*La mort au creux de nos mains*

On ne les emmenait jamais sur un champ de bataille, et quand la porte du vaisseau s'ouvrit il comprit pourquoi. Il traversait le paysage désolé d'une fin de guerre avec la main droite de sa mère sur son épaule, l'autre étant sur l'épaule de Thor. Son père et la garde royale marchaient devant eux, silencieusement. Quand il tournait la tête pour regarder les cadavres couverts de cendre, la main de sa mère se plaçait sur sa joue pour ramener sa tête droite.

Il n'avait pas entièrement compris l'ampleur de la situation, mais on lui avait expliquer que ce qu'il se passait allait changer l'avenir d'Asgard. Tout le monde était tendu. Était-ce à cause de l'enjeu d'une telle rencontre, ou à cause de l'atmosphère de mort ?

La neige blanche, plus fine que celle qu'il connaissait, et moins froide, descendait lentement du ciel pour rendre le sol moins sombre. Elles étaient tellement nombreuses qu'elles passaient partout et couvrait tout de blanc. Elles recouvraient les cadavres des Asgardiens, et des Garontes. Le reste était noir. Brûlé. Les maisons, les status, les magasins, les lieux de culte, tout était ruines assombries par le feu. Le silence était assourdissant. Loki, qui avait écouté les quelques histoires sur la planète Garo n'avait pu la voir que détruite et morte, terriblement morte.

Ils arrivèrent enfin au lieu de rencontre. Une tente, une grande table, des sièges et des fruits qu'il n'avait jamais vus les attendaient. Et avec eux, la famille royale des Valmes. Les Asgardiens et les Valmes se réunissaient sur la terre des ennemis vaincus pour signer un traité d'alliance. Les Asgardiens ayant aidé les Valmes à se débarrasser de leur plus vieil ennemi, les Garontes.

Une grande femme à l'allure sévère habillée d'une armure blanche accompagnée d'un homme plus petit les fixait. Odin s'avança avec un sourire poli.

-C'est un honneur de vous revoir, reine Matera.

-L'honneur est partagé. Votre armée a fait un travail remarquable, il ne reste plus rien de notre ennemi. Vous avez rempli votre première part du marché, nous pouvons procéder à la suite.

-Nous guerriers ne plient jamais, madame. Je vous propose de passer sans attendre à la suite, je sais à quel point vous détestez être loin de chez vous.

La reine acquiesça puis jeta un coup d'œil à Loki et à Thor. Il était très important pour les Valmes de voir les enfants royaux, de les juger du regard, de voir comment ils réagissaient face à leurs propres enfants. Les deux garçons Asgardiens et les trois filles Valmes.

Loki les chercha du regard, et finit par les trouver quelques mètres plus loin.

Deux jeunes filles jouaient et dansaient avec les débris, riaient en tendant les mains vers le ciel. Dans un décor d'apocalypse, deux filles se réjouissaient. Une grande adolescente et une fillette. Leur peau blanche et grise se fondait avec la neige.

Il ne trouva pas la dernière au début, puis il la vit.

Elle se tenait immobile. On aurait dit une ombre appartenant au décor. Elle avait la tête levée vers le ciel, les yeux grands ouverts. La neige se déposait petit à petit sur son visage sans que ça semble la gêner.

Loki ne pouvait arrêter de la fixer comme on fixe une statue pour voir si finalement, elle finissait par bouger. Elle finit par tendre sa main pour recueillir la neige dans sa paume. Loki pouvait presque sentir les flocons toucher sa main. Il était hypnotisé par elle, par sa peau blanche en cratère gris comme la lune, par la neige qui se coinçait dans ses cheveux coupés aux épaules, par l'expression parfaitement neutre de son visage, par ses yeux d'un orange vibrant tournés vers le ciel qui semblaient crier quelque chose.

-Aliocha, You, Immanis, venez par là !

Loki se retourna et vit que c'était la reine qui appelait ses filles pour qu'elles se présentent aux fils asgardiens. La jeune Valme que Loki observait tourna son visage vers lui. Leurs regards se croisèrent. Loki tressaillit. C'était comme si elle avait deviné qu'il l'avait observé. Il ne savait pas. Son regard, il n'arrivait pas à le comprendre.

Thor et Loki, Aliocha, You et Immanis. Ils se tenaient en ligne, face à face. Ils se toisaient du regard. Leurs parents allaient conclure un accord qui allait mêler leur destin.

L'aînée, Aliocha, était plus âgée que ses deux sœurs de quelques années. Elle avait plus l'allure d'une grande sœur, d'une futur reine. Immanis semblaient entrer dans l'adolescence, comme Loki. You, était encore une enfant. Elles se ressemblaient mais l'expression de leur regard changeait. Celui d'Aliocha était fier, celui de You heureux, et celui d'Immanis, indéterminable.

-Ne soyez pas impolies, jeunes filles, tendez-leur la main, réprimanda la reine Matera.

Les trois filles s'exécuterent. Elles leur tendirent leur main, la paume vers le ciel, courbée de l'intérieur pour former un demi-cercle. Frieda leur avait appris, à lui et à Thor, qu'il fallait simplement poser sa main sur la leur, pour que les paumes se frôlent. Quand Loki voulut mettre sa main sur celle d'Immanis, celle qu'il avait fixée, il remarqua que sa main était encore pleine de neige, alors que ses sœurs s'en étaient naturellement débarrassées.

-Ta main est encore pleine de neige, lui dit-il.

Elle pencha légèrement la tête, interloquée.

- Ce n'est pas de la neige, c'est de la cendre.

-Pardon ?

- Pas tout à fait de la cendre, mais les restes atomisées des Garontes. Ils ont essayé de s'échapper dans leurs vaisseaux mais vous les avez pulvériser en plein vol avec vos machines.

Loki resta bouche bée. Il tombait sur sa tête de la chair atomisée, réduite à rien. Il essaya de garder son sang-froid devant le regard perçant d'Immanis mais il fixait sa main qui recueillait la mort comme si de rien n'était. Il ne pouvait se résoudre à toucher le reste d'une chair.

-Peux-tu l'enlever de ta main ? demanda Loki.

Mais Immanis garda sa main tendue en demi-cercle qui recueillait toujours plus de cendres.

-C'est juste de le cendre, insista Immanis.

Loki releva le regard vers son visage. Elle venait de dire que ce n'était pas tout à fait de la cendre pour le déstabiliser, et elle faisait comme si ce n'était rien. Il remarqua son expression qui paraissait neutre mais qui était teinté de méfiance et d'une certaine colère froide. Il comprit qu'elle le testait. Qu'elle avait transformé cette simple salutation en provocation. L'ayant compris elle-aussi, Matera mit sa main sur l'épaule de sa fille pour exercer une légère pression et la rappeler à l'ordre.

Mais Loki sentit qu'il devait montrer ce que son esprit d'enfant pensait être de la bravoure. Alors il déposa sa main sur celle d'Immanis en essayant d'ignorer cette sorte de cendre. Il chercha sur le visage de sa nouvelle amie un signe de défaite, il y trouva au contraire des yeux tristes.

Beaucoup plus tard, Immanis lui avouera qu'elle n'avait jamais arrêté de penser à ce jour sur Garo où elle avait découvert leurs ennemis finalement éliminés. Que garder cette main recouverte de restes lui avait coûté. Qu'à son retour sur sa planète, elle s'était lavée les mains encore et encore et encore. Qu'elle avait parfois l'impression d'être restée là-bas, paralysée sous la cendre, piégée et pourtant libérée. Que c'était comme si elle pouvait se voir de l'extérieur, couverte de restes atomisés comme la ville entière. Comme une ombre parmi tant d'autres. C'était comme ça qu'elle se sentait parfois, paralysée, piégée.

Et alors Loki repensait aussi à ce jour où il avait pensé que la froideur d'Immanis était une preuve de sa force alors qu'elle était terrifiée. Absolument terrifiée.

Et que chaque fois qu'il déposait sa main sur la sienne, elle imaginait la cendre entre leur paume, quand lui, avait pensé que c'était de la neige.

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