n o i s e Ⓞ t h r e e
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t h e e n e m y i s a n y b o d y
w h o ' s g o i n g t o g e t y o u k i l l e d
n o m a t t e r w h i c h s i d e h e i s o n
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J'ai vécu beaucoup de moments difficiles dans ma vie, j'ai d'ailleurs même arrêté de les voir comme tels, sinon, on pourrait tout simplement penser que ma vie entière n'est qu'un énorme laps de temps de difficultés, comme une difficulté continue. Mais avec le temps, il y a certains moments qui ne disparaissent pas entièrement, certaines difficultés laissent une trace. Eh bien, tirer sur un homme n'est pas resté. Je l'ai déjà fait une fois, et ce n'est pas la pire cicatrice que je garde en moi. Je tire rarement la première, c'est vrai, ou je tire souvent dans le vide, dans le simple but d'effrayer, mais j'ai déjà blessé quelqu'un, j'ai déjà tué quelqu'un. Mais que faire lorsqu'on sait que sa propre vie est en jeu ? Si je ne tire pas, l'autre va le faire, il va peut-être me toucher, ou pire, toucher mon frère.
Alors c'est sans hésitation que je tiens le revolver entre mes mains et que je vérifie, accroupie près de mon sac, les sens en alerte, qu'il est correctement chargé. Je ne suis pas vraiment une bonne tireuse, mais je m'efforce de faire de mon mieux à chaque fois, parce que les munitions sont rares dans ce pays. Oui, je fais de gros efforts pour ne pas manquer ma cible et tirer. La plupart du temps, je me suis tout de même plutôt retrouvée à tirer sur des robots, c'est vrai, et c'est beaucoup plus facile, je n'enlève pas la vie d'un corps. Mais parfois, il arrive qu'un survivant surgisse de nulle part, et lorgne un peu trop sur nos affaires, ou tout simplement nos corps. Tout intéresse un survivant, tout ce qu'il trouve peut lui être utile, et il est prêt à tout pour l'obtenir.
Voilà peut-être une raison pour laquelle les robots ne nous pourchassent plus, nous nous chargeons nous-mêmes de ceux qui restent, nous nous tuons entre-nous.
Heureusement, je ne suis pas prise dans une fusillade tous les quatre matins, sinon, mes nerfs m'auraient lâchée.
Aujourd'hui encore, j'ai un moment de doute. Et j'espère, au fond de moi, que mon frère se trompe. C'est sûr et certains que ce bruit n'annonce pas des robots, parce qu'ils nous auraient déjà repérés depuis longtemps et n'auraient pas pris la peine de se cacher dans la pièce d'à côté, ils auraient sûrement déjà défoncé une partie du mur et nous auraient collé une balle dans la tête à tous les deux. Alors c'est soit un animal, ce qui serait vraiment génial, soit un survivant. Là, ça craint un peu plus, parce qu'un animal, je peux soit le faire fuir, soit lui tirer dessus, mais en soit, ma vie n'est pas foncièrement en danger. Un survivant, soit il est gentil, et ça va, soit il est méchant et il voudra me coller une balle dans la tête. Et les survivants gentils, c'est rare.
Tenant la crosse du revolver à deux mains, je me rapproche du mur et colle mon oreille contre celle-ci. De l'autre côté, j'entends quelques cliquetis répétitifs, et je fronce les sourcils. Cole a vraiment une ouïe très fine, mais je me demande si ce n'est pas tout simplement le vent qui fait bouger je ne sais quel câble. J'ai remarqué en faisant le tour tout à l'heure que la pièce d'où le son provient doit avoir une partie de sa toiture qui s'est effondrée, étant donné la tête du plafond de ce côté-ci du garage. Mais dans le doute, je préfère toujours aller vérifier.
Je regarde par dessus mon épaule, mais je ne vois pas la silhouette de Cole. Parfait, ça veut dire qu'il est bien caché. L'une de mes plus grandes peurs serait que quelqu'un m'attire ailleurs, pendant qu'ils s'en prennent à mon frère. L'emmener avec moi serait rajouter une dose de risque aussi. Lorsque l'on vit dans un monde où ni vos assaillants, ni ceux de votre espèce, n'ont plus aucun sens du devoir voir même un soupçons d'humanité, on apprend à penser de plusieurs manières différentes en même temps. Il faut être capable de se mettre à la place de n'importe qui, et de se dire, si j'étais comme lui, je ferais ça, là, maintenant, alors pour l'éviter et sauver ma peau, je dois faire ça. Survivre, c'est observer son monde, constamment, pour l'anticiper, pour savoir quel comportement adapter à telle situation. Et c'est presque impossible, on ne peut pas parer toutes les situations, à chaque fois.
Je prends une grande inspiration, il ne faut pas que je réfléchisse trop, je dois suivre mon instinct, c'est parfois mon sauveur. Il m'a souvent aidé, me permettant parfois de ne pas me jeter dans la gueule du loup d'un camp de robot, ou éviter une maison sur le point de s'effondrer. Il faut parfois écouter sa petite voix intérieur, et savoir lui faire confiance.
Longeant le mur, je me dirige jusqu'à la porte qui mène à un petit bureau, que nous apercevons d'ici parce qu'il était séparé de cette pièce par de grandes vitres qui permettaient de voir à l'intérieur, même si la plupart ont été brisées. Pour aller dans la pièce d'où vient le bruit, il faut que je passe par le bureau, d'ailleurs, c'est ici qui le plafond a commencé à s'effondrer, et l'eau dégouline des trous. La porte me résiste un petit moment, et je suis obligée de donner un coup d'épaule contre le bois moisi pour la faire s'ouvrir. Je reste un moment figée, collée contre la porte ouverte, attendant de voir si le bruit a crée une réaction. L'orage a en moitié couvert le bruit, mais n'importe qui qui aurait tendu l'oreille aurait pu distinguer ce son. Alors, s'il y a bien quelqu'un de l'autre côté de cette autre porte, il a forcément entendu ma présence maintenant. Si c'est un animal, il a déjà fui. Si c'est un Homme, il a peut-être décidé de sortir les armes...
J'avance de plusieurs pas, le cœur battant dans ma poitrine, me sentant prise au piège de ma propre adrénaline qui coule dans mes veines. Mon sang bouillonne dans tout mon être, se préparant à une attaque.
Je n'en ai pas vécu depuis longtemps. La dernière fois que j'ai réellement eu affaire à des survivants aux mauvaises intentions, c'est d'ailleurs la dernière fois que j'ai vu des Hommes vivants, c'était il y a plus de trois ans, je ne sais pas exactement, mais trois espèces d'Hiver sont passés entre temps. Nous avions trouvé refuge avec Cole dans une maison de banlieue pas trop délabrée, c'était d'ailleurs l'un des meilleurs abris qu'on ait trouvé depuis le bunker. A une vingtaine de mètre en bas de la maison coulait un imposant ruisseau qui nous permettait d'avoir une réserve d'eau importante, si importante qu'on remplissait la baignoire au dernier étage pour prendre des bains et se laver de fond en comble. La cave avait été aménagée, et nous pouvions dormir dans un vieux canapé abandonné, mais qui était tout de même bien plus confortable que ce que nous avions la plupart du temps. Nous sommes même restés plus longtemps que d'habitude, dans cette maison, tellement c'était agréable. Je me souviens même que Cole m'avait supplié d'accepter de vivre ici pour toujours. Et j'ai bien fait de ne pas le lui promettre. Parce qu'au bout d'une semaine et demie, un groupe de survivants est passé dans le quartier, et ont commencé à fouiller les maisons une à une, histoire d'y dénicher peu importe ce qui pourrait leur être utile. Je ne pouvais même pas espérer leur faire face, ils devaient bien être au moins cinq. Ce jours-ci, ma petite voix intérieure m'a prévenu, et m'a dit de ne pas leur faire confiance. Ça a toujours été le problème, lorsqu'on croise un autre humain, est-il bon, ou mauvais ? On a toujours l'espoir de tomber sur une âme pure qui nous aiderait, mais la méfiance est aussi très présente. Et ce jour-là, ma petite voix intérieure a eu raison. Les hommes étaient armés jusqu'aux dents, Cole ne voulait pas quitter la maison, il voulait se cacher et attendre qu'ils partent, mais je voyais bien qu'ils nous trouveraient. Et dès que j'ai réussi à attraper mon frère par le bras et à le détacher du meuble auquel il s'accrochait désespérément, dès que nous avons commencé à courir dans le jardin à l'arrière et que l'un des hommes, à la fenêtre de la maison voisine nous a vu, ils ont commencé à tirer.
Et je me suis toujours dit, si des hommes, tentant de survivre tout comme moi dans ce monde perdu, en viennent à tirer sur une pauvre gamine, courant avec son frère comme une proie effrayée, alors qu'y a-t-il de plus à espérer pour l'humanité ? Nous ne représentions aucune menace pour eux, nous n'étions que deux jeunes qui fuyaient leur cachette. Et pourtant, ils nous ont tiré dessus jusqu'à ce qu'on traverse le ruisseau en bas du jardin et qu'on disparaisse dans la forêt qui entourait cette zone du quartier.
J'arrive finalement à la deuxième porte, et colle mon oreille contre celle-ci. Je ne peux m'empêcher d'être surprise parce que j'entends toujours ce même son. Ce n'est que le vent, ça ne peut pas être quelque chose d'autre. Un animal se serait enfui, un homme aurait cessé de bouger.
- Il y a quelqu'un ? demandé-je finalement, si c'est un homme, je veux le savoir avant d'ouvrir la porte.
Le bruit cesse au moment où je parle, c'est donc bien quelque chose qui a une conscience, ou tout du moins, une ouïe, mais le bruit reprend ensuite. Ce n'est pas un bruit régulier, mais plutôt répétitif, acerbe et aléatoire. Mon cœur ne bat plus dans ma poitrine à cause de l'adrénaline, mais bien parce qu'il a tout simplement peur de ce qu'il pourrait trouver derrière cette porte. Je sens la sueur coller mon t-shirt contre mon dos, et je ferme les yeux quelques secondes, laissant la petite voix à l'intérieur de mon crâne me guider. Elle me dit d'ouvrir la porte, d'en avoir le cœur net, de savoir ce qu'il y a dans cette pièce. Je regarde au travers des vitres brisées du bureau pour vérifier qu'il n'y a pas de mouvement du côté de Cole. Et si c'était un piège ?
Je remarque que mes mains ont commencé à trembler. Ce n'est pas le moment de se poser des questions, alors je serre les dents et tourne la poignée de la porte. De nouveau, la porte me résiste, d'autant plus que le plafond est affaissé au dessus, alors je donne un coup de pied sec, la décrochant de ses gonds, et pendant qu'elle tombe dans un bruit sec sur le sol, je pointe mon arme dans la pièce.
Comme je m'y attendais, le toit s'est effondré, et la moitié de la pièce est à l'air libre, et des trombes d'eau se déversent sur la moquette, qui devait être verte à une époque. Mais ce à quoi je ne m'attendais pas, c'est de trouver un garçon, assis en tailleur au milieu de cette pièce, abrité par une plaque de béton qui ne s'est pas encore cassée la figure, et qui tire sur quelque chose accroché à son pied. Mon piège ! Ce pièce contenait une tige de ferraille qui permettait de maintenir la corde en suspens, le temps qu'un animal ne coince sa patte à l'intérieur.
Le garçon, qui ne s'occupe pas de ma présence, est en train de frapper la tige de ferraille avec une pierre, voilà donc le bruit que j'entendais. Mais ses gestes sont maladroits, et honnêtement, pas besoin d'être une lumière pour voir que ça ne sert à rien et que ce n'est pas comme ça qu'il se libérera. Des animaux arrivent à s'extirper de mes pièges, parfois, c'est pour vous dire qu'un minimum d'intelligence permet de s'en défaire.
- Hé toi !
Le garçon sursaute et se tourne subitement vers moi. Il ne m'avait pas entendu ? Je viens juste de défoncer une porte à cinquante centimètres de lui.
- Montre-moi tes mains !
Ça fait trois ans que je n'ai pas vu un autre humain que mon frère. Et depuis combien d'années n'ai-je pas vu un visage étranger d'aussi près ? Depuis combien d'années n'ai-je pas parlé à quelqu'un d'autre que mon frère ? Il est si près que je peux distinguer les moindres traits de son visage, ses joues creuses, les jointures de ses mains sur la pierre, ses cheveux clairs sur son front, plaqués par la pluie. La courbe de ses lèvres, l'ombre de son nez, la brillance de son regard.
Un humain, un vrai, qui ne m'a pas attaquée, qui n'a pas sorti d'arme, qui ne m'a pas injuriée, ni menacée. Un humain, avec peut-être encore en lui un brin d'humanité.
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