Chapitre 1
Cinq ans.
C'était le temps qu'il lui avait fallu avant de céder. Cela n'avait jamais été dans ses objectifs mais une dirigeante se devait aussi de faire quelques sacrifices. D'après sa directrice de communication et des relations publiques, c'était la solution pour faire changer l'avis du public, en détournant leur attention.
Dans l'Ancien Temps, la famille royale du Royaume-Uni était la meilleure dans ce domaine-là. Chaque annonce de mariage, de naissance ou autre bonne nouvelle était méticuleusement communiquée à une date précise dans le but de redonner espoir au peuple anglais. Rien n'était laissé au hasard. Il s'agissait là de divertissement pour ne pas qu'ils constatent que le pays n'avait pas bonne mine ou pour apaiser les tensions. Comme les membres de cette famille, Cassiopée devait se soumettre à des règles strictes d'une stratégie de communication faite pour offrir une distraction à son peuple quand nécessaire.
Ce n'était certes pas la mort qui l'attendait mais la peur pulsait tout de même dans ses veines, battant son corps à tout rompre. Il n'y avait plus que ce bruit qui résonnait dans la pièce : le rythme frénétique et obsédant de l'angoisse contre sa tempe. Mais pourquoi était-elle aussi effrayée ? Elle qui se jouait de la peur des autres était à son tour apeurée, à l'exception qu'il ne s'agissait pas d'une illusion.
La brune souffla pour expirer son stress mais rien n'y faisait : la sensation désagréable ne quittait pas son corps. Elle aurait tout donné pour qu'il soit là, à ses côtés, pour la rassurer et la réconforter. Son sourire chaleureux et ses mots doux lui manquaient terriblement. Il lui manquait terriblement. Cinq années ne suffisaient pas à combler le vide qu'avait laissé son frère jumeau ce soir de septembre 2029.
Cela n'avait pas été la perte la plus conséquente mais ce fut la plus tragique à ses yeux. Parce qu'elle était née en même temps que lui, qu'ils avaient passé une partie de leur enfance ensemble et que malgré la distance et la mémoire effacée, ils s'étaient retrouvés en tant que jumeaux. Ils avaient leur particularité, celle d'être la moitié d'un wagen pour l'autre, et sa mort l'avait dévastée.
Ce jour-là, une petite partie d'elle était morte en même tant que Taylor. Ce jour-là, Cassiopée aurait dû regretter uniquement la disparition de son frère mais une autre perte avait eu lieu, la marquant surtout parce qu'elle ne s'y attendait pas le moins du monde. Cela s'était produit très tard, ce même soir après la Bataille de la Renaissance.
Cette nuit-là presque personne n'avait réussi à trouver le sommeil. L'odeur des morts flottait encore dans l'air rappelant les évènements de la journée. Pour s'occuper, Alex conversait avec Valentin tandis que Selena et Robert accusaient le coup des récents évènements. Les deux avaient été absents de la Bataille pour deux raisons quasiment similaires. Son amie était restée inconsciente tout le long, suite à ses longues téléportations alors que Robert avait trébuché sur un caillou lors de l'évasion de leur prison transparente et s'était évanoui. Heureusement que Gianni avait été là pour les surveiller.
Pendant que chacun vaquait à ses occupations, Cassiopée était sortie de l'immense hangar de fortune, crée des mains de nilées. Dans la pénombre, elle n'avait eu aucun mal à trouver son chemin jusqu'à la fosse où reposaient tous les corps alignés les uns à côté des autres. Il y en avait beaucoup trop, et c'était regrettable. Le pire était que la brunette avait reconnu certains visages d'étudiants et de professeurs. Quelle sensation étrange cela avait été que de voir ces individus dénués de vie...
Parmi la foule de gens, deux corps avaient semblé s'illuminer dans la pénombre. Les cadavres de son frère et de sa mère furent facilement identifiables permettant ainsi à la jeune fille de s'asseoir devant eux. Ils reposaient là, paisiblement, leurs peaux et vêtements encore tachés de sang et de saleté ainsi qu'une expression de douleur encore imprimée sur leur visage. Elle aurait dû être gênée et ébranlée devant un tel spectacle mais n'en fut rien. Cassiopée n'y avait vu que deux corps dont la décomposition avait déjà commencé à cause de la chaleur.
Les paroles de sa mère lui étaient revenues en tête, les douces attentions de son frère aussi, ainsi que le courageux sacrifice d'Adastrée. La révélation de Lawrence avait été un choc, surtout pour elle, tout comme son don initial : absorber les pouvoirs en ingurgitant des cœurs.
"— Le phénix renaît de ses cendres, ma fille. "
Elle avait presque cru que c'était le corps sans vie de sa mère qui venait de lui parler. Et pourtant, il était là, allongé et inerte. Cassiopée s'était concentrée sur les détails de sa mère : sa chevelure noire et bouclée dont elle avait héritée, tout comme sa peau métisse. Était-ce donc cela l'héritage de sa mère : une texture de cheveux, une couleur de peau et une île ? Une idée saugrenue avait alors émergé dans sa tête. Et si...
Cassiopée s'était frayée un chemin à quatre pattes jusqu'au buste de sa mère, derrière celui de son frère. Sans vaciller, elle avait posé sa main au niveau du cœur de Warwick. Son corps froid sans vie contrastait avec l'humidité de l'air ambiante mais ce n'était pas la peau qui avait intéressé la brune, mais plutôt l'organe qui s'y trouvait en dessous. Était-il possible que...
— Cassie ?
En relevant la tête, dans la nuit noire, l'interpellée avait eu du mal à identifier la personne.
— Qu'est-ce que tu fais ?
C'était de toute évidence une femme. Il avait fallu qu'elle s'approche pour que Cassiopée y découvre le visage de son amie Selena. Ses cheveux courts étaient aussi noirs que le regard qu'elle posait sur l'illusionniste. Et il y avait de quoi. Selena s'était réveillée en découvrant que son petit-ami n'était plus, d'autant plus qu'elle n'avait pas pu lui dire au revoir, et qu'elle n'avait rien su faire.
Déjà traumatisée par la journée, Cassiopée n'avait pas eu le courage de lui annoncer la nouvelle. Elle ne lui avait même pas adressé la parole depuis qu'elle avait repris conscience. Tout simplement, parce que la jumelle ne voulait pas l'affronter, elle ne voulait pas voir son visage et ce qu'il pouvait transmettre. Culpabilisant déjà sur sa responsabilité vis-à-vis de la perte de son jumeau, elle n'avait pas osé faire face à son ancienne colocataire. Oui, elle n'avait pas été une bonne amie cette fois-ci et elle s'en était voulu quelque peu :
— Sel... Désolée pour-
— Ne t'en fais pas, on partage...la même douleur, la rassura Selena.
Cette dernière s'était figée devant le cadavre blême de son petit ami. Bien qu'immobile, Cassiopée avait pu voir l'agitation derrière les yeux de la jeune fille, comme si elle avait été capable de lire en elle. L'illusionniste s'était bien doutée que l'esprit de son amie ressassait les évènements, se posait des centaines de questions à base de « et si... ».
Et si Selena ne les avait pas téléporté ? Et si elle ne s'était pas évanouie ? Taylor aurait-il encore été vivant ? Cassiopée était certaine que ce genre de questions affluait dans son esprit, tout simplement parce qu'elle-même se les été posées sans cesse. Et si elle avait tué la Cible, assassin de son frère, cette nuit à Haile ? Et si elle avait protégé son frère du monstre qu'était Warwick ? Alors peut-être qu'il aurait encore été parmi eux...
— Je suis désolée, Cassiopée mais je ne peux pas.
Les larmes au bord des yeux, Selena avait fixé tristement son amie. Peu certaine de ce qu'elle venait de dire, Cassiopée s'était levée mais son ancienne colocataire avait secoué frénétiquement la tête, refusant la vision qui se tenait devant elle.
— Sel...
— Non, désolée. J'essaye mais je n'y arrive pas. J'ai tout raté, j'ai échoué. Pour la première fois de ma vie, j'ai échoué et voici les conséquences.
Cassiopée savait que Selena portait souvent beaucoup de responsabilités, et peut-être qu'une fois de plus, celle-ci avait considéré que la mort de Taylor avait été entièrement sa faute. Alors, la jumelle avait tenté de la rassurer :
— Mais non-
— Cassie, s'il-te-plait.
La voix de Selena s'était brisée.
— Je ne peux pas rester ici, on est condamné à rester sur cette île. Le problème c'est que tout me fait penser à lui, à mon impuissance.
— Ça ne fait que quelques heures qu'il est mort. Cela va prendre du temps, mais tu vas surmonter ça, je le sais.
Cassiopée n'avait même plus de mal à parler de l'état de son frère. C'était un fait maintenant : il était mort et il fallait passer à autre chose.
— Mais tu ne peux pas comprendre . Je ne peux pas, insista Selena.
Au contraire, la jeune fille avait pu parfaitement comprendre, pour la simple et bonne raison qu'elle venait de perdre son frère jumeau, sa moitié. Pourtant, face à cette épreuve, Cassiopée essayait de se relever, en restant soudée à ses amis, contrairement à Selena.
— Il faut que je m'en aille, poursuivit Selena. Que je me change les idées, que je fasse le point sur...tout ça.
— Et tu veux aller où ? sourit Cassiopée. Ici comme les autres morceaux de terre ayant survécu, cela te rappellera toujours la tragédie qui s'est déroulée.
— J'irai partout sauf ici. Mais je te promets de revenir, quand j'irai mieux, quand j'aurai fait mon deuil.
— Tu peux le faire ici aussi, avait fait remarquer Cassiopée.
Son interlocutrice avait paru choquée par ses propos.
— Tu devrais me comprendre, Cassie. Ton frère est...
La fin de sa phrase s'était perdue dans les airs, faisant peser un lourd silence.
— Il faut que je m'en aille. Je dois prendre de la distance.
— Mais tu n'as nulle part où aller sur Terre, objecta Cassiopée.
— Qui a parlé de la Terre ?
Le temps que Cassiopée percute sa question, Selena avait lâché d'une voix tremblante :
— Au revoir, Cassiopée.
La seconde d'après, la jeune fille s'était retrouvée à nouveau seule parmi les centaines de morts.
L'illusionniste avait d'abord cru à une blague de son amie tellement la tournure des évènements avait été inattendue. Cela s'était déroulé de façon si impromptu que pendant plusieurs heures, la brunette était persuadée qu'elle avait rêvé. Mais au fil des jours, Selena n'était jamais réapparue et Cassiopée avait accepté l'idée que sa fidèle colocataire était partie presque aussi vite que son frère.
Repenser à cette fameuse nuit, il y a un peu plus de cinq ans lui avait permis d'évacuer légèrement le stress qu'elle ressentait actuellement. Tandis qu'elle soufflait à nouveau, quelqu'un frappa à la porte :
— Tu es prête ?
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