Vous n'avez jamais l'impression que votre vie se déroule avec une bande musicale en fond sonore, comme dans un film ou une série ?

Moi, si.

J'ai toujours une musique dans la tête. Une petite chanson qui s'accorde à mes états d'âme.

Bon d'accord, parfois je triche aussi. Je mets mes oreillettes, lance une de mes playlists préférées et laisse les notes habiller le monde qui m'entoure. Je sais que la plupart de mes camarades de classe préfèrent les casques mais moi je reste fidèle à mes écouteurs. Ils sont discrets, comme moi. Ils tiennent dans le creux de mes oreilles, comme s'ils voulaient me murmurer des secrets. Et si je positionne mes cheveux juste au-dessus (ni vu ni connu j' t'embrouille) je peux écouter ma musique tranquillement sans que personne ne s'en rende compte... Un jour, ma mère a monologué vingt-deux minutes comme ça (oui, j'ai chronométré) me laissant flotter quelque part dans ma tête sur les notes d'une chanson de Keane. Elle avait commencé à s'interroger sur le menu du repas de Noël (je précise que la scène se déroulait en août) et j'avais monté le volume sans qu'elle s'en rende compte, tout en lâchant des « hum hum » réguliers pour lui faire croire que je suivais ce qu'elle disait.

C'est pour cette raison que j'ai toujours mes écouteurs dans mon sac et que je porte très souvent mes cheveux détachés. Il faut bien que ma « chevelure » serve à quelque chose ! Mes cheveux sont assez inutiles en fait. Ils sont fins (très fins) et tombent sur mes épaules d'une façon très ordinaire, collant à mon crâne et à mes joues. D'après mon amie d'enfance, Lily, ils sont « plats » et je devrais songer à aller chez le coiffeur pour obtenir un peu plus de « volume ». Lily a toujours une idée sur comment je devrais faire les choses. En réalité, elle a toujours une idée sur la façon dont tout le monde devrait faire les choses. Et le plus fou c'est que, la plupart du temps, les gens l'écoutent et boivent ses paroles comme si elle était le Messie. Enfin... un Messie dont la Bible serait les chaînes des Youtubeuses beauté !

Mais revenons-en à mes cheveux...

Parfois je me dis que ce ne serait pas si grave qu'ils soient aussi fins et raides s'ils avaient une couleur éblouissante. Un blond qui brille au soleil, un roux incandescent ou un noir corbeau... Mais non ! Dame Nature a décidé de me rendre quelconque et elle a fait les choses à fond. Mes cheveux sont donc marronâtres (« châtains » selon ma carte d'identité) et s'accordent à la perfection avec mes yeux qui ont une couleur à peu près aussi fascinante.

« I walked across an empty land

I knew the pathway like the back of my hand »

Ce chemin désert dans ma tête c'est celui que j'emprunte, accompagnée des notes de musique, quand je veux être seule.

Quand je me sens seule ?

Je ferme les yeux et marche sur ce sentier féerique où personne ne peut m'atteindre.

Tout devient accord. Tout devient couleur.

Et je suis à l'abri du reste du monde, sans avoir à rendre de comptes, sans avoir à jouer de rôle. Personne ne peut m'atteindre...

— Claraaaaaaaaaa ! A table ! Viens manger !

... ou presque ! La douce voix de ma mère traverserait des murs insonorisés.

— J'arrive !

Oui, j'aurais pu prétendre ne pas l'avoir entendue, fermer les yeux, augmenter encore le son et me perdre dans la chanson que je suis en train d'écouter (« I'm getting tired, and I need somewhere to begin... »). Mais je sais reconnaître une bataille perdue d'avance. Et, croyez-moi, avoir une mère hystérique qui tambourine à votre porte n'est pas la meilleure manière de commencer la soirée.

J'enlève donc mes écouteurs et descends affronter le babillage familial en fredonnant...

"And if you have a minute why don't we go

Talk about it somewhere only we know?

This could be the end of everything

So why don't we go

Somewhere only we know?"