Epav
Quelques temps plus tard, j'ai regretté mon choix.
Les humains me regardaient de haut, car si l'ancien moi était humain et donc fréquentable, le nouveau n'était qu'un robot. Un misérable robot, un "sauvage", quelqu'un de "dangereux".
Les robots me méprisaient, pour les raisons inverses. Je ne pensais pas qu'ils pouvaient savoir que j'étais humain auparavant, mais mon nom par défaut me désignait comme nouveau. J'étais un robot par défaut. Donc un humain, un pourri, un raciste. Comme les autres.
J'étais un traître aux deux camps, un exclu de la société, sans nom, sans identité. Alors petit à petit je devins le bouc émissaire de plusieurs groupes. Une guerre sans fin qui opposait androïdes et humains au sein de l'école de médecine, sans cesse relancée par quelque action lancée par l'une ou l'autre partie.
Ils se servirent de moi pour faire passer les messages. Les humains m'attendaient au coin des bâtiments pour se jeter sur moi et m'immobiliser. Ils me frappaient sans retenue, considérant que je n'étais de toute façon qu'un "sale robot insensible". Il ne me relâchaient qu'au dernier moment, juste avant de rentrer en amphithéâtre, avec pour mission de transmettre leur haine aux "abominations numériques".
Les robots quand à eux ne s'abaissaient pas aux précaires passage à tabac. Ils préféraient de loin pirater mes réseaux neuronaux encore fragiles pour y insuffler les pires sentiments. Maintes fois ils me poussèrent au bord du gouffre, pour me retenir de justesse au dernier moment. Alors seulement ils me donnaient le message à faire passer aux "racistes" de mon "genre", de mon "espèce".
Cette situation insoutenable m'empêchait de me reconstruire, de m'affirmer, de trouver le véritable nom qui me convenait. Alors tout naturellement, les autres décidèrent de mon nom. Je n'étais plus qu'une épave, un déchet, un reste indésirable. Un androïde débridé alla jusqu'à modifier le fichier national, de sorte qu'au yeux de la loi et des professeurs, mon nouveau nom était à la hauteur de ma condition : Epav.
Alors l'Epav que j'étais chercha du réconfort. Je me réfugiais le plus possible auprès de ma mère, dont je pensais que la vision des robots avait changé. Je me trompais. À ses yeux, je ne valait pas plus que les autres. À l'entendre, j'étais moins à plaindre qu'elle.
Il est vrai qu'elle aussi était pointée du doigt par ses anciennes "amies". Ses anciennes relations pensaient comme elle, des anti-numériques affirmées ; ses choix l'excluait de sa société. Elle s'était inscrite à un centre de soutient aux parents d'androïdes, mais elle ne pouvait se résoudre à lier des relation dans ce monde qui acceptait les robots comme des humains.
Mais d'un autre côté, elle avait déjà du mal à me regarder dans les yeux. Elle en était à regretter son choix. Elle aurait presque préféré me perdre que de perdre sa vie sociale. Ma propre mère regrettait que je sois en vie. Alors penser qu'elle se lierait d'amitié avec des gens qui avaient préféré adopter un androïde plutôt qu'un véritable enfant, un humain ? Impossible.
Sa vie était comme un enfer à ses yeux, et elle me le faisait sentir. Elle avait compris que je n'avais désormais pas besoin de réel sommeil, juste de quoi recharger mes batteries, et elle avait décidé de profiter un minimum de la situation. L'opération lui avait coûté cher, elle avait perdu son travail et tous ses appuis dans les hautes sphères ; elle renvoya l'ACL (automatic cleaning lady) qui faisait le ménage jusque là, et m'engagea à la place. Ce n'était bien sur pas grand chose, mais elle me signifiait par là que j'avais désormais un statut moindre à ses yeux.
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