Épilogue
Jamais je ne les ai vus aussi silencieux. Même les plus dissipés portent le regard subjugué et stoïque, comme les autres. Et en retour, je les fixe, un par un, guettant leur réaction. C'est la blonde du premier rang qui rompt ce silence si agréable :
— Si la Reine Cassiopée a vu les cordelettes autour d'Alex O'Connor, cela veut dire qu'ils ne sont pas des wagens ?
Réfrénant un sourire, je me mets à faire des aller-retours sur les deux-trois mètres devant moi.
— Aucun des deux n'avait sa faculté qui fonctionnait sur l'autre et ils s'aimaient, profondément. Ils étaient des wagens en apparence, appuyé-je. Mais n'oubliez pas qu'ils ont été fabriqués génétiquement, cela veut dire que des failles sont possibles car l'erreur est humaine.
Un moment de pause s'impose, le temps de laisser le temps aux adolescents de se poser des questions puis je me décide à reprendre :
— Sauf qu'avec un duplicateur, S. en l'occurrence, ils étaient capables d'affecter l'autre. Souvenez-vous de l'épisode sur le dos de mammouth où Cassiopée se tient à S. Elle voyait les fils de son wagen. Tout comme Alex pouvait lire les pensées de leurs bébés. Ce qui signifie qu'ils sont à... peut-être...95% des wagens.
— Ils ne sont donc pas les wagens de la prophétie ? interrogea un garçon du troisième rang.
— Ça, c'est à toi de le décider.
Comment ne pas être ravi de voir tous ces jeunes réfléchir à la remarque que je viens de faire ? C'est pour ça que j'aime mon métier : je les forge à avoir leur propre opinion. Une autre élève sur la gauche, aux cheveux roux casse ce moment de réflexion :
— Ce n'est pas l'histoire que mes parents m'ont apprise.
— De tout ce que vous nous avez dit, il n'y a que la partie où elle tue Rader et meurt qui est pareille à celle de notre livre, renchérit une autre.
Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas laisser transparaître mes émotions.
— Il faut savoir que lorsque l'Histoire est racontée, cette dernière ne peut qu'être subjective. Vos parents ne vous ont sûrement pas délivré la même version que l'officielle, celle dans les bouquins, ni même la mienne. Mais sans différents points de vue, l'Histoire n'aurait été qu'une douce utopie...
A nouveau jetant un œil à l'assemblée, je scrute leur réaction, me demandant ce qu'ils peuvent bien penser. Et puis je savoure ce silence, celui où les cerveaux cogitent.
— Ils existent encore ? me demande un autre élève
— Qui ça ? Cassiopée et Alex ?
— Non, répond l'élève.
Il se tait le temps de regarder ses voisins, incertain de ce qu'il s'apprête à dire :
— Les nilées. Ils existent encore ?
Avant même que je ne puisse répondre, la rouquine sceptique de tout à l'heure prend l'initiative :
— Bien sûr que non, Mark, tous les nilées ont disparu dans l'attaque fatale de Rader et depuis tous les Nilées nés par erreur sont envoyés au Sval.
Mon cœur ne peut s'empêcher de se serrer à la remarque de la jeune fille. Je m'efforce de leur donner une vision différente que celle diffusée par le pays mais parfois, pour leur sécurité, il vaut mieux se conforter à la vision gouvernementale. Alors, je ne dis rien et me contente de conclure :
— Bien, ce sera tout pour aujourd'hui. À demain.
Sans demander leurs restes, tous les collégiens dont je m'occupe depuis maintenant deux ans, quittent la pièce pendant que je rassemble mes affaires. En sortant, je lève les yeux au ciel, le soleil tape encore fort à cette période de l'année mais ce n'est pas la raison pour laquelle je me hâte de rentrer à la maison. Bien évidemment, on m'attendait.
— Joyeux anniversaire !!
Ils sont tous là, autour d'un gâteau sur lequel repose vingt bougies. Je fais semblant d'être surpris et heureux mais au fond je ne le suis pas, car je n'aime pas fêter mon anniversaire. À chaque fois que je fais mon vœu il ne se réalise pas, alors depuis bien longtemps j'ai arrêté de croire en eux et encore moins à l'aspect féerique des anniversaires. Malgré tout, je laisse le quatuor en face de moi me chanter la fatidique chanson et sous leurs applaudissements je souffle sur toutes les bougies en une seule fois. Et je me maudis car je ne peux pas m'empêcher de faire un vœu, le même depuis des années.
Une fois que tout le monde a été servi en gâteau, la plus jeune des adultes me questionne:
— Comment s'est passée ta journée ?
— On m'a demandé de raconter l'Histoire de Cassiander.
Je jette furtivement un œil vers elle, à l'autre bout de la table, ses cheveux noirs cachent ses yeux mais je sens qu'elle est tendue, tout comme le reste du groupe, en particulier l'homme à la peau métisse en face de moi. Il n'y a plus que les couverts qui s'entrechoquent pour me répondre, jusqu'à ce que mon voisin de gauche ne demande à voix haute ce que tout le monde pense tout bas :
— Et qu'as-tu fait ?
— Et bien je leur ai dit ma version des faits.
— Ta version des faits ? répéte-t-il stupéfait
Ses yeux verts m'inspectent sous sa monture de lunettes :
— J'ai essayé d'être aussi proche de la vérité que possible, me justifié-je. Ces enfants méritent de connaître la vérité. Et ils ne méritent pas d'être oublié.
Ma voisine de droite, habituellement silencieuse, replace ses propres lunettes et s'exprime :
— Dis-moi que tu n'as rien dit sur-
— Mais bien sûr que non, pour qui me prenez-vous ? J'ai...arrangé la vérité à ce passage-là c'est tout, m'enervé-je
— C'est très dangereux ce que tu as fait là, réprimande le brun aux yeux verts. Après tout ce que-
— Ne vous inquiétez pas, je n'ai mis personne en danger.
— On doit être discret, tu le sais et là tu nous exposes-
— Ça va, je le sais d'accord !
Agacé par les quatre, je me lève pour me diriger dans ma chambre. Au loin, j'entends une voix féminine que je reconnaîtrais parmi des centaines dire « laisse-le ».
Lorsque j'arrive dans la pièce, j'ouvre la fenêtre et laisse entrer la chaleur. Même après tout ce temps, je n'ai aucun mal à m'accrocher au rebord de la fenêtre et à escalader la façade pour rejoindre le toit en tuiles sombre. Il n'y a pas de vent, ni même de lune. C'est idéal. Je suis seul avec les étoiles, qui toutes me regardent. Seul devant cet infini. Comme je m'y attendais, je ne tarde cependant pas à entendre quelqu'un me rejoindre.
— Je commence à me faire vieille, il faudrait qu'on trouve un autre moyen pour venir ici.
Je ne dis rien parce que je m'en fiche. Tout ce que je veux c'est être avec les étoiles, avec eux.
— Vous avez vraiment cru que j'allais tout leur dire ? demandé-je malgré moi
— Il en faut peu pour-
— Je sais mais...
Je contiens ma colère car elle n'a pas besoin de la voir et je tente de me justifier :
—Ça m'énerve car ils ne sont pas appréciés à leur juste valeur...Les gens ne les connaissent pas comme moi je les connais.
Je sens les larmes monter peu à peu alors je cligne à plusieurs reprises pour les chasser.
Elle ne dit rien et c'est ce que j'aime chez elle. Je pense que c'est sûrement celle qui me comprend le mieux alors je n'hésite pas à lui partager mes pensées.
—Au lieu de dire qu'elle avait pu avoir accès aux peurs d'Alex grâce à S., j'ai expliqué qu'elle avait tiré sur les fils de Hyacinthe et qu'il était mort. Puis j'ai fait une ellipse. Je n'ai rien mentionné du fait qu'Aelyne a construit une embarcation, que Fenyang a réduit le bébé à la taille d'une allumette et qu'ils sont partis tous les trois, avec deux terrestres à Noé. Je ne leur ai pas dit que Cassiopée a sacrifié son amour pour Alex pour protéger leurs enfants. Je n'ai pas dit qu'elle voulait qu'Alex s'en aille avec Eurydice. Je n'ai rien dit de tout ça. J'ai même menti sur la fin, car je ne la connais pas. J'ai repris ce que disent les bouquins officiels.
— Je sais.
Ses yeux bleus me fixent et je l'envie d'en avoir de si jolis. Les miens n'ont rien d'extraordinaire, d'un mordoré que je ne supporte pas de voir car ils ne me rappellent personne. Qu'est-ce que j'aurai donné pour en avoir d'une autre couleur...
— Mais tu sais, reprend-elle en m'interrompant dans mes pensées. Si Zekaryah t'a transmis toute la mémoire de Cassiopée ce n'est pas pour que tu la divulgues à des étudiants. C'est pour toi, pour te souvenir, pour ne pas oublier.
A ses mots, je me remets à penser au message personnel que Cassiopée m'a adressé :
« Tu portes toute ma vie dans ton coeur. Tu n'es jamais sans elle et partout où tu vas, je vais. Et c'est ça le miracle qui fait briller les étoiles de ton ciel. »
Je ne sais pas pourquoi mais cela me réconforte toujours .
— J'aime tellement regarder les étoiles, commente la brune. Cela me rappelle tant de souvenirs.
— Parfois il m'arrive de les haïr, confessé-je.
— Pourquoi ?
Je ne peux m'empêcher de chercher mon point de repère dans le ciel avant de lui dire :
— Parce que je regarde les mêmes qu'eux mais sans eux.
Du coin de l'œil, je la vois s'affaisser, attristée par mes paroles.
— Ils sont avec toi, me rassure-t-elle.
Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille et se confesse à nouveau :
— Tu sais avant que je ne quitte Cassiander, Cassiopée m'a dit « peu importe où tu seras, je serai avec toi dans les étoiles » et cela vaut pour toi aussi. Ils sont là avec toi.
En fixant à nouveau ses yeux bleu océan, j'aimerais lui transmettre un message qu'elle sait déjà : ce n'est pas dans ce sens-là, car ce qu'elle insinue, c'est qu'ils sont morts. Mais au fond de moi je sais que ce n'est pas le cas. Ce que je veux c'est qu'ils soient physiquement présent à mes côtés et je sais que cela est possible. J'espère que cela soit possible.
— Je sais qu'ils sont en vie, Homam. Au fond de moi, je le sais, appuyé-je.
Surtout elle. Je sens qu'elle est là, quelque part.
Son souffle dépité est si faible que n'importe qui aurait pu le prendre pour une brise.
— Il se fait tard, je vais aller me coucher, déclare-t-elle.
Tandis qu'elle se lève, je ne peux m'empêcher de l'interpeller :
— Tu sais quel a été mon vœu ?
— Celui de la retrouver ?
Je hoche de la tête avant de développer :
— J'ai fait le vœu de pouvoir subir ma Révélation et que ma faculté me permette de retrouver ma sœur.
Par automatisme quand je suis mal à l'aise avec ce que je viens de dire, je replace mes cheveux blonds pour cacher mes oreilles décollées pendant qu'Homam me sourit en me donnant de l'espoir :
— Ta mère a pris des risques énormes. Elle n'était pas sûre que ton père avait cette peur en lui : celle de perdre leurs enfants et pourtant elle l'a fait. Tu as ressenti sa peur et sa tristesse parce que au fond, elle aussi avait cette peur-là. Elle l'a fait pour vous protéger tous les trois, Eurydice, Alex et toi.
Elle se rasseoir près de moi et poursuit :
— Cassiopée a accepté de perdre l'amour de sa vie pour que lui, Jelani et Laurine protègent ta soeur de Noé tout comme elle nous a donné une mission. Fenyang, Aélyne, Alban et moi avons aussi une parole à honorer : te protéger coûte que coûte. On lui a tous fait confiance aveuglément et tu devrais faire pareil.
— Facile à dire, marmonné-je.
Homam souffle et me force à la regarder droit dans les yeux :
— J'ai eu confiance en ta mère dès l'instant où elle m'a parlé. C'est une bonne personne avec un don maudit mais je lui fais encore confiance vingt ans après. Crois-moi, elle a forcément prévu que vous vous retrouviez tous les trois, avec ta soeur et ton père.
Je me permets de la corriger :
— Tous les quatre, avec elle.
La terrestre d'une trentaine d'années me fixe un moment puis se rapproche de la fenêtre pour retourner rejoindre mes trois autres parents adoptifs. Je les aime mais j'aurai préféré vivre avec mes vrais parents, avec ma vraie famille, aussi imparfaite soit-elle dans un monde aussi imparfait que le leur.
Au dernier moment, Homam me souffle quelque chose de si bas que je ne suis pas sûr d'avoir tout compris.
— Un jour, Hyacinthe, un jour.
FIN
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