'exclama Holmes, scandalisé. J'ai oublié de vous trouver un cadeau !
— Vous êtes tout ce que je pouvais demander, répondit Watson en riant devant son air déconfit. Oh, Holmes, ne faites pas cette tête ! Si vous y tenez tant, vous vous rattraperez l'an prochain !
— Parce que nous serons encore ensemble Noël prochain ? reprit le détective hésitant, presque suppliant.
— Et celui d'après, si vous voulez toujours de moi. Et celui d'après, et après, et après...
Un baiser termina sa phrase.
Sur la cheminée, trois anges souriaient sur une carte de Noël.
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