New born
La lune déversait ses rayons à travers les vitraux blancs, traçant lentement au sol un cercle au rythme du voyage des nuages. Elle se tenait à son bord. Elle était la reine. Dans ses bras un nouveau né, à peine une dizaine d'heures, né le matin même, il était né le matin au chant des oiseaux, né comme le futur roi d'un royaume calme et prospère. Elle sentait son cœur battre tout contre sa poitrine tandis qu'elle observait son visage qui n'avait pas encore eu le temps de voir le jour se lever et que pourtant elle adorait déjà, ce visage de quelques souffles seulement et que déjà son être connaissait plus que tout ce qu'elle avait respiré trente années durant, qui résonnait comme une certitude absolue, comme ce monde était rond et comme après la nuit venait le jour. Athanaz. Immortel. Peut-être un peu d'humour noir a l'avoir nommé ainsi, une pincée d'espoir aussi, un nom comme seule protection contre l'inévitable. Elle appuya l'emprise de ses bras sur l'enfant et leva les yeux sur la salle. Dans la tombe de ses rêves cette fête avait été si heureuse, un soulagement, des tenues chatoyantes en l'honneur de cet héritier dont on commençait à ne plus même espérer la naissance ; mais partout de la dentelle noire, des vêtements spectaculaires mais sombres se mouvant comme s'il n'y avait rien de véritablement vivant à l'intérieur, et sur leurs visages éteints et abîmés des ombres projetées de collerettes des autres.
Elle vit ses parents, amis et cousins se déplacer lentement, anesthésiés, perdus, du sang au coin des yeux. Elle vit ses frères, conseillers et ses sœurs danser, ahuris, autre part, un énième verre à la main. Elle vit presque le temps tant il était palpable, retenus par les fils impuissants que tiraient les esprits des invités, de toute leur force et s'il vous plaît faites que ces prochains jours soient comme des siècles, je vous en prie, je vous en prie, je vous en prie. Elle vit les croûtes, les ongles noircis, les bouts de peau qui déjà se détachaient, elle senti cette odeur de pourri qui ne cessait d'augmenter, à laquelle tout l'encens ne pouvait rien tant elle était ancrée dans leur peur. Ils avaient naïvement pensé que ce serait plus lent.
Descendre lentement le regard et presque voir son mari, presque le fantôme de son mari flotter sur les traits voilés du nourrisson, et ce ne fut même plus de la tristesse qu'elle ressentit devant l'image de la mort mais de la jalousie, de l'envie envers le trépas de celui qui l'avait rendue veuve, il était parti avant de savoir, il s'en était allé sans angoisses, sans cet effroi qui consumait les hautes sphères du royaume depuis huit mois. Vous êtes enceinte depuis un mois ma reine, il n'en reste plus que onze à ce peuple. Et sa propre voix qu'elle avait entendu hurler pourquoi pourquoi pourquoi, vous ne pouvez pas en être si sûr et puis comment comment comment.
À sa droite des meubles couverts de nourriture, les viandes les plus tendres, les recettes les plus complexes avec les fruits les plus colorés qu'on avait pu trouver, une autre tentative de ne plus voir, de faire comme si. Car l'affolement était inutile, parfaitement vide de sens quand ce futur inéluctable les invitait de ses longs doigts malades pour une dernière danse. Avec votre grossesse sont venus les rats et la maladie. À la naissance de l'enfant les morts commenceront. Dans onze mois nous n'existeront plus. Non ma reine, nous ne pouvons rien faire ma reine. Nous devins sommes au courant depuis bien longtemps ma reine, vous imaginerez que nous avons tenté de trouver des solutions. Il ne servait à rien de tous vous plonger dans l'horreur. Pas un changement d'avis ma reine, nous avions prévu de vous prévenir avant que ce soit visible, vous auriez de toute façon posé des questions. De plus nous estimions que vous auriez le droit de savoir, de vous recueillir sur votre peuple si vous le souhaitiez avant qu'il ne disparaisse. Informez le ou non de la situation, le choix vous appartient. Silence, long, et puis des mots, une question aussi lourde qu'inévitable. Non, ma reine, vous êtes déjà contaminée, le royaume est contaminé.
Tuer l'enfant ne servirait à rien.
Elle avait voulu se taire, ne rien dire, ne pas condamner ces gens qui l'étaient déjà à vivre sans espoir. Et puis le poids de l'horreur avait fait son travail, pesé sur ses lèvres jusqu'à les ouvrir, - une personne, juste une personne au courant – et lentement contaminé tous ceux qui respiraient dans le palais. Leur absence de contact avec le peuple avait permis de garder celui-ci dans l'ignorance, des foules se voyant pourrir sans savoir que cette épidémie ci serait définitive, sans comprendre pourquoi au bout de huit mois personne n'en mourait encore.
Les nuages finirent leur course, une mosaïque tracée par les armatures du vitrail sans couleurs se dessinait maintenant au sol dans son entier. Tous n'avaient pas vu encore, certains continuant de danser furieusement, moins dans les bras de leurs partenaires qu'accrochés à ceux de l'alcool infusé dans leurs veines. Une danse possédée, à en renverser les chandelles, à se cogner les uns dans les autres, à s'abîmer encore un peu plus. Tous ces valseurs gardaient les yeux lourdement mi-clos, ils ne voulaient pas voir l'enfant, ces hommes et ces femmes qui d'habitude respectaient le protocole cérémonial à la minute, au regard près, ils ne pouvaient pas se résoudre. Murmure désapprobateur des éveillés et leurs paupières s'ouvrirent sur des iris perdus. Ou du moins qui cherchaient à se perdre, le désespoir toujours collé bien au fond, une gangrène bien visible au centre des océans de débauche. Le temps s'arrêta. Ou passa trop vite, personne ne savait plus. La reine fit un premier pas, semblant lutter contre le poids de la haine de l'assemblée, Athanaz n'avait pas encore une journée et déjà deux mains ne suffisaient plus à compter les morts. Soudain, comme contrôlée par l'ironie tragique d'un auteur sadique, une lointaine cousine de la reine se mit à cracher du sang, un peu de rouge sur le noir de sa robe, pas un cri dans l'assemblée, pas un regard, tous les visages fuyant deux minutes avant maintenant fixés sur le nouveau-né. Elle-même, secouée par ses râles, ne le lâchait pas de ses yeux en sang. Lui, ce prince qui jamais ne deviendrait roi, levait une main dans les rayons tracés par la lune, babillements innocents d'un être qui n'avait pas conscience de ce qu'il représentait, mais qui l'aurait pu ? La bouche de la reine se tordit, un sourire aigre-doux, au fond il était peut-être préférable qu'il n'ai jamais le temps de savoir.
Un bruit de chute mou, sa cousine n'était plus et elle, elle continuait d'avancer, lentement, une marche funèbre imprimée dans chacun de ses pas, dans chaque oscillement respiratoire de ces gens qui l'entouraient, qui certains étaient ses frères, et tous dardaient sur elle une attention haineuse, un peu de honte aussi face à cette idée. Beaucoup de peur.
Et voilà qu'elle fut au centre du halo, qu'elle posa ses mains sur le voile qui recouvrait son enfant, délicatement, et la lumière lunaire elle-même semblait prendre son temps, doucement embraser une moitié de visage nouveau. Elle fut prise de spasmes, cette reine qui aurait voulu rester digne, entourer son enfant de clarté jusqu'au bout, hoquets parmi le silence, longs, douloureux ; il fut baptisé par des sanglots cet enfant qui ne vivrait pas cinq mois. Lenteur, la colère, la peur et la mort elles-mêmes semblèrent se taire.
Et
Des hurlements, un homme qui traverse le cercle en courant, l'éclat d'une lame, le sang qui coule sur ses bras, un meurtrier qui fuit, le regard du nouveau né figé à jamais. Un élan d'espoir assassin. Inutile.
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