Ce matin, retour en classe.

J'ai autant envie d'y aller que d'être séquestrée par Ramsay Bolton. (vous savez, le psychopathe à tendances sadiques dans Game of Thrones ?)

C'était facile de prétendre que je me remettais de toute cette histoire à l'abri dans ma chambre (ou à mater des films chez Théo, peinarde). Mais en vérité, je me demande comment je vais réagir en me retrouvant face à Lily.

Et, elle, que va-t-elle faire ?

Et si elle faisait comme si rien ne s'était passé...

Et si elle faisait comme si je n'existais pas...

Je ne sais pas ce qui serait le pire.

Même si je ne suis pas prête à lui pardonner. Pas encore. Je ne souhaite pas non plus qu'elle m'ignore.

Je désire pas devenir transparente pour celle qui me connaît mieux que tous les autres.

Mon amie. Ma sœur de cœur.

De nouveau, les larmes menacent de me submerger. Comme j'ai l'estomac beaucoup trop noué pour avaler quoi que ce soit, je décide de filer directement au lycée. Les écouteurs dans les oreilles, je me fabrique une carapace musicale. Une petite bulle impénétrable qui me donne le courage nécessaire pour affronter cette rentrée.

« The show must go on ! »

Je traverse la cour en fixant encore plus le sol que d'habitude (Si seulement je pouvais devenir transparente pour de bon ! Ou avoir les mêmes capacités qu'un caméléon... Oui, un caméléon, c'est bien ça, non ?). Je prends la direction de la salle d'histoire-géo, tout en écoutant ma musique assez fort pour me couper du monde.

Je m'appuie au mur en attendant que sonne le début des cours et j'observe d'un air faussement détaché mes camarades de classe. Ils arrivent par petits groupes, sans se presser. Ils rient et chahutent, tout à leur plaisir de se retrouver et de se raconter leurs vacances. Léa arbore avec fierté ses marques de bronzage façon "masque de ski" (ridicule) tout en parlant bien fort à Ninon, qui pourtant n'est pas sourde (le but de sa manœuvre étant que tout le lycée entende les détails de sa romance avec son moniteur de snowboard).

Mais soudain, je les vois.

Et le monde se fêle de nouveau.

Mon sourire se fane et c'est comme si la nuit chassait le jour naissant.

L'obscurité reprend ses droits sur mon esprit vacillant. Et l'aube blême se retire sur la pointe des pieds.

Un peu à l'écart des autres, Lily et Oreste s'embrassent à en perdre haleine. Oreste s'enivre au souffle de Lily. Ses mains se perdent dans sa chevelure lumineuse. Ses mains s'agrippent à elle comme un drogué s'accroche à sa dose.

Mon estomac se tord avec violence et proteste contre ce spectacle que je lui impose. Je m'étais préparée à ça, pourtant... Mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir un peu de bile au fond de la gorge.

« Inside my heart is breaking

My make-up may be flaking

But my smile still stays on »

Le professeur d'histoire arrive tout sourire et nous fait entrer dans la salle. Contrairement à d'habitude, je me mets au premier rang pour éviter d'avoir Lily sous les yeux pendant toute l'heure (elle est plutôt au fond de la classe en général). Le prof me lance un regard surpris, même s'il a l'air ravi. (Oh non ! Il va penser que j'ai pris de « bonnes résolutions » et que j'ai suivi ses conseils pour la prépa !)

L'heure se déroule sans heurt. Je suis le cours avec attention, pour ne plus penser à Oreste et Lily (et j'y arrive presque). Il y a juste ce moment assez embarrassant où le prof me pose une question facile (Il est naïf ! Il croit que, parce que je me suis assise devant, je vais me mettre à participer en classe). Bien sûr, je fais exprès de répondre « à côté » pour qu'il me laisse tranquille.

En fait, aujourd'hui, j'ai envie qu'on m'oublie. Je vais essayer de survivre à cette journée (Lancement de l'opération « je rase les murs »).

« On and on, does anybody know what we are looking for »

Finalement cette matinée passe plutôt vite. J'arrive à éviter tout contact visuel avec Lily et à me concentrer sur mes cours (à peu près en tout cas). Pour la récréation de dix heures, j'ai réussi à me fondre dans le décor et, en plus de ma barrière musicale habituelle, je me suis posée dans un coin pour lire le nouveau bouquin qu'on étudie en cours de lettres. (Bon, personne n'est censé savoir que j'ai déjà fini Les liaisons dangereuses)

Tandis que le prof de philo finit son cours sur la passion amoureuse, je regarde avec anxiété la pendule qui indique midi moins trois. Avec qui vais-je manger ? Rien que l'idée d'être seule au self face à mon plateau me donne des bouffées d'angoisse. Quand ça sonne, je ramasse mes affaires, tout en envisageant de sauter le déjeuner.

— Hé ! Clara !

Théo m'attend à la sortie du cours, appuyé contre le mur du couloir.

Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de le voir !

— Je pensais qu'on pouvait manger ensemble, si ça te dit, me glisse-t-il en me faisant la bise.

— Avec plaisir !

Je lui offre mon plus beau sourire et descends les escaliers avec lui, tandis qu'il me reproche :

— Mais t'étais où à la récré ? Je ne t'ai trouvée nulle part ! Heureusement, le prof de math nous a laissés sortir un peu en avance, comme ça, j'ai pu t'attendre devant ta salle pour éviter que tu disparaisses encore !

— Désolée ! J'avais oublié de finir mon devoir de philo, alors je l'ai bâclé en vitesse dans un coin de la cour.

Oui, je sais... Ce n'est pas beau de mentir (surtout à un garçon aussi gentil que Théo). Je n'allais tout de même pas lui avouer que je me cachais pour ne pas tomber sur Lily et Oreste en pleine démonstration affective. Ceci dit, c'est sans doute le seul qui aurait compris. Et je mettrais ma main à couper que sa présence devant ma salle de philo n'est pas due à la seule envie de manger avec moi. C'est bien son genre de venir vérifier que je ne suis pas de nouveau au fond du gouffre.

« On and on, does anybody know what we are living for? »

Il est comme ça, Théo. Souvent maladroit, c'est sûr. Mais c'est un mec qui fait attention aux autres.

Il se soucie de ses amis. Vraiment.

Notre amitié est d'ailleurs l'unique bonne chose qui est ressortie de toute cette histoire. On s'entendait déjà plutôt bien avant, après tout on avait les mêmes goûts musicaux, mais tout ça nous a réellement rapprochés. Notre complicité est venue assez vite et on a passé le reste des vacances chez l'un ou chez l'autre.

Et j'ai souri de nouveau.

J'ai souri entre les éclats de rire de Théo et ses accords de guitare.

Comme toujours, le self est aussi bruyant qu'une gare à l'heure de pointe. Alors que je triture mes haricots verts sans vraiment avoir l'intention de les avaler, Théo me tire de ma rêverie :

— Tu viens chez moi après les cours ? Il y a le dernier épisode de Game of Thrones qui est sorti cette nuit.

— J'aimerais bien mais Alex a décalé notre cours, parce qu'il n'est pas dispo mercredi.

— Ah ! C'est dommage ! Tant pis...

— Je te préviens, lui dis-je menaçante, interdiction de me spoiler !

— Ah ça... je ne sais pas si je vais y arriver !

— Méfie-toi !

Il mime une expression démoniaque en se frottant les mains et je ris de bon cœur pour la première fois de la journée.

« My soul is painted like the wings of butterflies

Fairy tales of yesterday will grow but never die »

— Puisqu'on parle de musique, reprend-il en suivant son idée.

— Non, on parlait de GOT.

— Oh ! Tu vois bien ce que je veux dire... Alex ! Ton cours de chant !

— Oui ?

— Eh bien...

Il se racle la gorge, hésitant, et je sens qu'il s'apprête à me lâcher une bombe.

— Je pensais... Vu qu'on passe des heures à jouer ensemble, je me suis dit qu'on pourrait monter un duo et faire sur scène quelques-unes des covers qu'on a répétées. Ne refuse pas tout de suite, ajoute-t-il avec précipitation. D'abord, t'y réfléchis et on en reparle...

Il est fou ! Jamais de la vie !

Alors pourquoi cette folie me donne-t-elle des frissons d'excitation ?

L'envie de partager notre musique s'insinue en moi. Et c'est comme un grand souffle de joie. Un bonheur inattendu.

« The show must go on »