t h e b o y Ⓞ f o u r
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d a r k n e s s c a n n o t d r i v e o u t d a r k n e s s
o n l y l i g h t c a n d o t h a t
h a t e c a n n o t d r i v e o u t h a t e
o n l y l o v e c a n d o t h a t
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Je ne peux pas baisser mon arme, même si pour l'instant, l'homme en face de moi n'a pas bougé. Je suis bien trop méfiante pour baisser ma garde aussi facilement. Mes doigts restent figés sur la détente, et je sais très bien qu'à cette distance, je ne risque pas de louper ma cible. Le garçon, qui doit avoir à peu près mon âge, me fixe de ses petits yeux bleus comme le ciel lorsqu'il est encore possible de le distinguer aussi beau et aussi parfait. Cependant, il ne regarde pas l'arme que je braque sur lui, il me regarde moi. Il dépasse la menace que je représente, comme si à aucun moment depuis que j'étais entrée dans cette pièce, je ne pouvais lui faire de mal. Soit ce garçon est complètement idiot, soit il a une confiance aveugle en n'importe qui. Il me fait soudainement penser à Cole. Oui, il ressemble à un enfant, assis par terre, à tirer sur le piège qui s'est refermé autour de son pied. Ou à un animal blessé. Il a une innocence que je n'avais pas vu chez quelqu'un depuis tellement longtemps que je finis par baisser mon arme, et très lentement, je la pose par terre.
Mais il n'est toujours pas effrayé, j'ai beau faire un geste, il ne bouge pas. Ses yeux sont toujours fixés sur les miens, il se fiche complètement de mon arme. Ne plus tenir mon arme dans ma main ne me rassure pas, mais je sais que s'il y a une menace autour de moi, ce n'est pas ce garçon. Il est tellement transparent que j'ai l'impression de lire en lui avec facilité. Il est juste là, bloqué, et il attend. Que fait-il ici ? Il semble moulé pour un autre monde, un monde de paix et d'altruisme. Un monde dont j'ai rêvé pendant toute mon enfance.
Un éclair zèbre le ciel, et le garçon sursaute, je fais immédiatement un pas en arrière alors qu'il tourne sa tête vers la partie du toit qui s'est effondrée. Mais il ne fait qu'observer les trombes d'eau qui se déversent dans la pièce, jusqu'au moment où le tonnerre gronde en réponse à l'éclair quelques secondes plus tôt, et le garçon sursaute une nouvelle fois. Mais il ne paraît pas effrayé, plutôt admiratif. Le bruit de l'orage à l'extérieur emplit la pièce, la nature se déchaîne tout autour de nous, si fort que mes oreilles bourdonnent, mais je perçois quand même les battements de mon cœur percuter mes tympans. Il ne s'est pas calmé, depuis tout à l'heure, à la fois excité à l'idée de trouver un humain tel que celui que j'ai sous les yeux, mais aussi affolé, pour la même raison.
Les éclairs ayant cessé, le garçon reporte son attention sur moi. Il penche la tête sur le côté, il m'étudie, tout comme il le faisait avec les éclairs, avec le tonnerre. Comme s'il ne savait pas vraiment ce que j'étais. Je remarque qu'il porte un simple pull, qui devait être blanc avant qu'il ne le salisse je ne sais comment (la survie, tout simplement, ça salie tout, tes vêtements tout comme ton être, ton âme et ton cœur), et un jean. N'a-t-il pas froid, simplement habillé comme ça ? Si je devais compter le nombre de couches que je porte aujourd'hui, je serais sûrement surprise d'arriver encore à tenir debout et qu'on ait pas comme seule possibilité pour me faire avancer que de me faire rouler comme si j'étais une énorme boule de vêtements. Les températures doivent approcher le zéro, et lorsque je respire, de la fumée blanche s'élève de ma bouche. Mais lui ne frissonne même pas.
Je finis par m'accroupir, tout simplement, ne sachant quoi faire, et étant légèrement déstabilisée par son regard qui ne cille pas. Cependant, je sais que je ne peux pas rester dans cette position encore très longtemps, parce que je ne veux pas laisser Cole tout seul.
- Comment tu t'appelles ? dis-je finalement, ne trouvant rien d'autre à dire.
A l'entente de ma voix, le garçon paraît surpris, il écarquille légèrement les yeux, puis se pince les lèvres. Son corps traduit quelque chose que je n'arrive pas à comprendre, il bouge, je vois sa cage thoracique monter et descendre au fil d'une respiration qui s'accélère. Sa pomme d'Adam s'élève dans sa gorge, mais elle reste bloquée, ce qui fait froncer les sourcils aux garçons. Ses lèvres s'entrouvrent, je vois de la fumée blanche s'en extirper, et puis tout son corps se relâche, et je peux lire une déception dans le regard du garçon. Qu'a-t-il essayé de me dire ? J'ai comme eu l'impression qu'il voulait me répondre, mais qu'il n'a pas réussi. Ne peut-il pas parlé ?
Je pose alors ma main contre mon buste.
- Moi, c'est Ezra.
Dire mon prénom à voix haute, à quelqu'un qui est inconnu, me frappe d'une étrange façon. Que suis-je en train de faire ? Je suis en train de me lier à quelqu'un. Cependant, c'est hors de question. Je n'ai jamais eu l'intention de me lier à qui que ce soit en dehors de mon frère, et je tiens à ce que nous restions tous les deux. Pour la simple et bonne raison qu'il est préférable de vivre en petit comité. Je n'ai vu que trop bien ce que la fureur des Hommes peut faire. Si je l'accepte à mes côtés, ne me trahira-t-il pas un jour, pour n'importe quelle raison qui lui semble respectable ? Et c'est bien connu que plus on est nombreux, plus notre chaleur thermique est repérable. Non, je ne peux pas me permettre de me lier à ce type.
- Je vais te détacher, et tu pourras partir, d'accord ?
Je lui montre le piège du doigt. Il me comprend, je sais qu'il me comprend parce qu'il regarde le piège avant même que je ne le lui montre. J'attends qu'il me fasse un signe, pour me dire qu'il est d'accord, pour me laisser l'approcher, parce que c'est ce que je ferais, je ne laisserais jamais quelqu'un m'approcher sans que je ne lui ai donné la permission d'abord. Mais au bout de plusieurs longues secondes, je comprends que ce n'est pas son intention. Alors je fais quelques pas vers lui, très doucement. Il a de nouveau posé ses yeux sur moi. Ils sont si clairs. Les couleurs sont bien rares lorsque l'on se déplace dans une ville abandonnée depuis une dizaine d'années. Les publicités en couleurs, les murs, tout s'est dégradé, effacé au point qu'il ne reste que des couleurs ternes et sans saveurs. Pourtant, ses yeux sont si clairs qu'ils en viennent presque éblouissants, presque inhumains.
Je me sens encore plus mal à l'aise alors que je me retrouve aussi près de lui, et une fureur étrange monte en moi, parce que je me sens faible. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas fait face à quelqu'un d'autre que mon frère que j'en suis mal à l'aise, d'autant plus si je n'ai pas mon arme braquée sur lui. La sociabilisation n'est pas une qualité qu'on développe beaucoup, lorsqu'on essaye de survivre.
Je prends une grande inspiration alors que je tends la main vers la cheville du garçon, mais il ne bouge toujours pas. Je le trouve vraiment de plus en plus étrange, voir même inquiétant, en fin de compte. Il ne me faut que quelques secondes pour libérer son pieds de la ficelle qui l'entourait, et je ramène le piège vers moi, bien contente de ne pas avoir à chercher de quoi en faire un nouveau. Le garçon bouge sa cheville dans tous le sens, alors qu'un petit sourire lui traverse le visage. Un sourire. Cole ne sourit pas vraiment, il esquisse un mouvement des lèvres, ou alors, il sourit faussement. C'est le premier sourire sincère que je vois depuis la mort de ma mère. Il me rappelle celui de mon père. Mon père souriait pour un rien, avant que ma mère ne meurt. Le chant des oiseaux, lorsqu'il faisait à manger, lorsqu'il me berçait avant de m'endormir, lorsqu'il me regardait, lorsqu'il passait sa main dans mes cheveux. Quand il me disait qu'il m'aimait. Personne ne m'a plus sourit depuis.
- Tu peux partir maintenant, dis-je durement.
Le sourire sur le visage du garçon s'efface et il se tourne vers moi, un peu surpris. C'est sûrement égoïste de ma part de lui demander de s'en aller maintenant, alors qu'il pleut encore à l'extérieur, et qu'il ne m'a pas une seule fois menacée, mais je ne pense pas que le garder plus longtemps dans les parages ne soit bénéfique pour moi.
- Tu comprends ce que je dis, va-t-en !
J'articule chaque mot de façon exagérée, alors que je sais très bien qu'il me comprend. C'est juste plus facile de faire comme s'il ne m'avait pas compris que de voir qu'il n'a pas envie de partir. Je me lève brusquement en voyant qu'il ne bouge toujours pas, dans l'espoir de le faire sursauter, ou tout simplement qu'il ait un geste de recul, mais il ne flanche pas. Son regard me déstabilise toujours alors je me mords l'intérieure de la joue pour me faire violence et garder mon sang-froid.
- Si tu restes là, tu n'as pas intérêt à nous approcher, je ne veux plus te voir dans mes pattes !
Sur ces mots, que je lui ai craché à la figure comme du venin, je fais subitement volte-face et repars vers la salle où est caché mon frère, non sans oublier de récupérer mon arme. Je n'ai pas réussi à tout simplement le tirer par le bras et le jeter sous la pluie. Il continuait de me scruter avec ses yeux si transparents, et le pire était que je n'y distinguais aucune haine, alors que je le jetais littéralement dehors. Il aurait dû m'en vouloir, se révolter ou encore me supplier. Mais il n'a rien fait, rien dit, il n'a pas bougé. Si j'avais eu une porte à flanquer, je l'aurais sûrement fait, le seul problème, c'est qu'elle est sortie de ses gonds et gît sur le sol.
Dès que j'arrive dans la pièce principale du garage, je me précipite jusqu'au bureau où j'ai laissé mon frère. Dès qu'il me voit, son regard s'illumine et il tend les bras vers moi. Je le serre contre moi, son ours en peluche me broyant littéralement la poitrine, coincé entre nous deux.
- Qu'est-ce ce que c'était ?
Cole s'éloigne de moi et jette un œil vers le mur. Il n'a plus l'air de distinguer de son, puisqu'il ne réagit pas, et je me demande si le garçon est finalement parti. Je l'imagine sous les trombes d'eau, le nez levé vers les nuages noirs qui parcourent le ciel. Je crois que je m'en veux, de l'avoir laissé là, il avait l'air tellement... ailleurs. Comme s'il venait d'un autre monde. Comment a-t-il pu survivre jusqu'ici s'il n'est pas capable de se défaire d'un simple piège fait de bois et de ficelle ? J'ai l'impression de l'avoir mené droit vers sa mort. Je ne suis peut-être pas différente des autres survivants que j'ai croisé jusqu'ici. Eux nous tiraient dessus sans se soucier de qui nous étions, et moi, je n'ai pas pris la peine de l'aider, de me montrer agréable avec lui. Je ne l'ai pas tué, là, sur le coup, mais s'il ne change pas de comportement, je ne donne pas cher de sa peau dans les jours qui viennent, alors c'est comme si je laissais d'autres le tuer à ma place, c'est tout.
- Rien, rien du tout, un câble qui pendait du plafond.
Je sais que ce n'est pas très glorieux de ma part de mentir à mon frère, mais je ne sais pas vraiment comment il réagirait de savoir que j'ai trouvé un survivant aussi près de nous. Je ne voudrais pas qu'il ait peur. Mon but a toujours été de le préserver.
Cole paraît rassurer puisqu'il souffle longuement. Nous retournons alors vers le petit coin que nous nous sommes aménagé. Je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œils discrets vers la porte qui mène à l'autre pièce, mais le garçon ne réapparaît pas.
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