Chapitre 3 : Le poids des responsabilités
– Mademoiselle Reeds ?
– Oui ?
Je me lève du siège sur lequel je venais juste de m'asseoir, n'ayant pas stoppé de faire les cent pas depuis maintenant trop longtemps.
Mon cœur n'a pas cessé sa course effrénée depuis que j'ai vu son corps frêle couché sur le sol de la salle de bain.
La femme à la longue blouse blanche s'approche de moi. Nous nous éloignons sensiblement des autres personnes qui attendent, gardant un semblant d'intimité.
– Votre sœur a été admise dans une chambre en service d'oncologie. Nous avons repris rapidement son dossier et avons fait les tests adéquats par rapport à sa leucémie. Je suis désolée, mais elle est revenue. Son taux de lymphocytes...
Les mots du docteur ne me parviennent plus. Elle est là. Elle ne dort plus. Mon cerveau ne parvient plus à attendre la réalité.
Mes jambes faiblissent, et sans me prévenir, ne me tiennent plus. Je tombe au sol, pleurant toutes les larmes de mon corps. Mon corps ne me soutient plus. Je me recroqueville sur moi-même, encerclant mes bras autour de mes jambes, et enfouissant ma tête au milieu. Son corps est secoué de spasmes, mes sanglots résonnent contre les murs de l'hôpital.
Ma pauvre Joyce est de nouveau confrontée à cette foutue maladie. Je n'ose imaginer ce qu'elle doit ressentir, ou même dans lequel elle doit être.
– Comment... Comment va-t-elle ? murmuré-je lorsque mes larmes se tarissent.
La femme est assise à mes côtés, caresse tendrement mon épaule pour me soutenir.
– Elle va plutôt bien, étonnamment. Nous lui avons mis un traitement adjuvant en faible dose avant de faire les séances de chimiothérapies.
– Chimiothérapie ?
– Oui, mademoiselle Reeds. J'ai lu dans le dossier que vous n'aviez pas de couverture maladie. Je sais que cela risque de faire beaucoup à payer. Nous pouvons accorder des délais de paiement, si cela peut vous aider.
Comme au début, la chimiothérapie va nous couter un bras. J'ai encore le premier prêt que j'avais dû faire, et la banque avait été claire. Elle ne nous donnera plus de nouveau crédit tant que celui-là ne sera pas comblé.
Je n'ai plus de boulot.
Mais Joyce a besoin de cette chimio.
Il faut que je trouve une solution rapidement, je n'ai pas le choix.
Le poids de mes responsabilités et de mes inquiétudes pèse de plus en plus fortement sur mes épaules.
– Merci... Quel est le numéro de sa chambre ?
– La 306, c'est au 3e étage du bâtiment C.
Pour toute réponse, je hoche la tête, fixant les dalles abimées. Elle me regarde quelques secondes avant de s'écarter pour retourner dans le bureau des urgences. Je quitte les urgences par l'entrée et cherche du regard où est ce bâtiment C.
Joyce n'est pas dans le même service qu'il y a trois ans. Elle n'a plus l'âge d'être en service d'oncologie pédiatrique.
J'enfouis mes mains dans les poches de ma veste et marche rapidement vers l'entrée principale de l'hôpital. Cet endroit est un véritable labyrinthe.
L'une de mes mains touche un bout de papier que je sors, sans m'arrêter de marcher.
Mes yeux tombent sur un numéro de téléphone.
Son numéro. La rousse du bar.
Ses paroles viennent faire écho dans ma tête, me souvenant qu'elle voulait me proposer une opportunité pour payer mon loyer.
Étrange venant d'une parfaite inconnue, mais au point où j'en suis...
Continuant de marcher, je sors mon téléphone et compose le numéro affiché. Je m'arrête devant l'entrée, finissant ce rapide appel avant de rentrer.
Les tonalités résonnent en échos à travers le combiné, faisant doubler le rythme des battements de mon cœur par la même occasion. Je ne sais pas ce qui m'attend au bout du fil, mais bizarrement, j'y mets beaucoup d'espoir.
Ces filles n'avaient rien de méfiant. Elles semblaient tellement bien dans leurs peaux, joyeuses et épanouies. Même leur discussion était sans tabou.
Je retiens mon souffle pendant de longues secondes avant d'entendre le message vocal préenregistré du numéro de téléphone.
« Salut, c'est Ariana. Je ne suis pas disponible pour le moment, mais laissez-moi un message. Je vous rappelle dès que possible. »
Moins d'une seconde après, le bip sonore se fait entendre. C'est à mon tour de parler, mais aucun mot ne sort de ma bouche.
– Euh, salut. C'est Haylee. Je suis la nana du bar à qui tu as donné ton numéro. Tu m'as dit que tu avais quelque chose pour gagner de l'argent, alors... me voilà.
Mon message est complètement nul. Ma voix est tellement faible que je ne suis pas sûre qu'elle comprenne vraiment ce que je dis.
– Je, euh... Rappelle-moi.
Ni une, ni deux, je raccroche. Je souffle de désespoir. Je range rageusement mon téléphone devant ma nullité. Je rentre dans le bâtiment et marche rapidement pour rejoindre ma sœur, un poids énorme sur les épaules et sur le cœur.
Le numéro 306 de sa chambre est maintenant face à moi. Mon cœur tape bien trop fort. Je redoute de la voir.
C'est bizarre, non ?
Pourtant j'ai peur de la voir, de constater qu'elle n'est pas dans son état normal, de remarquer sa couleur blanche. De la voir comme avant.
C'est d'ailleurs pour ça que j'ai pris le temps de passer ce foutu appel. Je retarde le moment. J'ai terriblement peur. Je suis mortifié.
J'ai la sensation que je peux la perdre à tout moment. Cette impression me broie de l'intérieur, m'empêchant de respirer convenablement.
Je ferme les yeux, inspire profondément et toque à la porte. Un faible « entré » se fait entendre, me donnant l'envie de passer le pas de la porte pour la serrer dans mes bras.
Les murs blancs de la pièce me rappellent de mauvais souvenirs, mais je les cloisonne dans ma mémoire pour sourire à ma sœur.
Joyce est couchée dans son lit, le teint pâle, les yeux cernés et le souffle léger. Elle paraît épuisée.
– Salut, toi.
– Salut, grande sœur. Comment tu vas ?
– C'est plutôt à moi de te poser cette question, tu ne crois pas ? lui réponds-je en souriant légèrement.
– Le traitement me couche littéralement, mais c'est normal. J'irais mieux ensuite, alors je peux bien rester allongée quelque temps !
– Tu as raison. Tu me laisses une petite place ?
Je pose mon sac et ma veste sur la seule chaise présente dans la pièce. Joyce se décale et soulève la petite couverture. Je lui souris avant de m'avancer. Je m'assois et me soulève pour qu'elle puisse poser sa tête sur mon épaule. Je baisse ma tête vers la sienne, dépose un baiser sur son front et soupire enfin de bien-être.
Ses bras sont encore mieux qu'un antidépresseur pour moi.
– Dis, tu penses que ça va aller ? me murmure Joyce.
– Bien sûr ! Dans quelque temps, tu pourras rentrer à la maison, et même aller à l'école.
– Quoi ? T'es sérieuse ? T'es d'accord ?
– Oui. J'y ai bien réfléchi et je pense que tu peux aussi avoir ce que les autres adolescents ont. Et ça passe par aller à l'école.
– Merci, Haylee !
Son corps se tourne vers moi, ses bras m'entourent et sa tête plonge dans le creux de mon cou. Je sens son sourire contre ma peau, faisant briller le mien en réponse.
– Mais je ne voulais pas parler de ça, au début... ajoute-t-elle en reprenant sa place initiale.
– De quoi, dans ce cas ?
– D'argent.
– Ne t'occupe pas de ça, mais uniquement de toi. Je vais trouver une solution.
– Écoute, je ne suis plus la petite fille de la première chimio. Je sais que c'est cher et qu'on n'a clairement pas les moyens.
– Joyce...
– Une fois que j'irais mieux, je veux prendre un petit job. Je veux t'aider.
– Je ne suis pas d'accord.
– Je ne te demande pas ton avis. Je veux battre cette foutue maladie et ça passe par payer les frais. Je ne veux pas seulement guérir, je veux qu'on puisse dire adieu à tout ça rapidement.
Je ne trouve pas les mots. Je ne voulais pas qu'elle s'épuise avec un travail, c'est pour cela que je refusais à chaque reprise. Or, là, c'est symbolique.
– D'accord. Tu pourras avoir un petit travail. Mais seulement quand on sera sur que tu seras assez en forme pour le faire, ok ?
– Ok ! Merci.
C'est vrai qu'un peu d'argent ne nous fera pas de mal. En attendant, il faut tout de même que je trouve un vrai travail. La chimio peut durer de longues semaines. Par la même occasion, cela va allonger la facture. Même avec un délai accorder par l'hôpital, cela ne fera pas tomber l'argent du ciel.
Je ferme les yeux fortement, serrant Joyce dans mes bras. À deux, nous nous en sortirons. Toujours.
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