Chapitre 10
Ils étaient une petite dizaine à se rendre sur la berge. L'endroit était calme et désert, seuls le bruit de l'eau rencontrant les rochers se faisait entendre. Le vent soufflait légèrement et donnait une agréable sensation de fraîcheur face à l'humidité de la nuit.
En tête de file, deux femmes et un homme de la garde royal servaient d'éclaireur, puis le couple royal entouré chacun de son garde du corps personnel, Jelani à la gauche de Cassiopée et Fenyang à la droite d'Alex. Non loin de la Reine, Zeka et Marceli tentaient vainement de rester en équilibre parmi toutes les pierres au sol. Enfin, feutré derrière Alex, Robert gardait un air sérieux qu'il n'avait pas souvent l'habitude de porter. Il n'y avait rien à craindre mais avec le temps, Cassiopée avait appris à son détriment qu'il fallait envisager toutes les possibilités.
Ils ne s'arrêtèrent que lorsque l'eau les empêcha d'aller plus loin. Fenyang passa sa lance à sa camarade puis sortit de sa poche deux petits cure-dents. Les recouvrant de ses deux mains, il ne fallut que quelques secondes pour que les deux tiges se transforment en flambeau et éclairent légèrement la baie. Un silence de maître régnait parmi eux et le temps s'écoulait lentement. Cassiopée ne faisait que ressasser ce qu'elle s'apprêtait à leur dire et repensait aux conseils de Zeka pour ne pas les terrifier.
Instinctivement, elle chercha la main d'Alex au contact de laquelle, un bien-être bénéfique se propageait. Depuis le temps, ils avaient appris à mieux se connaître. Elle ne pourrait l'expliquer mais Cassiopée sentit qu'Alex avait envie de la prendre dans ses bras pour la rassurer, c'était quelque chose d'immuable mais qu'elle captait en tant que wagen. Malheureusement la situation n'était pas adéquate pour une embrassade en public alors elle leva les yeux vers lui et le rassura d'un petit sourire.
Ils s'impatientèrent tous de longues secondes pendant lesquelles seuls le clapotis de l'eau et le bruissement de l'air perturbaient le silence. Elle ne sut si c'était à cause de la pénombre qui les entourait, mais les sens olfactifs de Cassiopée s'était accrus. Chaque odeur était décuplée jusqu'à ce que l'odeur de l'eau salée lui donne le tournis. Elle se concentra pour tenter d'ignorer ce haut-le-cœur lorsque,au loin, sur le rivage, elle aperçut une masse jaune venant rompre le paysage sombre. Le temps qu'elle distingue la taille du bateau et les gens qu'il transportait, l'embarcation combla les dix mètres qui les séparaient.
L'un des gardes approcha la lumière sur la barque permettant ainsi de dévoiler la multitude de visages apeurés. Cassiopée fut horrifiée par l'ensemble du tableau qui s'était dévoilé à elle. Le petit moyen de transport était typique de ceux de l'Ancien Temps servant de bateau de sauvetage. Il y avait encore le trait rouge fluorescent et la marque de la compagnie de croisière. Bien que construit pour accueillir une dizaine de personnes, celui-ci avait transporté le double, et tous étaient des enfants.
Les âges divergeaient probablement, mais certains ressortaient plus jeunes que d'autres. Elle en était certaine : parmi eux, il y avait des enfants en bas âge, pris en charge par des adolescents à la limite de l'âge légal à NOÉ. Ces mineurs au physique si différent les uns des autres revêtissaient pourtant les mêmes traits de fatigue, d'exténuation, de stress accumulé et de peur.
Oui, Cassiopée connaissait très bien la peur et c'était ce qu'elle décelait le mieux chez autrui. Malgré l'habitude de jouer avec la peur des gens, le terrifiant spectacle qui se tenait devant elle lui donna des frissons. Toutefois, ils ne semblaient pas avoir peur d'elle, mais plutôt de l'inconnu, de ce que le futur allait leur réserver. Mais Cassiopée s'en était fait la promesse : elle ferait son possible pour qu'il ne connaisse plus jamais la peur. Après avoir essayé différentes méthodes comme l'intégration ou la Forêt, il était temps de tenter autre chose. Et cette fois-ci, l'illusionniste espérait que cette solution serait la bonne.
Reprenant son rôle de Reine, elle s'avança doucement vers le groupe et tenta de prendre la voix la plus rassurante qu'elle avait :
— Bienvenue sur l'île de Cassiander.
— Vous êtes en sécurité désormais. N'ayez plus rien à craindre.
L'un des gardes royaux avait apporté des couvertures pour les fugitifs qui s'empressèrent de s'emmitoufler dedans. Voyant la terreur toujours présente chez ces jeunes craintifs, Cassiopée s'agenouilla au niveau des plus petits :
— Je vous promets qu'il n'y a plus rien à craindre. Ici, vous êtes libres, je vous le garantis.
Tous les jeunes se tournèrent vers l'une des plus âgées. Malgré la saleté et les haillons qui recouvraient son corps, Cassiopée pouvait y déceler le corps fétiche de la demoiselle. Son visage était si aminci que tous ses traits étaient saillants rendant son faciès plus anguleux. De cette façon ses yeux verts ressortaient nettement d'autant plus qu'ils dégageaient une certaine méfiance. La Reine n'aurait su dire si c'était la façon dont elle la fixait ou celle qu'avait l'attroupement de la regarder, même cette rousse semblait porter toutes les responsabilités du groupe. L'inconnue hocha simplement de la tête :
— On vous suit.
Tous marchèrent jusqu'à ce que les rochers laissent place à la route en roche volcanique. Ils étaient loin du centre-ville mais Cassiopée avait suffisamment fait le trajet entre son palais et la berge, qu'elle avait fini par demander à ce qu'il soit facile d'accès jusqu'à un certain point.
Lorsqu'ils entrèrent dans le palais royal, les nouveaux arrivants ne virent pas le château de verre et tout ce qu'il y avait de beau dans ces lieux. À l'inverse, ils ne virent que le sous-sol, qui n'existe que pour ceux qui le connaissent. Ici-bas, Alex avait proposé d'y construire un lieu de passage pour tous ceux en provenance de NOÉ avant d'être envoyé dans la Forêt pour un séjour sur le long terme.
Il s'agissait d'un gymnase gravé dans la roche volcanique repeinte dans des tons plus chaleureux. Le lieu était divisé en quatre parties que Cassiopée s'empressa de décrire aux nouveaux :
— À droite vous trouverez de quoi vous rassasier, il y a à manger et à boire, vous pouvez vous servir autant que vous voulez. À côté, se trouvent les sanitaires, il y a tout le nécessaire pour vous nettoyer. Ici, il y a suffisamment de lits pour vous tous. Et là-bas.
Cassiopée pointa le dernier coin de la pièce où se trouvait trois bureaux et six chaises.
— C'est pour demain, nous allons vous demander quelques informations sur vous. Pour ce soir, nous vous laissons vous reposer. Les trois gardes que vous voyez là resterons avec vous toute la nuit, ils feront en sorte que rien ne vous arrivera.
Alors qu'elle s'apprêtait à les laisser, la rousse remarquée plus tôt intervint :
— Qui nous dit que vous n'essayerez pas de nous tuer ?
— Parce que si c'est ce que je voulais, je l'aurais fait au moment où vous avez posé le pied sur cette île.
Tous parurent rassurés, et après s'être assurés qu'ils ne manqueraient de rien, Cassiopée se dirigea vers la sortie jusqu'à ce qu'elle fusse coupée dans son élan par une petite voix enfantine :
— C'est vrai que vous avez des super-pouvoirs ? Comme ceux que le président Rader a tué ?
La Reine fut surprise par le lien entre les deux questions. La première paraissait innocente, prêtant à sourire quand elle était prononcée par un enfant alors que la seconde était émise par un public plus vieux, comprenant la notion de la mort et des raisons que cela impliquait. Et pourtant, les deux avaient été prononcées par le même petit garçon au nez retroussé et taches de rousseur sur tout le visage. Cassiopée hocha de la tête sans ajouter quoique ce soit.
— On peut voir ? répéta l'enfant.
Un voile de tristesse apparut sur le visage de l'illusionniste. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas utilisé son maudit don sur des personnes. Il ne lui servait à rien ici car il ne faisait rien de bon. Certes, elle faisait en sorte de maintenir son don mais cela s'arrêtait là.
— Pas le mien, il est beaucoup trop dangereux pour vous. Mais mon ami Robert ici présent peut le faire.
Montrant le bouclé de sa main, ce dernier s'illumina à l'entente de son prénom. Il se rapprocha du petit garçon et lui demanda :
— Moi, je peux me transformer en ce que tu veux.
— En fleur ?
A ses mots, Robert vibra quelques instants avant de se transformer en une petite marguerite. La surprise sur le regard des mineurs fit du baume au coeur de Cassiopée.
— Alors, elle est belle cette fleur ?
Bien que d'abord surpris d'entendre la pâquerette parler, le gamin s'extasia :
— Oui !
— Ou bien tu préfères celle-là ?
Le métamorphe prit l'apparence d'une tulipe violette, poussant des hoquets d'admiration chez les plus petits. Pendant qu'il continuait à se changer à l'infini, la petite nilée qu'était Marceli s'assit en tailleur, concentrée à dessiner sur son calepin. Lorsqu'elle effectua un mouvement de bas en haut avec son index, des dizaines de papillons sortirent de son carnet. Cela attira l'attention de tous les enfants qui lui demandèrent quel était son super-pouvoir. Lorsque la chose fut faite, elle fut harcelée par les enfants :
— Des ballons !
— Un chien robot !
— Un château gonflable !
Marceli et Robert tentèrent de combler les rêves d'enfants qui pouvaient leur permettre d'oublier l'espace d'une nuit les horreurs qu'ils avaient pu connaître dans leur pays.
Tous les enfants peu importe leur âge étaient tous obnubilés par les pouvoirs des nilées. Tous sauf une.
Haute comme trois pommes, la petite fille levait la tête à presque s'en rompre le cou tout en serrant sa peluche dans un état aussi piteux qu'elle. Elle se tenait à l'écart de l'agitation et par curiosité, Cassiopée s'approcha doucement d'elle, mais la fillette était imperturbable. Ni les cris des enfants ni Cassiopée ne pouvait la déranger dans sa contemplation du toit. Ses cheveux raides et noir ne bougeaient pas d'un centimètre faisant d'elle une statue vivante.
Une fois suffisamment proche d'elle, Cassiopée rompit le silence en s'agenouillant près d'elle :
— Qu'est-ce que tu regardes ?
Muette, son interlocutrice posa ses yeux bleus sombres sur la Reine. L'enfant s'attarda sur le visage de Cassiopée qui, au bout d'un certain temps, se sentit gênée d'être ainsi scrutée.
— Je cherche mon frère.
Ne comprenant pas, Cassiopée s'assit confortablement sur le sol :
— Comment ça ?
L'inconnue se reconcentra sur le toit, invitant Cassiopée à poursuivre son interrogatoire :
— Il n'était pas dans le bateau avec toi ?
— Si.
Contente d'avoir enfin obtenu une réponse, l'illusionniste se retourna vers l'attroupement d'enfants au loin.
— Il doit sûrement être là-bas, non ?
Les yeux toujours fixés sur le toit, la petite fille fit un simple non de la tête.
— Tu es sûre ?
— Oui.
— Mais tu m'as dit qu'il est venu avec toi, et nous-
— Oui, il était avec moi dans le bateau, l'interrompit la fillette. Mais il n'est pas descendu avec moi.
Détachant enfin son regard pour le diriger vers les yeux marron de Cassiopée, elle poursuivit :
— Il est parti avant. C'est la mer qui l'a fait descendre.
Cassiopée redoutait que la conclusion qu'elle s'était faite s'avère vraie : son frère était mort lors de la traversée et cela lui fit froid dans le dos. Pendant que Cassiopée déglutissait pour retenir ses larmes, la petite fillette ne quittait pas le visage de la jeune femme et continua ses explications :
— Il m'avait dit que ça arriverait peut-être. Il m'a dit aussi que si je pensais être seule, je n'avais qu'à regarder les étoiles, et qu'il serait là avec moi.
C'était donc pour ça que la jeune fille regardait au-dessus d'elle : elle cherchait son défunt frère. Le cœur de Cassiopée ne fut jamais aussi serré qu'à cet instant : voir cette jeune fille qui elle aussi avait perdu son frère, qui elle aussi avait un lien fort avec les étoiles et qui elle aussi avait atteri dans un monde sans qu'elle n'ait rien demandé, tout ça fit que la nilée ne put retenir ses larmes plus longtemps.
Elle cligna vivement des yeux pour ne pas avoir la vue obstruée puis se pencha sur la jeune fille pour la serrer de toutes ses forces. Le corps de l'enfant était si frêle, si petit et pourtant Cassiopée pouvait y déceler une force incommensurable et un courage titanesque. Bien que surprise au début, elle se laissa faire par l'étreinte de la Reine. Cette dernière ne voulait pas rompre leur lien mais dû s'y contraindre à contre cœur.
— Tu veux bien venir avec moi ?
Les grands yeux bleu marine l'interrogèrent du regard avant qu'elle ne formule sa question :
— On va où ?
— Vérifier que ton frère est bien là.
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Ça y est ! Vous connaissez le nom de l'île :p on se demande qui est le plus heureux d'avoir un "monument" à leur nom ;) Qu'en pensez-vous ?
Sans plus tarder, je vous laisse lire le troisième chapitre pour ce matin !
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