49 Bordeaux
-C'est très différent de Paris. Fis-je remarquer.
-C'est sûr. acquiesça Sang. Mais très sympa aussi, dans un autre style, tu verras.
-Ne me dis pas que tu as aussi vécu ici? M'exclamai-je.
-Si, pourquoi? Fit elle simplement. C'est une belle ville, pleine de gens intéressant, normal que j'y ai passé du temps.
-Sang... tu es vraiment un mystère, tu sais. Je me demande où tu n'as pas vécu.
-A bien peu d'endroits... me taquina-t-elle.
Je soupirai tout de même. J'espérai tout de même en apprendre un peu plus sur elle au court du voyage, et le peu de bribes que j'arrivais à glaner ne faisaient qu'aggraver ma soif d'en savoir plus. Peut être le faisait-elle exprès, afin de conserver son capital mystère. En tout cas, cela me frustrait.
-On a encore du temps. Me dit-elle. Si il passe au fameux bar, ce sera dans la soirée. Profitons en pour visiter la ville.
Je me réjouis de cette proposition. Elle m'avait fait la même pour Paris. Nous avions passé la journée suivant notre rencontre avec Ab à flâner dans la capitale et à visiter les monuments. La tour Eiffel était très impressionnante, et monter au sommet avait été magique. J'avais tristement pensé à Melody, qui n'aurait pas apprécié la hauteur. Nous avions ensuite mangé ensemble avant de retourner à l'hôtel tard le soir. J'aimais la proximité qui existait entre nous. J'en savourais chaque instant, en sachant parfaitement qu'elle ne durerait sûrement pas une fois mon objectif accompli. J'allais sûrement rester à Bordeaux, avec mon père, pour tout recommencer à zero. J'aurais aimé avoir Sang à mes côtés à ce moment, mais je ne pouvais pas lui demander de tout quitter.
On déambula dans les rues, faisant un peu de shopping au passage - je n'avais pas beaucoup d'habits, vu l'urgence dans laquelle j'avais quitté la maison, et je n'en avait pas repris beaucoup quand nous y étions repassées. Elle me fit visiter la ville qui, c'était vrai, était magnifique. À un point donné, nos bras s'entrelacèrent, presque naturellement, et on continua notre visite sous les regards des passants. Un vendeur de rue nous fit même une reflexion:
-Un merveilleux bracelet pour un merveilleux couple? Avait il offert en nous montrant sa camelote.
J'avais rougi quand il avait dit cela et avait tenté de me détacher de Sang, supposant qu'elle n'allait pas aimer, mais elle ne contredit pas le petit homme et se contenta de décliner son offre.
-Tu ne lui a pas dit la vérité... fis-je remarquer.
-Quelle vérité?
-On est pas en couple!
-Oh ça! Bah, c'est drôle de se l'imaginer.
Elle prenait ça à la rigolade, et j'en ressenti un léger pincement. Je posai alors une question risquée.
-Pourquoi... tu ne veux plus être en couple? Que s'est il passé?
Je me souvenais parfaitement de cette fois où elle m'avait avoué qu'elle n'était pas faite pour être en couple, car elle finissait toujours par faire souffrir l'autre. Elle soupira.
-Il s'est passé beaucoup de choses, Jill. J'ai eu beaucoup de mauvaises expériences, et je vis avec leur poids sur les épaules. Je ne peux pas me mettre avec quelqu'un. Je...
Elle eut un rictus.
-Je porte la poisse, je pense. Conclut-elle.
-Tu sais, partager ses douleurs aide à se sentir mieux. C'est toi qui me l'a appris, Sang. C'est même une partie de ton boulot. Alors pourquoi tu ne le fais pas, toi aussi? Te libérer de ces souvenirs en en parlant aux autres...
-Non.
Je fut surprise par ce non catégorique.
-Je ne veux pas me débarrasser de cette douleur. Je veux la garder. C'est... un devoir. Je dois la garder et la porter seule, c'est ma punition pour mes erreurs. Et puis, comme ça je n'oublie pas.
Son regard était lointain et mélancolique. Elle me sembla soudain très éloignée de moi. Comme à des années lumières. Elle était si mature, avait tant vécu et tant vu par rapport à moi, qu'il me semblait être un nouveau né à côté d'elle. Elle perçut mon recul et ressera son emprise autour de mon bras.
-Ce n'est pas contre toi, Jill. Je n'en ai jamais parlé à personne. Cela ne regarde que moi.
-Comment puis je te connaitre si tu reste dans cette coquille, Sang... soupirais-je.
Elle soupira également. J'avais un peu ruiné l'ambiance. Mais à ma surprise, elle parla.
-Je ne suis pas de ce pays. J'ai grandi dans un coin perdu, à l'écart du monde. Je n'ai pas vraiment de parents, j'ai grandi au sein d'une... communauté, en quelque sorte. En grandissant, j'ai pris de l'importance parmi ceux avec qui j'avais grandi, et j'ai découvert le poids des responsabilités. Mais moi, je n'en voulais pas. Je suis partie, et n'ai plus jamais entendu parler d'eux. Je ne suis jamais retournée au pays, et j'ai erré d'endroits en endroits jusqu'à me retrouver... eh bien, ici.
-À Bordeaux?
-Nan, débile. Avec vous. Avec toi.
Elle me sourit, et je fondis sur place. Bordel, qu'elle était belle. J'avais envie de la toucher. De la saisir contre moi. De me noyer dans son odeur, de sentir sa peau contre la mienne. Qu'elle s'empare de moi comme elle l'avait déjà fait. Qu'elle fasse vibrer nos corps à l'unisson. Ces sentiments faillirent m'échapper, mais je les retins et les enfouis. J'avais commis l'erreur de croire que c'était possible avec Sang une fois. Je ne voulais plus m'y risquer à nouveau.
Elle jeta un coup d'oeil à son portable.
-Ça va être l'heure. Tu te sens prête?
Je pris ma respiration. J'étais à l'aube d'un tournant de ma vie. Mais j'étais prête. Je ne pouvais pas dire que je n'avais pas peur. Mais j'étais prête à avancer.
-Allons y.
***
Nous étions devant le bar. Il était déjà tard. Nous avions eu du mal à trouver, car Sang ne connaissait pas cette partie de la ville. La devanture du petit bar était bien moins miteuse que ce que nous avions vu à Paris. Même le Nirvana faisait pâle figure. Sang eut un léger grognement en voyant la belle enseigne et l'intérieur épuré.
-Ce genre d'endroit est peut être très beau et propre, mais ça n'a pas d'âme, pas de personnalité. Râla-t-elle en poussant la porte.
Le lieu était assez peu rempli. Il fallait dire que, si les lyonnais étaient en vacances, ce n'était pas le cas des bordelais. Et de toute façon, les adultes n'ont pas les mêmes vacances que les élèves. Je jetai un regard anxieux aux différents visages. J'avais une photo de mon père datant de 10 ans. Il pouvait avoir beaucoup changé, et je fixai donc longuement chaque visage, au point de mettre plusieurs personnes mal à l'aise. Dont Sang.
-Bon, arrête ton cirque là. Dit elle en riant. Je vais demander au bar.
Elle s'approcha du comptoir et demanda un verre. J'avais fini par comprendre qu'elle prenait toujours quelque chose à boire avant de poser des questions. Sûrement un truc de bartender, du type "je fais la discussion que si tu achète quelque chose". Comme d'habitude, je restai à l'écart. J'étais encore un peu trop jeune pour ce genre d'endroits.
Après quelques instants, Sang se releva, bu son verre d'un trait et laissa un pourboire, avant de courir dans ma direction, un grand sourire aux lèvres.
-Il est parti il y a quelques minutes, Jill! On peut le rattraper, le barman m'a donné une direction.
Mon coeur rata un battement. Je me précipitai à sa suite, et elle m'attrapa la main pour m'entrainer. Je ne pu m'empêcher de l'admirer une nouvelle fois dans cette situation. Elle n'hésitait jamais un instant et m'entrainait avec elle. Je devais me montrer forte également. Ne plus la suivre, mais courir à ses côtés!
J'accélérais pour me placer à son niveau, et nous continuâmes notre courses effrénée dans les rues peu animées du quartier. Mon coeur battait la chamade. Mes joues étaient rouges, j'avais du mal à respirer. Le stress commençait à m'envahir. J'avais attendu cet instant depuis tellement de temps. Tellement d'année...
Tout ce temps avec ce creux, ce manque de quelqu'un sur qui compter, d'une figure parentale responsable, bien loin de mon idiote de mère. Et il était là. Tout proche. Il ignorait peut être même mon existence. Et si... si il n'était pas heureux de me connaitre? Si il avait refait sa vie? Après tout, le vieil Ab nous avait bien dit qu'il avait eu d'autres enfants.
J'avais peur. J'étais terrorisée, mais Sang m'entrainait inexorablement, et je me battais pour ne pas me faire distancer. Soudain elle s'arrêta.
À quelques mètres devant moi, une silhouette semblait batailler avec son trousseau de clef devant une porte. C'était un homme entre deux âges. Ses cheveux noirs étaient déjà parsemés de quelques pointes grises. Ses yeux étaient à demi fermés et respiraient la sérénité. Son visage, toujours mangé par la barbe, avait pris quelque rides, mais il n'y avait pas d'erreur possible.
La main de Sang me lâcha. Je restai immobile, comme figée dans le sol, incapable de bouger. Ma respiration se fit difficile. Mais une main rassurante se posa sur mon épaule et m'encouragea à avancer. Sang me laissait gérer ça moi même. Et je l'en remerciais. Le contact de sa main me ramena à mes esprits, et j'avançais, toujours un peu incertaine vers l'homme.
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