Un pâle soleil au zénith filtrait ses rayons à travers les nuages au-dessus de l'interminable forêt compacte. Au milieu des arbres à la cime haute, sur l'étroite route sinueuse qui serpentait entre les troncs, deux voyageurs marchaient côte à côte avec prudence, trainant derrière eux la bride d'un unique cheval. Un peu plus loin, sur une bute au-dessus de l'immensité verdoyante, finissait de se consumer les restes d'un immense amas de bois. Sans doute une maison isolée ou une auberge vu son emplacement reclus. Elle avait dû brûler pendant plusieurs jours sans personne pour l'éteindre, laissant derrière elle un tas de cendres blanches graveleuses et un squelette en bois carbonisé. Après que les corbeaux aient rodé autours de cette tombe sans satisfaction vinrent leurs homologues humains de tantôt contempler les ruines inexploitables. La mine piteuse et le regard las, les deux badauds tournèrent autour de la place, et engagèrent une conversation en syllabes détachées, les yeux rivés sur le sol :

« – Dommage. Si seulement on était venu plus tôt, ...

–Ni le feu ni le temps ne nous est indulgent hélas ces derniers mois. On peut toujours fouiller les décombres.

–Tu crois qu'il y avait quoi là ? Une auberge ? La cabane d'un ermite ?

–Aucune idée. En tout cas il y a eu un terrible incendie. Regarde. Ils n'ont même pas pu s'échapper.

 L'un des deux poussa du pied une planche et montra la main calcinée d'un cadavre qui avait émergée. L'autre détourna le regard avec une moue de dégoût et de détresse.

–Bon Dieu! Une bagarre qui a mal tourné, tu crois?

–Je ne sais pas. Je n'aime pas ça. Il y a rien ici visiblement. Allons-nous en.

A cet instant, cinq doigts noirs et squelettiques surgirent de terre près d'eux et leur arrachèrent un cri de peur. Ils furent suivis d'un bras puis d'une épaule et enfin d'un buste tout en cendre dont les lambeaux de peau détachés brûlaient encore. Cette créature mouvante et donc vivante était doté de deux yeux à la paupière inexistante paraissaient énormes et globuleux. Dans une contorsion inhumaine, elle s'extirpa d'en dessous les décombres et se mit debout. Le râle qui sortit de la gorge du monstre enseveli, sans doute pour aspirer de l'air dans poumons asphyxiés, fit hurler les deux hommes qui reculèrent d'effroi. Elle en profita pour s'avancer vers eux, et se dirigea vers le cheval immobile qu'elle monta de force alors que celui-ci se débattait et partit au galop avec elle tant bien que mal accroupie sur la selle. Dans sa cavale, quelques injures fusèrent, quelques pierres la frôlèrent aussi, mais ignorant tout, elle écarta ses bras, leva la tête au ciel et poussa un grand râle prolongé qui devait être un rire. Un rire qui venait du profond de son cœur. Un rire de soulagement. 

Elle avait survécu.