Sous le voile des ténèbres
La nuit sur Noctéa n'était pas qu'une absence de lumière. Elle respirait, palpitait, comme une créature vivante tapie dans l'ombre. Ses murmures se glissaient entre les arbres noueux et les cabanes en ruines, portés par un vent chargé de soupirs et de secrets inavouables. Dans les Plaines Sanguines, l'obscurité avait une densité presque tangible, s'accrochant aux âmes égarées et amplifiant leurs désirs les plus sombres.
Aëlis avançait d’un pas mesuré à travers une ruelle déserte. Sa cape noire effleurait le sol, ondulant comme un spectre derrière elle. Sous le tissu légèrement ouvert, une robe sombre épousait ses formes avec une élégance discrète, soulignant la finesse de sa silhouette. Elle était petite, mais sa démarche, calme et déterminée, imposait le respect.
Ses longs cheveux d’un noir d’encre glissaient sur ses épaules, contrastant avec la pâleur de sa peau, presque luminescente sous la lueur ténue de la lune voilée. Mais ce qui frappait le plus, c’étaient ses yeux. D’un vert profond, ils brillaient d’une lueur féline, pleine de défi et de mystère, comme si elle voyait au-delà du visible. Dans ce monde où l’apparence était une arme autant qu’un piège, Aëlis avait appris à manier la sienne avec une précision implacable.
Les Plaines Sanguines étaient un territoire sans loi, un chaos où le désir faisait office de monnaie et la survie, de credo. Ici, tout se marchandait, et rien n’était gratuit. Aëlis connaissait bien ces règles : elle y avait grandi, forgeant son esprit et son corps pour résister aux trahisons et aux dangers constants. Ce soir, cependant, elle n’était pas là pour survivre, mais pour chercher des réponses.
Une rumeur avait circulé dans les tavernes : un homme des Hauts Éclipses avait été aperçu. Ces élites mystérieuses ne quittaient jamais leur royaume d’obsidienne sans raison, et cette raison, Aëlis comptait bien la découvrir.
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Elle arriva devant une auberge délabrée, son enseigne effacée pendouillant au-dessus de la porte. Derrière la vitre poussiéreuse, la lumière vacillante d’une chandelle dessinait des ombres mouvantes. Sans hésiter, elle poussa la porte, plongeant dans une chaleur étouffante saturée d’odeurs de bois humide et d’alcool bon marché.
L’intérieur était sombre et exigu. Des chandelles posées sur des tables bancales projetaient des éclats tremblants sur les murs, décorés de trophées de chasse et d’armes rouillées. Le murmure des conversations s’interrompit brièvement lorsqu’elle entra, et une multitude de regards se tournèrent vers elle. Certains étaient pleins de curiosité, d’autres de désir, mais tous portaient une pointe d’intérêt.
Elle avança vers le comptoir, où un homme au visage buriné frottait un verre fissuré avec un torchon douteux. Il ne releva pas la tête, mais un sourire narquois étira ses lèvres.
— Une étrangère dans les Plaines, murmura-t-il. Tu cherches quelque chose ?
Aëlis glissa une pièce d’or sur le bois usé du comptoir, le bruit métallique résonnant dans le silence relatif de la pièce. L’or n’était pas courant ici ; c’était une provocation.
— Peut-être, répondit-elle calmement. Je cherche un homme. Grand, vêtu de noir, avec des yeux qu’on n’oublie pas.
Le barman releva lentement la tête, intrigué. Ses yeux plissés trahissaient une hésitation, mais, presque malgré lui, il jeta un regard furtif vers le fond de la salle. Aëlis suivit son regard.
Là, dans un coin ombragé, une silhouette était assise, immobile.
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Kael était là. Il semblait absorbé par le vide, mais son immobilité n’était pas celle de l’inaction. C’était une attente maîtrisée, calculée, comme un prédateur patient. Une cape sombre encadrait ses épaules, et son manteau élégant jurait avec la pauvreté ambiante de l’auberge.
Son visage, en partie dissimulé, laissait entrevoir des traits anguleux, une mâchoire ciselée, et une peau d’une pâleur presque surnaturelle. Pourtant, ce furent ses yeux qui captèrent toute l’attention d’Aëlis : d’un gris métallique, ils brillaient faiblement à la lueur des chandelles, comme des lames prêtes à frapper.
Elle s’approcha, ses pas résonnant sur le sol irrégulier. Chaque mouvement d’Aëlis amplifiait la tension dans la pièce, mais Kael ne bougea pas. Ses yeux la fixaient, calmes, inquisiteurs.
— On ne voit pas souvent des gens comme toi ici, murmura-t-elle en s’arrêtant à une distance prudente.
Un sourire léger, à peine perceptible, effleura ses lèvres.
— Et toi, tu es bien audacieuse pour quelqu’un qui connaît les règles des Plaines, répondit-il d’une voix grave, presque caressante.
Sa voix vibrait dans l’air, comme un frisson glissant sur la peau d’Aëlis. Elle serra la mâchoire pour ignorer la chaleur inattendue qui montait en elle.
— Peut-être que je ne respecte pas toujours les règles, répondit-elle, un sourire en coin.
Kael se redressa légèrement, révélant une stature imposante. Sa cape glissa, dévoilant une chemise noire ajustée et une fine cicatrice sur sa clavicule.
— Alors, pourquoi es-tu ici ?
— Peut-être pour comprendre ce qui attire un homme des Hauts Éclipses dans un endroit comme celui-ci.
Son regard s’assombrit légèrement, mais il ne répondit pas immédiatement. Une tension électrique envahit l’air entre eux, une énergie presque palpable.
— Et toi, que fais-tu dans un lieu où le désir est une arme ? demanda-t-il enfin, son regard brillant d’une lueur dangereuse.
Elle haussa un sourcil, prête à répliquer, mais avant qu’elle ne puisse répondre, Kael se leva. Sa taille et sa présence dominaient l’espace.
— Si tu veux des réponses, murmura-t-il en s’arrêtant à la porte, tu n’as qu’à me suivre.
Puis il disparut dans la nuit.
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Aëlis resta immobile un instant, le cœur battant plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. Cet homme n’était pas quelqu’un qu’on suivait à la légère. Pourtant, elle savait qu’elle n’avait pas d’autre choix. Ajustant sa cape, elle inspira profondément et s’enfonça dans l’obscurité, prête à découvrir ce que Kael avait à offrir… et ce qu’il pouvait lui prendre.
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