Humain
Je n'avais plus d'amis nulle part. Ma propre mère ne m'aimait plus. Je me demandait sans arrêt si la vie que j'avais valais réellement la peine d'être vécu. Et puis un jour, j'ai réalisé une chose. Je me suis demandé, une énième fois, ce qui pouvait bien me retenir sur Terre, et je me suis rappelé de la photo de mon père. Je l'avais décroché à mon retour à la maison, pensant que le regard figé de la photographie me reprochait qui j'étais.
J'allai chercher un vieux carton, remisé au fond de la cave. J'en sorti le portrait, légèrement défraîchi, abîmé par le temps. Le sourire jauni n'avait pourtant pas changé. Toujours la même expression, la même bienveillance dans le regard. Le même désir de vivre. Alors, oubliant un instant l'enfer de ma vie, je me suis souvenu.
Ce fameux jour où ma vie avait tourné court, ce fameux jour n'était pas un jour ordinaire. J'étais allé voir un dessin animé au cinéma. J'avais profité d'une rediffusion anniversaire, les 110 ans d'un vieux film. Mais pas n'importe lequel. Celui que je regardais lorsque ma mère m'avais annoncé l'accident de mon père. Celui qui avait marqué mon enfance, mais surtout celui qui en avait annoncé la fin. Celui qui marquait mon passage à l'âge adulte.
Ce jour là, à dix-sept ans, j'avais compris que la vie n'est pas brillante. J'avais pris conscience que l'enfance et les dessin animés, c'était fini pour moi. J'avais pris une grande décision. J'avais décidé qui je serais.
Je voulais devenir médecin pour m'assurer que personne ne meure plus à cause d'accidents comme celui de mon père.
Le lendemain je me renseignais sur l'école de médecine.J'avais lutté une année entière pour rattraper le niveau demandé pour y être admis. Je m'étais donné corps et âme pour réussir à accomplir mon rêve.
L'année suivante, je m'y inscrivais.
Et seulement lorsque j'étais enfin entré en première année, la véritable épreuve avait commencé. J'avais remonté la pente, petit à petit, je m'étais amélioré jour après jour, et finalement l'année s'était terminée.
J'avais réussi ma première année avec les félicitations du corps enseignant. Je m'étais battu contre ma mère pour entrer en spécialité de remplacement prosthétique, la plus adaptée aux victimes d'accidents graves de la circulation.
Et voilà que moi même j'en bénéficiais !
Alors revint mon regard d'enfant, celui qu'à cinq ans j'avais posé sur notre petite voisine, androïde adoptée et d'une gentillesse extrême.
J'avais alors pensé que mes parents avaient bien tort de considérer les robots comme dangereux. J'avais pensé que, si ça ne tenais qu'à moi, les humains et les robots se ressembleraient tellement que personne ne pourrait jamais les différencier du premier coup d'œil. J'avais même pensé que moi aussi, je voulais bien être un robot, si ça pouvait aider mes parents à comprendre qu'ils étaient comme nous.
Et maintenant que mon souhait avait été exaucé, j'allait laisser filer mes rêves d'enfants à cause de stupides querelles vieilles comme le monde ? Il n'en était pas question.
De ce jour, je repris confiance en moi, en mes capacité, et ce peu importe les paroles mauvaises de ma mère, des autres élèves ou même du monde entier. J'étais un battant. Je leur ferais bien voir ce dont les néo-androïdes étaient capables.
Je me battis. Je me bâtis.
Et un jour, après deux mois de lutte permanente pour reprendre ma vie en main, un de mes professeurs, passionné par le transfert de conscience, m'interpella au sortir d'un cours.
Il me dit :
"Mon cher Epav, je dois vous avouer quelque chose : je vous envie.
J'ai de nombreux patients dans votre cas. Le transfert de conscience est un sujet extrêmement complexe à maîtriser, il faut considérer de nombreuses variables et il est délicat de réussir cette opération sans dommages. Alors peu d'entre eux me font confiance. Peu d'entre eux osent réellement sauter le pas et se lancer, même si cela pourrait considérablement améliorer leur vie.
Le fait que je sois humain n'aide pas non plus à rassurer ceux qui viennent me voir. Il pensent que je raconte un beau rêve, que jamais ils ne pourront voir, ou expérimenter la vie "comme avant" s'ils se transforment.
Mais avec vous, mon ami, les choses seront toutes autres ! En effet, vos patients vous verront comme un modèle, un accomplissement ! Si un néo-androïde peut devenir un jour médecin spécialisé en prothèses et transferts, pourquoi pas eux ? Vous êtes un modèle, mon cher !
Et un modèle d'une telle qualité ! Peu de transfert ont été accomplis si complètement, vous féliciterez votre chirurgien de ma part, il a décidément fait un travail remarquable. Ne serais-ce votre nom et votre apparence, on vous croirais presque humain !"
Presque humain.
Ces mots ne m'avaient jamais autant touché. J'avais enfin accomplis, aux yeux d'une personne au moins, ce qui était mon rêve. J'étais un véritable robot humain. Alors ce jour là, j'ai pris une décision majeure.
C'était à Noël 2105.
J'allai à la mairie, et demandai s'il était aisé de changer de nom. Le secrétaire, un cyborg dans la trentaine, me regarda en souriant, et m'indiqua le panneau de modification d'identité numériques. Lorsque j'ouvris la porte, une grande salle s'offrit devant mes yeux abasourdis : des centaines de robots, domestiques comme de service public, en passant par des androïdes d'aide à la circulation. Une foule numérique en quête d'identité, en quête de sens.
Je m'assis tranquillement dans un coin de la pièce pour patienter. Observant les différentes personnes présentes dans la salle, je pus distinguer deux groupes : ceux qui venaient avec un nom en tête, et ceux qui cherchaient sur une liste d'exemples officiels les plus courants, les plus en vogue. Sans plus attendre, je rejoignis le premier groupe, minoritaire, dans la file d'attente. Mon cerveau surchauffait presque, s'évertuant à trouver un prénom qui me conviendrait.
La date me sembla à marquer d'une pierre blanche, et je voulais que mon nom soit à la hauteur de mes ambitions. Parcourant avec frénésie les pages liées à Noël, aux hommes célèbres et aux événements historiques, j'arrivai enfin devant le bureau. J'avais choisi.
Lorsque la femme me demanda quel serait mon nouveau nom, je lui répondis, l'air assuré :
"Mon nom est Guillaume. Je vais conquérir le monde."
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