Chapitre 10 - Masque colmaté
« Neven... réveille-toi, ma chérie. Neven... m'appelait-on. »
Je fronçai les sourcils et bâillai, avant d'ouvrir l'œil à demi. Une faible lumière titillait mon visage. Pendant un instant, j'espérais que tout ce que nous avions vécu n'était qu'un cauchemar. Pourtant, j'étais toujours entre les bras de Malaury, couverte par mon manteau, le dos contre son torse. En bougeant, je sentais toujours ces brûlures qui me tiraillaient.
« Tu as dormi, on dirait.
— Je crois que je me suis réveillée à plusieurs reprises, je ne sais pas trop, je me sens fatiguée... »
Je grommelai en me détachant de Malaury. Il avait des cernes sombres sous les yeux :
« Et toi ?
— Un peu, par moments. Le froid ou la douleur me réveillait. »
Je me redressai plus ou moins adroitement, puis je me hissai sur la pointe des pieds devant le mur. Trop petite, je plaquai mes bras sur le rebord de notre fenêtre à barreaux pour me hisser et regarder. La mer était orangée sous le lever du soleil. Il était sans doute six heures du matin. Si c'était la dernière fois que je voyais mon premier amour, alors le spectacle était magnifique.
« Viens voir, soufflai-je à Malaury. C'est beau. »
Sa chaleur chatouillait ma peau.
« C'est vrai que c'est magnifique. On a de la chance, tu sais ? La partie du bâtiment dans laquelle on se trouve est du bon côté de la pente. Certains détenus au même étage que le nôtre n'ont même pas de fenêtre car ils sont sous terre. »
C'était une chance dans notre malchance, oui.
« Ton dos est dans un sale état.
— Le tien ne doit pas être mieux. »
Je retournai sur le sol. Marqué, en sang.
« Si on s'en sort, on va en garder des cicatrices.
— Tu mets des « si » dans tes phrases ? Depuis quand ? me taquina-t-il en se tournant vers moi. »
Je posai ma tête contre son torse. Un sentiment irrationnel me dévorait. J'avais peur. Mon ventre se tordait lorsque je pensais à ce qui risquait de se dérouler dans quatre heures. Mon corps pendant sans vie devant une foule qui me huerait. Celui de Malaury à mes côtés, tout aussi inerte. L'angoisse remontait à ma gorge. Je perdais le contrôle, je détestais ça.
On va s'en sortir, comme toujours ! Nous sommes Neven l'Écarlate et Malaury, son second ! Nous ne sommes pas n'importe qui ! Nous trouverons une occasion de fuir ! Nous sommes des pirates de renom !
Ces phrases sonnaient pourtant tellement faux. Pourquoi je ne parvenais pas à y croire ? Je n'arrivais pas à sourire, je savais qu'il serait mensonger. Où était mon optimisme sans égal ? Ma bonne humeur qui m'avait toujours poussée en avant ? Je ne me retrouvais plus, je me sentais perdue.
J'attrapai délicatement son visage pour qu'il me regarde :
« On va s'en sortir, pas vrai ? »
Il cessa de sourire face à la gravité de ma mine. Il posa ses mains sur les miennes et murmura, grave :
« Honnêtement ? Tout est contre nous. »
Il avala sa salive de travers :
« Il faut faire confiance à l'équipage, oui... mais le port sera gardé en conséquence. Alors ils devront trouver un moyen d'amarrer sans être trop questionné. Un peu d'or, peut-être, pourrait aider. »
Il inspira :
« Seuls, je ne vois pas comment on pourrait s'en sortir. Ils savent de quoi on est capable, ne serait-ce qu'avec notre tentative d'évasion de cette nuit. On sera bien gardés. Même si on trouve une faille, un moment pour se faufiler, il y aura toute une garde pour nous rattraper. Que ce soient des soldats qui se battent à l'épée, ou ceux qui peuvent nous avoir à distance, les lanciers, les arbalétriers, les archers... »
Il appuya ses doigts sur ma peau :
« Alors, honnêtement... si personne ne vient, on est fichus. »
Pour une fois, j'étais d'accord avec cette terrible nouvelle. On était probablement condamnés.
« Neven, quand... quand on sera... sur le tabouret. Ne me regarde pas mourir. Je ne veux pas que... ce soit ta dernière image. Moi en train d'agoniser.
— Tu préfères que je regarde une foule qui me hait ? »
Il posa délicatement ses mains sur mon dos fragile, et il m'attira mieux contre lui :
« Ferme tes yeux, alors. Imagine de belles choses, pense à moi si tu le souhaites, mais ne me regarde pas mourir. C'est trop horrible à voir.
— Malo... tu m'angoisses... »
Pourquoi avais-je envie de pleurer ? Les mots dévalaient mes lèvres sans que je ne puisse les arrêter :
« J'ai peur... je crois que j'ai terriblement peur... ne parle pas comme ça... s'il te plaît... je veux juste être avec toi... »
Les larmes roulaient sur mes joues.
« Pas imaginer... ta mort... je ne veux pas... »
Il m'avait rarement vu pleurer, mais je ne parvenais pas à me contenir. Un mélange de fatigue, d'angoisse et de douleur venait de me faire fléchir.
« Je suis là. Ça va aller. »
Il m'emmena sur le matelas pour mieux m'enlacer et me rassurer. Au bout d'un moment, j'avais cessé de pleurer, mais je ne voulais pas quitter sa peau.
« Sois forte, comme toujours. J'ai besoin de ma capitaine pour me sentir d'attaque, moi aussi. »
Je parvins enfin à parler convenablement, la voix nasillarde :
« Tu sais, jusque-là, la mort ne m'avait jamais vraiment effrayée. Je me disais que je finirais dans les bras de la mer, qu'elle me recueillerait et me bercerait. Mais maintenant que j'y suis confrontée... ha... je veux tout faire pour lui échapper.
— Ce sont des pulsions de vie. On a tant à expérimenter. On a toute une vie à mener. On fera tout pour s'en sortir. Vraiment. »
Je séchais à nouveau mes joues. Je l'observais, et une infinie tendresse me parcourut. Il fallait que je lui parle à cœur ouvert avant qu'il ne soit trop tard :
« Malo, l'interpellai-je. Je veux que tu saches que je t'aime, plus que tout. Tu ne me l'as pas demandé cette nuit... mais ce que j'aime chez toi, c'est ton côté affectueux et attentionné, ta gentillesse, ta patience, et ton calme. Tu sais te montrer joueur comme moi, et tu trouves toujours une façon de me complimenter. Eh puis, même si tu n'es parfois pas doué, tu sais me faire rire, souris-je. Tu es intelligent et tactique, j'admire beaucoup ce côté-là chez toi, comme je n'ai jamais rien appris. Et puis, ce n'est pas le plus important, mais je te trouve beau. Et j'ai toujours apprécié le fait que tu sois plus grand que moi, je me sens comme ta petite protégée, ta petite poupée...
— Pas bien compliqué d'être plus grand au vu de ta taille. »
Un léger coup de poing dans l'épaule :
« Je te fais une déclaration qui vient du cœur et tu me réponds ça ?
— Tu as dit que je n'étais parfois pas doué mais que je savais te faire rire. C'est une bonne illustration, non ?
— Car j'ai ri ?
— Tu as eu une mimique. Un sourire en coin, que tu as ensuite caché. Je te connais bien, tu sais ? »
Je souris définitivement.
« À mon tour, lança-t-il. »
Il attrapa sa chemise, arracha un petit morceau d'une manche, puis il se mit à genoux devant moi et me prit la main :
« Neven. À mes yeux, tu es beaucoup. D'abord, une femme admirable, forte, audacieuse, intelligente, et courageuse. Tu mérites tout le respect du monde pour oser être qui tu es, et tu en es merveilleuse. Ensuite, quand tu laisses tomber les apparences, tu es une femme drôle, malicieuse, et parfois tendre. Quand tu n'es pas trop brutale, j'ai droit à tes caresses et tes mots doux. J'aime ton regard plein de tendresse que tu me lances lorsque je te dis quelque chose qui te plaît. J'aime voir apparaître des rougeurs ses tes joues lorsque je te dis que je t'aime. J'aime te voir dormir dans mes bras, tu deviens une adorable petite chose que je pourrais regarder pendant des heures, même s'il t'arrive souvent de me baver dessus... Mais surtout, j'aime ton sourire et ton rire qui te rendent radieuse. J'aime te voir heureuse, pleine de vie et de force, c'est tout ton charme. Je te dévore du regard quand tu éclates de rire entre mes bras. Alors, Neven. Afin de pouvoir te contempler et te rendre heureuse pour le reste de mes jours... veux-tu m'épouser ? »
Au fil de ses mots, je m'étais mise à sourire. La réponse était évidente.
« Bien sûr que je veux t'épouser. »
Il attrapa délicatement ma main gauche et fit un nœud autour de mon annulaire avec son morceau de tissu. Il prit mon visage entre ses doigts, s'approcha et nous nous embrassâmes longuement, les yeux clos.
« Tu m'excuseras pour la qualité de la bague... je t'en trouverai une belle quand on sera sortis de tout ça. »
Je passai mes bras autour de son cou pour l'enlacer, le sourire aux lèvres :
« Ne t'en fais pas, elle est très bien comme ça.
— Donc on peut se marier avec ça ?
— Non ! rétorquai-je, les sourcils froncés. Pour le mariage, j'attendrai une vraie bague. Tu es prévenu. »
Reparler au futur me rassurait. Une drôle d'illusion d'amour. Il arracha un autre morceau de sa manche que je nouai à son doigt.
« On est assortis, sourit-il. »
Se raccrocher à de telles futilités quelques heures avant notre mise à mort... que c'était naïf et ridicule. Je restais longuement dans ses bras. On s'avouait notre amour, on se rassurait, on se renforçait. J'avais beau me savoir indépendante, je me demandais ce que je ferais sans lui, dans cette cellule. Serais-je terrorisée, incapable de me raisonner ? Peut-être bien.
Je jetai un œil au ciel. Les dix heures approchaient. Je rattachai le tissu au niveau de ma poitrine en soupirant : même pour m'habiller, mon dos me blessait. Nous enfilâmes notre chemise respective, puis nous restâmes silencieux un moment.
« On fera tout pour s'en sortir, murmura une énième fois Malaury. Absolument tout. Et ensemble. »
Je lui avais expliqué que je me refusais de l'abandonner. Je le savais toujours capable de brusquement changer pour se sacrifier, si c'était pour me sauver la vie. Je me divertis un moment en suivant les traits de son visage du bout des doigts.
« Question bête. »
Qu'allait-il me raconter ?
« Mon crâne. Je n'ai pas pu le raser depuis un bout de temps. Qu'est-ce que tu préfères ? m'interrogea-t-il en dénouant son foulard. »
Je passai distraitement mes doigts dessus :
« C'est bizarre à regarder, mais c'est plus doux que quand tu te rases...
— Donc tu ne sais pas ? »
Je haussai les épaules :
« Je m'en moque, c'est ton visage que je regarde, pas tes cheveux.
— Tu ne m'aides pas, tu sais ? »
Je levai l'œil au ciel et soufflai :
« On en parlera mieux une fois sortis de là. Qu'est-ce que tu en dis ? repris-je doucement. »
Il acquiesça. Il essayait de me changer les idées, mais cela m'agaçait plus qu'autre chose. Une certaine nervosité me parcourait. J'avais l'étrange sensation de vouloir arrêter le temps pour rester dans cette petite cellule obscure, en sécurité, mais également d'avoir hâte de quitter cet endroit, pour avancer. Pour nous trouver une échappatoire, et vite être rassurée. Que le mauvais moment passe, et que je retrouve une vie normale : mon navire, ma sœur, mon Malaury.
Oui, vivement que l'on vienne nous chercher. Qu'on sorte, et que l'on se sauve, ensemble. D'une façon ou d'une autre, nous devions trouver une sortie à ce cauchemar. Le tintement de clefs me fit sursauter. Une angoisse me prenait le ventre. Contradictoire désir de tout faire pour rester ici, de ne pas approcher de la structure en bois qui nous attendait. Je me perdais moi-même dans mes envies. Tout ce que je voulais, c'était vivre.
La porte s'ouvrit.
Un peu de douceur ♥
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