Chapitre 9 : Superman's dead
Je m'appuie contre la façade de l'école de musique sans oser y entrer. J'étais si excitée à l'idée d'avoir mon premier cours de chant que j'ai un gros quart d'heure d'avance. Excitée et, il faut bien l'avouer, un peu anxieuse aussi. Chantonner pour moi-même (ou brailler sous la douche) ce n'est tout de même pas pareil que chanter face à quelqu'un dont c'est le métier.
Je caresse la surface rugueuse de la pierre avec la paume de ma main pour essayer de calmer les battements de mon cœur. Je vous l'accorde, ce n'est pas la technique la plus reconnue pour lutter contre le stress, mais ça m'apaise. Un peu.
Ma main passe et repasse sur le mur, l'érafle et l'effleure. Parfois avec douceur, d'autres fois avec plus de fermeté. Et ma respiration suit le rythme hypnotique de mes doigts.
Alors que j'essaie de penser à autre chose, le visage de ma tante traverse mon esprit. Grâce à elle, je vais pouvoir prendre des cours de chant jusqu'à la fin de l'année. Comme je ne savais pas comment en parler à mon père, je l'ai appelée il y a quelques jours pour lui demander conseil. Après tout, elle le connaît depuis bien plus longtemps que moi et elle sait quels arguments employer avec lui (et j'imagine, qu'en dernier recours, elle doit avoir des "dossiers compromettants" en provenance direct de son enfance ou de son adolescence).
— Écoute ma puce, m'a-t-elle dit, c'est bientôt ton anniversaire et pour tes 18 ans, j'ai envie de te faire un beau cadeau.
— Euh... J'aurai 18 ans en septembre prochain seulement.
Ma tante n'a jamais été très douée avec les dates.
— Oui, oui, bien sûr ! Je voulais dire que c'était l'année de tes 18 ans... En tout cas, merci de me faciliter les choses : je vais te payer ces cours de chant ! Voilà ! C'est décidé !
— Mais, tu es sûre ? Que va dire papa ?
— Ton père, j'en fais mon affaire. Ne t'inquiète pas ! Je peux quand même offrir ce que je veux à ma nièce préférée !
— Euh... Je suis ta seule nièce.
— Ah oui, c'est vrai.
Je ne sais pas ce qu'elle a raconté à mon père mais cela a porté ses fruits.
Et me voilà devant l'école de musique, tremblante de peur, mais en même temps très impatiente (paradoxe quand tu nous tiens !).
« An ordinary girl an ordinary waist
but ordinary's just not good enough today »
Il avait une voix toute douce au téléphone, mon prof. Il m'a juste indiqué l'horaire et m'a demandé de préparer une chanson pour notre premier cours. Autant vous dire que ça a été un véritable enfer de choisir et j'ai dû changer d'avis au moins un million de fois. J'ai fini par opter pour une chanson de Our Lady Peace.
Je crois bien que plus personne ne se souvient de ce groupe... Mais comme c'est un des favoris de Marilou, j'ai eu envie de lui rendre cet hommage discret (après tout, sans elle, je ne serais pas là aujourd'hui).
— Salut Clara !
Je lève les yeux sur un Théo tout sourire, la guitare calée sur le dos.
— Salut ! Tu sors de ton cours ?
Waouh ! Je suis super douée pour « enfoncer les portes ouvertes » ! Ce ne serait que justice qu'il me réponde : « Non, non, je suis juste sorti promener ma guitare et lui faire faire ses besoins ! ». Mais Théo se contente d'acquiescer. Ce n'est pas du tout le genre de type qui vous balance des remarques sarcastiques toutes les deux secondes.
C'est vraiment un mec sympa.
— Oui. Et toi ? Tu es là pour le cours de chant ?
— Oui, c'est mon premier cours...
— T'inquiète, ça va bien se passer !
Bon. On peut donc lire mon angoisse sur ma figure. Je déglutis avec peine et hoche la tête, tout en gardant les mains derrière le dos pour qu'il ne remarque pas qu'elles tremblent.
— Au fait, Clara, je voulais te demander un truc...
Il rougit un peu et ne semble plus savoir comment terminer cette phrase. Il se racle la gorge et... ne dit toujours rien !
— Oui ? Quoi ?
— Eh bien... Ta copine Lily, elle sort avec quelqu'un ?
Et voilà ! J'aurais dû le deviner. Si on m'avait donné un euro à chaque fois qu'un mec est venu me voir pour me demander ça, je pourrais financer toute seule mes leçons de chant !
— Oui, elle sort avec Pierre. Je ne sais pas si tu te souviens de lui ? Il était avec nous au lycée, il y a deux ans. C'était le demi de mêlée de l'équipe junior. Maintenant il est à la fac. En STAPS.
Mais pourquoi je lui donne autant d'informations ? Peut-être pour lui laisser le temps d'accuser le coup et de digérer la nouvelle. Théo a blêmi et cherche (en vain) à ne pas laisser paraître sa déception.
— Ah oui... je vois qui c'est. C'est cool !
Il ricane mais ça sonne faux.
— Bon Clara, il faut que j'y aille. Bon courage pour ton premier cours !
— Merci.
Il s'en va les épaules basses et je ne peux m'empêcher d'éprouver de la peine pour lui (Le virus Lily a encore frappé ! Messieurs, il va falloir songer à vous faire vacciner si vous ne voulez pas finir le cœur en miettes).
« Do you worry that you're not liked
how long till you break
you're happy cause you smile
but how much can you fake
An ordinary boy an ordinary name »
J'entre dans une toute petite salle et remarque un clavier contre le mur du fond. Mon prof m'accueille avec un grand sourire. Je l'avais imaginé beaucoup plus vieux ! Il n'a pas l'air d'avoir plus de trente ans.
— Bonjour ! Clara, c'est bien ça ? Moi c'est Alex. Alors, explique-moi un peu ce que tu attends de ces cours.
Je ne m'étais pas trompée. Il a une voix apaisante. Et je vois bien qu'il fait tout son possible pour me mettre à l'aise. Malgré tout, mon stress a entamé un pogo dans mon ventre.
Un vrai pogo digne des concerts de Nirvana. Enfin... d'après les vidéos que j'ai matées sur Youtube, vu que ça fait un moment que le chanteur est mort (S'il vous plaît, est-ce que quelqu'un peut faire taire mon monologue intérieur histoire que je me concentre sur ce que dit mon prof ?).
Je me mords les lèvres et enfonce les mains dans les poches pour les calmer.
Pourtant, il y a quelque chose qui émane d'Alex. Un truc qui vous rassure. Un truc qui vous apaise et vous donne envie de vous confier. Je finis donc par lui débiter d'une seule traite que la musique est toute ma vie et que je ne peux pas passer une heure sans en écouter. Je lui dis que personne ne m'a jamais appris à chanter et que j'aimerais juste m'améliorer.
Et aussi me faire plaisir.
Et aussi laisser s'exprimer ce qui frémit et résonne dans toute mon âme.
Non... ça je ne lui ai pas dit. Pas à voix haute en tout cas. Mais, j'ai la sensation étrange qu'il l'a perçu entre mes mots. Dans mes silences.
— Tu es la première ado qui ne me demande pas de la préparer à The Voice ! s'exclame-t-il, en riant.
— The Voice ? Non, je ne me vois pas du tout chanter à la télé !
D'ailleurs, rien que d'y penser j'en frissonne d'horreur. Moi, devant des milliers de téléspectateurs ? L'angoisse ultime !
— Et qu'aimerais-tu chanter ?
Je lui parle de Radiohead, Coldplay, Keane, Muse, No Doubt, Pearl Jam... Et je vois son étonnement qui augmente au fur et à mesure. Il a la même expression que le coyote dans les cartoons de mon enfance.
— Désolé ! On me dit souvent que je n'ai pas les goûts musicaux de mon âge, dis-je tout embarrassée.
— Non, non, ne t'excuse pas ! Je suis ravi au contraire, ça change de Sia ! Bon. Et si tu me chantais la chanson que tu as choisie ?
Je m'exécute, un peu fébrile, tandis qu'il m'écoute avec attention.
— Bien, dit-il une fois que je me suis tue. Tout d'abord, je trouve que tu as un joli timbre. Mais il va surtout falloir qu'on bosse la respiration. J'ai l'impression que tu as chanté en apnée. Il faut respirer si tu veux tenir les notes !
Je ris avec lui et je suis déjà beaucoup plus détendue. Il a réussi à me mettre à l'aise en quelques minutes seulement. Alex poursuit son cours en me montrant des exercices pour travailler mon souffle.
J'expire dans une paille et fais des bulles dans un verre d'eau.
Et l'heure file sur la pointe des pieds, sans que je ne m'en rende compte. Elle s'éclipse en un battement de cils. Entre deux éclats de rire.
Un peu plus tard, après avoir poussé la porte d'entrée de ma maison, je cours presque jusqu'à mon portable encore branché à son chargeur (j'étais si stressée que je l'avais oublié). Euphorique, je n'ai qu'une seule envie : appeler Marilou pour lui faire le compte-rendu détaillé de ce premier cours. Malheureusement, mon père m'attend et sa mâchoire crispée ne me dit rien qui vaille. Ni ses sourcils froncés.
Quand j'étais petite, je pensais que mon père était un super-héros. Si vous mettiez la main sur des photos de cette époque, vous verriez que je le regarde toujours avec des étoiles dans les yeux. Mais grandir c'est aussi faire tomber ses parents de leur piédestal. Et cela fait bien longtemps que la cape de mon père est enfouie au fond du placard.
— Clara, il faut qu'on parle !
« I'm thinking
why is Superman dead »
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