Chapitre 24
L'endroit ne fut pas bien différent de l'établissement scolaire. Des morceaux de tôle et de tissus avaient atterri dans les rares arbres survivants autour du cratère. Et même là, des secouristes parcouraient les gravas à la recherche désespérée d'un signe de vie. Bien évidemment les cassiandais savaient qu'il s'agissait de terrestres et pourtant ils étaient là, à les soutenir dans un si tragique événement. Les locaux allaient-ils lui en vouloir pour son camp d'accueil secret ?
Dans les décombres de la Foret, il semblait toutefois y avoir plus de survivants et chacun aida comme il put. Un nilée soulevait de lourds rochers pour y laisser apparaître certains corps sans vie pendant qu'un autre semblait sonder la terre, sûrement à la recherche du moindre signe de vie. Tentant de reprendre ses esprits, Cassiopée s'adressa à son Premier ministre et sa directrice de communication :
— Gianni, je veux que tu convoques toutes les forces de l'ordre au château, capable d'être utile ici. Par exemple, Jelani pour repérer les survivants ou encore Robert. Laissez Laurine et Fenyang avec les jumeaux et qu'ils descendent à l'infirmerie avec Alex, Selena et les autres Légendaires.
— Mais il y a un risque que le palais...
— La priorité est à l'école et la Foret, je compte sur Laurine pour protéger le château.
Puis elle se tourna vers Zeka :
— Surveille les communications de Noé, ce qu'il se dit et si jamais il fait un discours, je veux en être informée au plus vite.
— Bien sûr, je vais aussi te préparer ton discours et convoquer les médias pour qu'ils voient que toi aussi tu participes à l'effort et pour une réponse ce soir.
Bien qu'elle se sente mal à l'aise avec l'idée d'être filmée pour prouver qu'elle participait à l'effort commun, Cassiopée hocha de la tête et laissa ses amis partir.
Une fois seule, elle s'aventura doucement vers le site de la catastrophe. Au loin, elle repéra l'un des coordinateurs, visible avec son brassard blanc.
— Comment puis-je vous aider ?
L'homme leva la tête et fut surpris de la voir ici. Après quelques bégaiements auxquels elle répondit d'un revers de main, la jeune femme trouva elle-même le moyen d'être utile. C'était certes risqué mais elle ne voyait pas quoi d'autre elle aurait pu faire.
— Je vais utiliser ma faculté pour tenter de retrouver des survivants.
Devant l'air ébahi du chef, Cassiopée n'attendit nulle réponse et s'approcha du vivier. C'était dangereux mais il fallait qu'elle essaye : si elle pouvait détecter des fils parmi la roche, cela signifiait sûrement que des survivants étaient enfouis dans les décombres. Il y avait toujours un espoir, la preuve étant la demi-douzaine de terrestres assises dans un coin, recevant des soins. D'autant plus qu'après le désastre qu'elle avait commis à Noé, la brune allait redoubler de vigilance.
Rien que de repenser à l'horreur qu'avait provoquée Rader suffit à Cassiopée pour voir apparaître des dizaines de cordons autour des gens. Les petits bouts colorés se promenaient au rythme des personnes qui défilaient dans tous les sens. Tous étaient tentants les uns autant que les autres, mais il fallait qu'elle résiste. Alors elle pencha la tête, scrutant la roche alentour comme si elle cherchait une boucle d'oreille. Le brouhaha et l'odeur étaient insupportables mais à force de concentration, Cassiopée put se focaliser uniquement sur la roche noire. Elle recherchait la moindre trace de couleur mais rien.
Pendant des heures, elles parcourut les décombres, les trous béants et tentaient même de s'allier à d'autres nilées. Mais ces derniers étaient bien trop concentrés à leur tache pour lui accorder le moindre regard. À force d'essayer de communiquer avec des habitants, Cassiopée comprit qu'aucun ne voulait lui adresser la parole. C'est lorsque la nuit tomba qu'elle réalisa l'ambiance tendue et le climat froid qui régnait sur les lieux malgré la chaleur des fumées provenant des décombres. Les gens lui en voulaient et il n'y avait rien de plus normal. Tandis qu'elle ignorait l'environnement peu chaleureux, à la recherche d'un moindre signe de vie, Zekaryah fit son apparition, toute haletante.
— Il faut que vous veniez, le président Rader s'est exprimé.
Sans plus attendre, elle accourut jusque dans son appartement où la télévision était allumée. Elle eut une impression de déjà vue en y retrouvant ses enfants, Laurine, Fenyang et Gianni. À la télévision, un journaliste partageait l'écran avec le président Rader. Des bribes de son discours lui parvinrent alors :
— « Vous avez pris nos enfants. Vous les avez détruits. Nous vous avions prévenu ! Et vous n'avez que ce que vous méritez ! »
Une foule applaudit avant que le barbu ne reprenne :
— « Avec nous, c'est œil pour œil et dent pour dent. Et nous n'avons pas fini. »
Cassiopée aurait voulu rire de la citation puéril du président mais elle comprit que la situation était grave lorsque le journaliste prit la parole :
— « C'est donc tout un pays qui souffre en conséquence des actes égoïstes de notre Reine Cassiopée. En effet, pendant que son peuple souffrait, nos sources sures ont confirmé son voyage à Noé dans l'objectif de récupérer sa meilleure amie.»
Des images inédites des rues dans lesquelles elle était quelques heures auparavant apparurent à l'écran :
— « Noé fait état de milliers de dollars de dégâts ainsi que la perte de dizaine de vies, uniquement causées par notre très chère Reine. Mais ce n'est pas tout, ici sur notre île, les pertes niléennes sont estimées à plus de deux cent cinquante dont plus de deux cents élèves âgés de trois à dix-huit ans mais aussi des professeurs de renoms comme la veuve Ervelyne Joro ou encore le directeur Valentin Coden.»
En entendant ces noms, un bourdonnement désagréable se produit dans les oreilles de Cassiopée. C'était sa faute. Sa faute si son beau-père était mort et si des gens aussi admirables qu'Ervelyne était mort. Le journaliste poursuivit son reportage avec d'autres images plus sombre :
— « Mais ces attaques ont aussi permis à tout Cassiander de découvrir les petits secrets de la couronne : un camp de fugitifs caché dans la forêt, qui lui aussi a été victime des missiles noétiens. Les questions qui se posent désormais sont depuis quand la Reine nous cache-t-elle ce camp de réfugiés ? Mais surtout qu'a-t-elle d'autre à nous cacher ?»
Il renvoya l'antenne au studio principal qui ne fit que confirmer son impression de cet après-midi.
— Merci, Johnson, commença la journaliste sur le plateau. En effet, un sentiment d'amertume s'est développé au sein de notre communauté. Les cassiandais se sentent trahis par leur souveraine à qui ils reportent tous la faute de ces nombreux morts. On parle de colère, de fureur mais aussi d'un sentiment d'injustice comme quoi, si la Reine Cassiopée n'avait pas fait entrer ces fugitifs, jamais une telle catastrophe ne se serait produite. Sur place,-
Quelqu'un éteignit la télévision, Gianni.
— C'est mauvais Cassiopée. Très mauvais.
Son cerveau fonctionnait à vive allure, plusieurs choses se mélangeaient : les Légendaires, Alex, son défunt père, les victimes, le camp fugitif. Tout ça s'en était trop mais cette fois-ci elle se devait d'être forte. Elle n'était pas seule, elle ne l'avait jamais été et il n'y avait aucune honte à avouer ce qu'elle s'apprêtait.
— Je ne sais pas quoi faire.
Son regard déplorable sur l'assemblée sut convaincre son entourage. Gianni se gratta le sommet de son crâne dégarni et prit les choses en main
— Il faut montrer au peuple cassiandais que tu n'as pas que secouru Selena mais aussi les Légendaires, nos concitoyens et...
— Il faut tourner ce que tu as fait comme étant nécessaire, une défense, poursuivit
Laurine.
— Et il faut être transparent concernant la Forêt, rajouta Zekaryah
— Alors dans ce cas il faut aussi évoquer le projet Caméléon, conclut Cassiopée.
Avant que les autres ne le disent, l'illusionniste le fit :
— C'est un échec et il faut l'avouer. Il faut que cela change, que les mentalités changent et qu'on explique pourquoi nous avons été obligés de faire ça.
Ça y était, Cassiopée y voyait un peu plus clair sur les objectifs à court-termes.
— Laurine, peux-tu aller voir les Légendaires et Alex ? Voir comment ils vont et s'ils se sentent près à faire leur apparition publique ?
— Tu as raison, il faut les mettre sur le devant de la scène, concéda Zeka.
Lorsque Laurine quitta la pièce suivit par Zeka et Gianni partis chercher des documents, Cassiopée se retrouva seule avec Fenyang. Il la regarda caresser tendrement ses deux enfants endormis. Pendant qu'elle touchait leur peau de porcelaine, la Reine ne put s'empêcher de repenser aux paroles du président Rader : « œil pour œil, dent pour dent ». Cassiopée avait assassiné sa fille par mégarde. « Nous n'en avons pas fini » avait-il déclaré.
— Fenyang.
Toujours les yeux rivés sur ses jumeaux, la jeune femme sentit tout de même du mouvement derrière elle.
— De qui répondez-vous ?
Il parut surpris par la question mais répondit tout de même :
— Je sers le Prince consort, Votre Altesse.
— Tu le sers, oui, mais à quelle autorité la plus haute obéis-tu ?
— A vous, ma Reine.
Elle se pencha sur le visage d'Euridyce, se demandant si un jour elle lui ressemblerait.
— Et si je vous demandais de faire quelque chose allant à l'encontre de vos principes ?
— Je le ferai, répondit-il rapidement.
— Et si cela nuirait à Alex ? Le feriez-vous ?
Lorsqu'elle se retourna, Cassiopée vit le visage perplexe du métis. Même s'il tentait de restait immobile, un feu follet se produisait dans tout son corps.
— Je suis loyal à la couronne, cela signifie vous d'abord, alors si vous pensez qu'il s'agit de la chose la plus juste à faire, même si le Prince consort désapprouve alors oui, je le ferai.
Rassurée, Cassiopée sourit presque faussement :
— Dans ce cas, allez me chercher S.
Comme incertain de ce qu'elle prévoyait de faire, Fenyang resta quelques secondes stoïques puis s'en alla. C'est à ce moment que Laurine revint avec Alban et Selena :
— Les autres sont avec leur famille. Alex ne devrait pas tarder à se réveiller.
— Merci, va retrouver Gianni et Zeka, ils rédigent mon discours dans le bureau.
Lorsqu'ils furent tous les trois seuls, l'ambiance était lourde et pesante. Deux personnes qu'elles croyaient mortes se tenaient devant elle, la première avait été sa meilleure amie qui l'avait lâchement abandonné et elle avait eu un béguin sur le second. Comment pouvaient-ils être encore en vie ? Pourquoi le lui avaient-ils caché ?
— Cassiopée, je sais que...commença Selena
Elle aurait voulu s'énerver contre eux de l'avoir abandonné ainsi mais tellement de choses se produisaient dans sa vie en ce moment qu'elle n'avait pas la force de chercher une quelconque querelle.
— Comprends-moi, j'avais besoin de faire mon deuil de Taylor-
— Parce que tu crois que moi je n'avais pas besoin d'en faire un ? retorqua Cassiopée plus amèrement qu'elle ne l'aurait voulu.
— On est différentes, Cassie. Tu es bien plus forte que moi. La preuve est tout autour de nous, tu as construit tout ça !
— J'avais besoin de toi, Selena.
Cassiopée aurait préféré ne pas se dévoiler ainsi mais elle avait besoin que cela sorte.
— Ça a été si dure sans toi, j'ai eu l'impression que tu m'avais abandonné en même temps que Taylor, tu imagines ?
— Je ne peux qu'imaginer ...Cassie, pardonne-moi s'il te plait. Il faut que tu me comprennes. Quand j'étais Légendaire, Alex me donnait des informations sur toi. Bon dieu qu'est-ce que j'aurais voulu être là pour ta grossesse, pour la Foret, pour le Caméleon.
Selena avait les larmes aux yeux.
— Alex me parlait de la petite Homam et à quel point il était triste de ne pas pouvoir l'adopter. Il me décrivait Eurydice et Hyacinthe et...j'aurais tant voulu être là...
Cassiopée voulait encore argumenter mais il fallait qu'elles passent à autre chose. Ce n'était pas le moment de prioriser sa vie personnelle. Alors elle renifla tout en changeant de sujet :
— Nous avons toutes les deux des responsabilités à assumer maintenant.
Elle racla sa gorge, en réalisant qu'Alban les écoutait depuis le début :
— Et toi comment as-tu survécu ?
— Je rendais visite à ma famille dans le nord de la France quand la vague s'est produite et le hasard a fait qu'un nilée a réussi à nous protéger.
Il passa sa main dans ses cheveux acajou, ce fut comme un déclencheur de son pouvoir charismatique sur elle. Comment était-ce possible, même dans une situation pareille ?
— Si on m'avait dit que dans cinq ans je te reverrais, Reine et maman..., sourit-il.
— Vous voulez les voir ?
Après leur hochement de tête, Cassiopée les présenta et Selena se permit de faire une remarque :
— Ils sont si beaux...Quand ils sont nés, Alex m'a proposé d'être la marraine d'Eurydice mais qu'il fallait d'abord qu'il en discute avec toi.
Cela ne l'étonna même pas.
— Je pensais qu'il allait choisir Robert comme marraine..., lâcha Cassiopée.
Cela provoqua un rire chez la Légendaire, car elle devait sûrement comprendre la référence à la remarque du métamorphe il y a quelques années à Paris.
— Mais bien sûr, reprit Cassiopée.
Si Alex s'était permis de proposer à Selena, alors Cassiopée aussi pouvait faire son choix.
— Les parrains et marraines doivent protéger leurs filleuls si jamais il arrivait quelque chose à leurs parents, commença la Reine. Mon premier choix pour Hyacinthe était Jelani. Je comptais lui en parler dès que possible.
— Et pour le parrain, tu avais trouvé ? demanda Selena.
— Maintenant oui.
Elle se tourna vers Alban, appréhendant sa réaction. Ce dernier mit du temps à comprendre le sous-entendu.
— Moi ? Mais je n'ai pas de faculté.
— Justement. S'il arrivait quelque chose à mes enfants, ici, il lui faudra quelqu'un des deux mondes, sur qui compter. Tout comme pour Eurydice, avoir Robert et Selena sera la meilleure protection pour les jumeaux. À vous quatre, parrains et marraines, je suis sure que vous saurez prendre les meilleures décisions pour eux.
— Et les gater, plaisanta Selena.
— Alors, tu acceptes ?
Ses yeux en amande dont l'éclat vert faisait fondre le cœur de la Reine se plissèrent de joie :
— Avec plaisir.
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