Nouvelle n°1
Le guetteur nocturne
C'est dans un écrin de verdure enneigé que gît un Béhémoth pourrissant. Habité par la gangrène qui le ronge, ce dernier laisse se déverser de ses plaies béantes la putréfaction de son être tout entier. Le mal dont souffrait le jadis vénérable Arbre Mère, qui sommeille désormais au milieu des ruines d'une forêt morte ; n'était autre que la maladie qui désagrège toute chose en ce monde, le temps.
Silencieuse, aimable solitude, parcourir vos rares ombrages ignorés n'est plus en notre possibilité. Dans les sombres détours, en rêvant égaré, éprouvant un sentiment libre d'inquiétude ! Des arbres disparus, des gazons infestés, une douce tristesse, et cette onde qu'on entend murmurer avec mollesse dans le fond des bois sombres, semblent encore appeler à l'aide. Forêts, dans vos abris, gardez les vœux qui furent offerts à l'Arbre Mère. À quel amant jamais serez-vous aussi chères ? Depuis que vous n'êtes plus, déchues de votre superbe, lors d'une folie passagère du temps lui-même.
Là, sort d'un trou creusé dans le bois mort le plus fabuleux des volatiles. Fantasque animal, noble et sacré, dont la perfection est telle qu'il semble n'en exister dans d'autres contrées. On n'entrevoit pour l'instant que la tête, au plumage argenté. Puis vient le cou, s'apparentant à un serpent, couvert d'écaille immaculées dans lesquelles miroitent des prêles lactées déposées en nuées. Celles-là mêmes, éparpillées sur le drap d'encre voilé qu'il semble chercher de son regard bleuté sur la voûte étoilée. Et lorsqu'il s'est bien assuré qu'elles y étaient, il déploie ses ailes de nacre et prend son envol ; son cri, déchirante plainte mélodieuse qu'on entend encore en un lointain écho, réminiscence du passé se mêlant aux vastes tableaux mortuaires qui plait au cœur de chagrins agité. On a pour coutume d'affirmer que ses yeux sont des larmes d'océan, un bien beau présent offert par le Grand Gardien des Nuées, pour on ne sait qu'elle raison. Sans doute lui fallait-il un guetteur de plus pour veiller sur la lune. D'ailleurs, elle vient...
L'astre d'ivoire, perçant des nuages épars, laisse dormir en paix ses longs et doux regards, et paraît alors au-dessus des cimes. Le rayon qui blanchit ses vastes espaces de doigts noircis, en glissant à travers les pans flottants du lierre défleurie ; dessines-en son sein, un lumineux sentier. On dirait le tombeau d'un peuple tout entier où la mémoire, errant après des jours sans nombre, que dans la nuit du passé viendrait chercher une ombre. Cet astre de la nuit, ce globe que l'on suppose un monde fini et dépeuplé, promène ses pâles solitudes au-dessus des solitudes tombes ; il éclaire des rues sans habitants, des maisons sans vie. Au loin, sur son éperon rocheux barré, dominant de sa silhouette l'ensemble de la vallée, les ruines gisantes du vieux Chêne décrépit, rongé par les affres du temps. Et duquel, s'élève le majestueux volatile.
De l'arbre, sortent des bruits et des voix mélancoliques. L'âme attendrie en ses rêves se perd et, s'égarant de pensée en pensée, comme les flots de murmure en murmure, elle se mêle à toute la nature qui n'est plus. Malheur au coin de la terre où germe la semence, où tombe la sueur de deux bras décharnés ! Seigneur, je reconnais bien là le délire, s'il ose murmurer ; Je cesse d'accuser, je cesse de maudire, mais par pitié, laissez-moi pleurer !
[Fin]
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