Le Deuxième Noël de Mycroft Holmes - I
Mycroft avait cinquante ans lorsqu'il s'aperçut qu'il était seul pour Noël.
Complètement seul.
La réalisation avait été brutale. L'instant d'avant, il était devant sa fenêtre, dans son bureau du Club Diogène, et songeait au conflit israélo-palestinien en regardant distraitement voleter les flocons. L'instant d'après, ce couple passait, en contrebas, deux hommes qui riaient en se chamaillant tendrement.
Instinctivement, son regard s'était tourné vers son bureau, où son portable dormait, bien sage, à côté de son ordinateur fermé. On était le vingt-quatre. Et personne ne lui enverrait le moindre message.
Quelque chose se modifia brusquement à l'intérieur de son âme, comme un mur dont la dernière brique vient de s'écrouler, révélant, derrière, un paysage dévasté.
Son regard se tourna de nouveau dehors. Sur le blanc du ciel, sa figure se découpa, toute aussi blafarde. Toute aussi vide. Que faisait ce trou, dans son estomac ? Que faisait tout ce silence, tout cet espace creux, au fond de lui ? D'où venait toute cette solitude ?
Elle n'avait pas pu arriver d'un coup. Elle était trop bien installée, trop bien accroché. Il avait beau chercher, fouiller, il ne trouvait rien qui ne soit pas elle. Elle avait pris toute la place, repoussant tout ce qui aurait pu la remplir, ou la colorer.
Ce n'était pas le genre de solitude qui débarquait subitement. Non, c'était ce genre le genre de monstre à s'insinuer, lentement, imperceptiblement, jour après jour, silence après silence, comme l'eau s'infiltre dans une figurine de bois. La surface reste intacte. L'intérieur sonne creux.
Soudain prit de panique, Mycroft essaya de se remémorer la dernière fois qu'il avait parlé à quelqu'un qui comptait. C'était... C'était... Si longtemps ?! Comment était-ce possible ? Comment des années pouvaient-ils filer aussi vite, disparaître et se perdre ? Avec horreur, il s'aperçut que son reflet avait les cheveux presque blancs, les traits tirés, des rides de soucis imprimées sur le front et au coin des lèvres. Il avait l'air vieux. Sec. Et triste.
Par automatisme, son esprit enclencha le « rituel du réconfort ». Il se laissa tomber sur sa chaise, ouvrit son ordinateur, et cliqua sur un onglet au milieu de son bureau. Deux fenêtres se partagèrent l'écran.
À droite, Sherlock. Quelques photos récentes, ses dernières affaires, ses derniers achats par carte bleue, ses déplacements, un résumé des posts de son blog et de ceux de son colocataire-amant... Où en était exactement leur relation, d'ailleurs ? Ce n'était pas le genre de chose que des caméras de sécurités pouvait vous apprendre.
Sur l'autre fenêtre, Gregory Lestrade. Ses enquêtes (les plus dangereuses lui ayant bien entendu été retirées), ses promotions, ses collègues, ses déplacements, ses achats. Sa dernière compagne. Depuis trois ans.
Ils étaient tous les deux en bonne santé. Ils s'apprêtaient tous les deux à fêter Noël, s'il en croyait les achats de nourritures, de guirlande et de ce qui ne pouvait être que des présents. Mais pour une fois, pour la première fois depuis des années et des années, ce constat ne lui apporta aucun réconfort.
Il claqua le rabat de son ordinateur portable, se saisit de son téléphone, de son manteau, de son parapluie, et se précipita vers la sortie. Il étouffait, soudain. Le silence était trop lourd, trop amer, trop envahissant. Il avait besoin d'air, il avait besoin de gens.
Il émergea dans la rue et se dirigea vers une grande avenue, où il plongea dans la foule. Malgré lui, ses yeux cherchèrent à provoquer le contact d'un autre regard, tout entier à l'affut d'un geste, d'une attention, d'un mouvement, n'importe quoi... Mais il était seul au milieu de cette marée humaine, seul, seul, seul, absolument seul. Personne ne le regardait, personne ne le voyait, personne ne l'entendait. Personne ne se souciait ne serait-ce que de son nom. Il n'était qu'une silhouette parmi d'autre, qu'un inconnu étrange, avec un parapluie fermé alors qu'il neigeait, aussitôt aperçu, aussitôt oublié.
Où allaient tous ces gens ? Est-ce qu'ils rentraient chez eux, est-ce qu'on les attendait, quelque part ? Une flamme de jalousie lui brûla les entrailles, ne laissant que des cendres de désespoir. Il essaya de se remémorer ce sentiment, d'être désiré. Mais il lui fallait remonter... Loin. Vraiment, vraiment loin. Sa mémoire écorcha ces dernières années, morceau par morceau, essayant d'en extirper la moindre goutte d'affection, le moindre éclat de sens. Mais il n'y avait que des réunions, des conseils, des réunions, des conseils, des compromis politiques, des fausses promesses, des réunions, des conseils d'urgence, des crimes déguisés et des vis-à-vis désabusés.
Il se laissa tomber sur un banc, sans prendre garde à la neige qui s'insinua à travers le tissu de son manteau, et, bientôt, de son pantalon. Il avait déjà froid, de toute façon.
Quinze ans. Depuis son dernier contact direct – très froid – avec Sherlock. Quinze ans.
Et qu'avait-il fait, ces quinze années ? Qu'avait-il accomplit ?
Rien.
Rien qui n'ait de réelle importance.
Il avait bien sa carrière... Mais, au fond, le pays se fichait bien de lui. Ses collègues se fichaient de lui. Tout le monde se fichait de lui.
Il avait passé quinze ans à bâtir un empire de néant, persuadé qu'il avancerait mieux ainsi, que se soucier des autres n'étaient qu'une faiblesse, réservé aux gens communs.
Oh, oui, il avait bien avancé, en effet. Mais pourquoi ne s'apercevait-il que maintenant que son chemin ne menait nulle part ?
Il se remit à marcher. Ses pieds avançaient tout seul, un pas après l'autre. Machinalement. Lorsqu'il reprit conscience de son environnement, il était debout devant une porte verte. 221B, Baker Street.
Deux hommes, debout sur le perron, le regardaient, stupéfaits, les yeux ronds. Ils devaient revenir des courses, si l'on en croyait les gros sacs qu'ils portaient à deux, débordant de victuailles.
Sherlock. Son petit frère. C'était si différent, de le voir véritablement, plutôt que sur une photographie. Il avait l'air plutôt heureux. En tout cas, ses rides à lui étaient celles de sourires.
L'instant s'étira, tirant sur ses quelques secondes jusqu'à les faire éclater. Sherlock fit volte face, entra dans la maison, et claqua la porte. Mycroft frémit sous l'impact, comme si on l'avait frappé.
John jeta un coup d'œil hésitant vers le battant fermé, passa sur ses sacs de courses, et revint sur l'homme au parapluie, qui avait l'air si misérable, et si malheureux. Il soupira.
-Attendez deux minutes, lâcha-t-il en rentrant en vitesse déposer ses sacs à l'intérieur.
Un quart d'heure plus tard, ils étaient assis tous les deux sur un banc, dans un parc désert.
-Pourquoi êtes-vous venu ? Demanda finalement John pour briser le silence.
Mycroft déglutit, mais ne répondit rien, les mains serrées sur son parapluie.
-Je veux dire, continua John du ton patient et encourageant digne d'un médecin professionnel, ça fait quoi... Dix ans, que vous ne nous avez pas parlé ?
-Plutôt quinze, souffla Mycroft.
John fit la grimace.
-Ah, oui, depuis ce fameux Noël...
-Ce fameux Noël ? Répéta Mycroft, surprit.
-Vous ne vous souvenez pas ? s'étonna à son tour le docteur.
-De quel Noël parlez-vous, exactement ? Répliqua Mycroft en fronçant les sourcils.
Il était peut-être au bord de la dépression, mais il restait le maître des services de renseignements, ne pas savoir l'exaspérait.
John lâcha un profond soupir.
-Le Noël où nous vous avions invité pour le réveillon, que vous êtes arrivé en retard à cause de je-ne-sais plus quel problème d'importance nationale, et rivé sur votre téléphone. Le Noël où Sherlock a tenté de vous parler durant toute la soirée pour vous annoncer ce qui était l'une des décisions les plus dures et les plus importantes de sa vie, mais que vous l'avez totalement ignoré, en répétant à quel point cette soirée vous ennuyait, et que Rosie était un spécimen d'enfant particulièrement bruyant et insupportable.
-Que voulait-il me dire ? Parvint à souffler Mycroft, malgré sa gorge serrée.
-Il voulait vous dire qu'il avait décidé d'arrêter définitivement toute sorte de drogue pour le bien de Rosie, répondit John d'une voix involontairement dure. Et il voulait, indirectement, même s'il ne l'aurait jamais formulé ainsi, que vous le confortiez dans l'idée d'être père. Sherlock manque tant de confiance en lui, sur certaines choses... Au lieu de quoi, vous m'avez ridiculisé devant tout le monde, ainsi que ma relation avec Sherlock, et vous vous êtes moqué du cadeau qu'il avait offert à Rosie, en sous-entendant qu'il était une catastrophe avec les enfants. Il ne cherchait que la bénédiction et le soutient de son grand-frère, Mycroft. Au lieu de quoi, vous lui avez brisé le cœur, au point...
John détourna le regard, visiblement blessé.
-Au point qu'il a refusé lorsque je lui ai proposé de m'épouser, le lendemain. Il ne pensait pas être capable d'être légalement responsable de Rosie, ou d'être à la hauteur de ce que j'attendais de lui. Et...
Le docteur s'arrêta pour renifler légèrement. Était-ce le froid, ou l'émotion ? Il glissa une main dans sa poche et en sortit une petite boite noire, toute simple. Il l'ouvrit et la referma très vite.
-Je lui redemande chaque Noël, depuis, murmura-t-il. Mais il est trop tard pour réparer certaine blessures. J'ai essayé de vous contacter, pour vous parler. Mais vous vous étiez trop occupé.
John se leva, jeta la boite sur les genoux de Mycroft et partit, les mains dans les poches, les épaules légèrement voûtées.
Mycroft ne pleurait pas. Son cœur venait d'être réduit en morceaux, en miettes, en poussière, mais il ne pleurait pas. Il était sous le choc. Il avait si froid que ses larmes ne pouvaient qu'être gelée, à l'intérieur de sa poitrine.
Il se souvenait, à présent, de ce Noël d'il y a quinze ans. Les mois d'après, ses relations avec son petit frère s'étaient faites de plus en plus tendues, de plus en plus distantes, jusqu'à disparaître. Il n'avait pas cherché à y faire grand-chose, il était concentré sur ses échanges diplomatiques avec les USA.
Il se remit debout. Il fallait qu'il continue. C'était insensé, purement déraisonnable, certainement masochiste, mais il voulait le revoir, lui aussi, et comprendre...
Deux heures plus tard, il était devant chez Gregory. La nuit était tombée. À travers la fenêtre du salon, il pouvait apercevoir les mouvements désordonnés de corps en train de danser, soulignés par les lumières colorées qui clignotaient de façon sporadique. Une fête. Il s'approcha encore, collant presque son nez contre la vitre, toute dignité oubliée. C'était principalement des amis à elle – elle, cette créature aux courbes généreuses qui vivaient avec son... avec l'inspecteur Gregory Lestrade.
-Qu'est-ce que tu fous ici ? Lâcha dans son dos une voix qu'il aurait reconnut entre toutes.
Son cœur sursauta et se figea. Ce n'était pas difficile. Il n'avait qu'à se laisser emprisonner par toutes ces larmes gelées qui s'accumulaient, petit à petit.
Gregory avait changé, aussi, depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Pas beaucoup, simplement des détails, par-ci par-là, qui lui disait – lui hurlait – que le temps avait passé. Qu'il était passé sans lui. Il avait pris un peu de poids. Il n'avait plus cette marque irritée, à la base du cou, qui trahissait l'usage fréquent de la machine de mort qu'il appelait scooter. La lumière rieuse de ses yeux s'était légèrement fanée. Ses cheveux argentés étaient presque devenus blancs de neige.
-Que ce que tu fous ici, bordel de merde ? Répéta le policier en mettant l'emphase.
Il jeta au sol la cigarette qu'il était en train de fumer et l'écrasa du bout du pied, son regard toujours figé dans celui de Mycroft.
-Je ne sais pas trop, répondit l'aîné des frères Holmes d'une voix infiniment lasse.
Le visage de Gregory perdit d'un coup toute sa colère.
-Pardon, dit-il. Je suis un peu à cran.
-Tu as toujours détesté ce genre de fête, acquiesça Mycroft en désignant vaguement les formes dansantes qui se mouvaient dans le salon. Je suppose qu'elle aime ça.
Le policier acquiesça, l'air indéchiffrable.
-Pourquoi es-tu avec une personne comme ça ? Demanda Mycroft.
Son ton aurait pu être agressif, s'il n'était pas aussi désespéré.
-Parce que la personne avec qui j'aurais dû être ne voulait pas de moi, répondit le policier.
Le givre finit de recouvrir totalement le cœur de Mycroft, qui serra les bras autour de son torse, pour se protéger ou se réchauffer, il n'aurait su dire. De toute façon, aucun des deux n'était efficace.
-C'est toi qui m'as quitté, dit-il d'une toute petite voix, conscient de se comporter comme un enfant.
-Non, soupira le policier en allumant nerveusement une autre cigarette. C'est toi, Mycroft.
Il en proposa une au politicien, qui refusa, puis inspira profondément et relâcha dans l'air froid un long serpent de fumée diaphane.
-Tu te souviens, lorsque je t'ai dit que ce n'était plus la peine qu'on se voit ? Reprit Greg.
-Premier janvier. Il y a quinze ans. Une heure trente du matin.
-Ouais, lâcha le policier avec un rire amer. J'avais attendu jusque-là, au cas où tu décidais de venir me trouver. Je t'ai encore attendu des semaines et des semaines, d'ailleurs, au cas-où. Mais tu n'es jamais venu.
-Tu m'avais dit que tu ne voulais plus de moi...
-Mais si j'en avais vraiment valut la peine, Mycroft, hurla soudainement Gregory, si j'avais vraiment compté, pour toi, tu serais venu ! Tu aurais cherché à savoir pourquoi ! Tu ne m'aurais pas répondu « entendu », trois heures plus tard !
Mycroft resta muet, encaissant silencieusement les coups. À l'époque, lorsqu'il avait reçu le message de rupture du policier, il avait décidé que de toute façon, peu lui importait, et il avait fait en sorte d'être submergé de travail pour ne pas y penser. Il n'allait pas ruiner sa carrière pour ça.
-Tu te souviens, de ce réveillon ? Reprit Gregory. À Baker Street ? Celui ou tu as été particulièrement infect avec tout le monde, y compris ce pauvre Sherlock qui, pour la première fois, ne l'avait vraiment pas mérité ? Tu te souviens de notre réveillon, juste après ?
Mycroft ne dit rien. Il n'était pas certain des mots qui sortiraient, s'il essayait.
-Nous n'étions ensembles que depuis quelques mois, reprit le policier en tentant vainement de cacher la détresse que lui procurait ces souvenirs, mais j'étais déjà fou amoureux de toi, Mycroft Holmes ! Et les premiers temps... Je pensais que toi aussi. Et puis, les semaines passaient, et un mois après notre premier baiser, tu ne faisais déjà plus attention à moi. Je recevais des sms à la dernière minute me disant d'aller à tel ou tel endroit, où tu m'attendais. Nous couchions ensemble, et tu disparaissais. Tu ne restais même pas dormir. Des fois, tu surgissais dans ma vie pour régler des affaires à ma place, lorsque tu estimais que c'était trop dangereux pour moi. Puis tu repartais. Et je pensai... Tu m'avais promis que nous passerions Noël ensemble, alors j'espérai, comme un idiot, je songeais que tu te rattraperais peut-être, que ce n'était qu'un malentendu... Tu te souviens ? Tu m'as offert un chèque, Mycroft. Un chèque ! Tu ne t'es même pas embêté à demander à Anthea de trouver un cadeau décent ! Un chèque ! Comme si je n'étais qu'un prostitué, et que tu me rémunérais à l'heure ! On ne s'est même pas déshabillé. Tu as lâché quelques commentaires sur ma décoration, déboutonné mon pantalon, poussé sur le sofa. On a fait notre petite affaire. Puis tu m'as souhaité un joyeux Noël et tu es parti. Comme ça. Je t'ai attendu, au cas-où. Toute la nuit. J'ai attendu, jusqu'au nouvel an, où j'ai bu tout l'alcool que j'avais dans mes placards, pour trouver le courage de t'envoyer ce message. Je me disais que peut-être, ça te ferait réagir...
Il lâcha un nouveau rire amer, et jeta le cadavre de sa deuxième cigarette.
-Tu parles, conclut-il. J'ai mis assez longtemps à me remettre de tous ces faux espoirs, Myrcoft. Me remettre de toi. Certes, la personne que j'ai trouvée n'est pas idéale. On ne s'entend pas toujours, et elle est aussi brisée que moi, à l'intérieur. Mais on se tient compagnie. On s'aime bien. Et je crois que je ne peux pas en demander plus, dans cet univers pourris.
Quand est-ce qu'autant d'amertume et de cynisme s'était développé chez Gregory ? Où était passé l'optimiste irraisonné qui lui faisait lever les yeux au ciel et prendre les pires situation sur le ton de la dérision ? Mycroft ne voulait pas chercher les réponses à ces questions.
-Je t'aimais, dit-il, sans même s'apercevoir qu'il était en train de parler.
Les mots avaient jailli tous seuls. Gregory tituba, comme frappé en plein cœur. Il cligna des yeux, très vite.
-T'es qu'un enfoiré, Mycroft, lâcha-t-il. Revenir maintenant, et me dire...
-Il n'est peut-être pas trop tard...
-Bien sûr que si. Si tu as vraiment pensé une chose pareille, Mycroft... Il fallait me le dire lorsqu'il en était encore temps. Il fallait me le montrer.
-Je suis désolé, murmura le politicien. Tellement désolé. Il semble que j'ai tout raté, et tout détruit.
Gregory ne dit rien. Ils restèrent de longues minutes côte à côte, dehors, dans le froid. La neige avait arrêté sa course, à présent. Elle avait atteint son but : étouffer le monde sous son emprise fantomatique.
-Moi aussi, murmura finalement Gregory. Je t'aimais.
Il se retourna, et, d'une voix très douce et très triste, souffla :
-Joyeux Noël, Mycroft.
Avant de rentrer dans la maison.
Mycroft était seul.
Il avait fait du mal à tous ceux qui comptaient. Il avait consacré sa vie aux promesses creuses de la politique. Il avait joué, il avait tout perdu, et bien plus encore.
Il marcha encore quelque temps, ses jambes le portant machinalement. Il ne sut trop comment, ni pourquoi, il était arrivé au bord de la Tamise.
Il s'assit. Les jambes pendantes dans le vide. Tiens, il avait perdu son parapluie... Quelle importance ?
Il explosa en sanglots. Toutes les larmes gelées se changèrent en flots brulants, douloureux, qui éraflaient sa gorge, piquaient ses yeux, et creusaient ses joues. Il se sentait inutile, misérable, et monstrueux. Il baissa les yeux sur l'eau glacée qui patientait en contrebas, sombre, profonde, agitée de mouvement aussi lents qu'inexorables. Il connaissait les statistiques. Énormément de gens se suicidaient à Noël. Pourquoi pas lui ? Ne serait-ce pas drôle si, au dernier moment, il agissait comme tout le monde ?
-Pas vraiment, répliqua une voix sortie de nulle part.
Mycroft sursauta et serait tombé si une main sur son épaule ne l'avait pas retenue.
-Qui êtes-vous ? Murmura-t-il à l'intention de la personne qui venait de s'asseoir à ses côtés.
Il s'agissait d'un être androgyne aux traits fins, presque fragiles, aux cheveux blonds comme de l'or, aux lèvres roses, et aux grands yeux bleus. Ses habits, aussi blancs que la neige, se résumaient à un tee-shirt et un pantalon. Ses pieds étaient nus. Le froid, toutefois, ne semblait pas l'atteindre. L'être irréel sourit doucement, et se trouvait dans ce sourire toute la tendresse de l'univers.
-Qui êtes-vous ? Murmura Mycroft.
-On m'a donné beaucoup de nom, répondit l'étrange personnage. On a dit que j'étais Porteur de Lumière. Phosphoros. Aujourd'hui, je me fais appeler Miracle. Je voudrais t'aider.
Mycroft aurait pu répliquer que de telles choses n'existaient pas, que ce n'étaient que des sottises, des contes pour enfants. Mais là, à cet instant, devant ce visage à la beauté fantomatique, toutes ses certitudes s'effondraient.
-Pourquoi ?
L'autre soupira.
-Disons que... Normalement, quelqu'un d'autre est censé vous aider, mais Il vous a laissé tomber. J'ai protesté, parce que j'en étais venu à vous aimer, vous, si beaux et si imparfaits. Mais Il n'apprécie pas vraiment qu'on le contrarie. Il m'a banni. Toutefois, comme j'étais son préféré, Il m'a tout de même accordé une faveur : une fois par an, je peux arpenter la terre, et offrir ce que je veux à qui je veux. J'aimerais t'aider, Mycroft Holmes. Tu n'as pas un mauvais cœur, tu t'es juste perdu. Que voudrais-tu ?
-Une deuxième chance.
-Une deuxième chance, répéta l'autre avec un sourire appréciateur. Très bon vœu. Peu sont aussi sages. Je vais te donner ta deuxième chance, Mycroft Holmes, mais même mon pouvoir est limité. Voici ce qui va arriver : je vais te renvoyer quinze ans plus tôt, le matin du réveillon de Noël. Tu auras jusqu'au soir, minuit, pour réparer tes erreurs, aimer et être aimé en retour. Si tu y parviens, alors au douzième coup, tu perdras tous tes souvenirs et ta vie continuera. Si tu échoues, tu reviendras à cet instant, maintenant. Et rien ne pourra plus jamais être changé. Acceptes-tu ces termes ?
-Oui ! Répondit Mycroft avec toute la ferveur dont il était capable.
Miracle sourit.
Il y eut un flash de lumière.
Le temps changea sa course.
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