Chapitre 34 - Le capitaine Erklos 1/2
Je sortis au pas de course et grimpai au gaillard d'arrière pour récupérer ma longue-vue. À bien vingt minutes de navigation, l'Irrévérence était prise d'assaut par les hommes d'Erklos. Pourquoi ? Célestin n'aurait jamais lancé l'offense et je n'étais pas en conflit avec ce capitaine !
« Il faut qu'on aille plus vite ! Et hissez le pavillon blanc ! Vite ! ordonnai-je. »
Apaiser les hostilités : nous avions un combat de prévu quand nous retrouverions Augustin, nos hommes devaient être en forme pour limiter les pertes. L'équipage d'Arguy se battait, pas encore de morts. Nous avions peut-être une chance d'arriver avant un malheur. Célestin était en duel contre le capitaine Erklos, cherchant à le désarmer plutôt qu'à l'attaquer, contrairement à l'homme mutilé. Il devait tenir bon !
Je n'avais pas de moyen de les interpeller, nous étions encore trop loin ! Je me tournai vers le pont :
« Mora, reste dans ma cabine ! Enfermée à clef ! Darren, dans les cales, tu te planques ! Vous autres, préparez-vous à peut-être vous battre ! »
La grande silhouette de Malaury courut jusqu'à moi :
« Que se passe-t-il ?
— C'est Erklos qui a attaqué en premier, mais j'ignore pourquoi ! Nous sommes censés être en paix !
— On dirait que ça se calme ! »
Je brandis ma longue-vue. Erklos et ses hommes s'étaient repliés sur leur navire, ils nous regardaient, toujours tendus, les armes en mains. Pas de morts, mais quelques blessés de chaque côté. Je plissai l'œil et remarquai que les matelots du capitaine mutilé étaient assez mal en point, beaucoup portaient des bandages.
Lorsque nous arrivâmes enfin à leur hauteur, je donnai l'ordre de nous arrêter. Sur la rambarde, je me tournai vers le capitaine Erklos qui m'interpella :
« Neven ! C'est vrai ce que dit Arguy ? Qu'Augustin est un capon ?
— Nous sommes en route pour l'attaquer et le tuer ! confirmai-je. Il nous a menti concernant la couronne ! Et il a laissé Malaury aux mains des corsaires par cupidité ! »
Il me jaugeait de ses yeux noirs. Il prit une inspiration, puis abaissa son sabre, pointe contre le plancher.
« Je crois que nous avons fait une erreur. Baissez les armes ! »
Un concert de métal et de bois tombant sur le sol. Il retira son tricorne noir :
« Capitaine Neven, nous nous sommes trompés. Nous nous excusons. »
Trompés à quel propos ? Là était la question. J'attrapai un cordage pour bondir vers le navire d'Erklos et j'atterris délicatement sur la rambarde. Je sautai pour arriver face au capitaine qui faisait une tête de plus que moi au moins.
« Que s'est-il passé ? »
Il se tourna vers ses hommes et me les présenta d'un geste de la main :
« Tu as dû remarquer qu'ils sont blessés et que les blessures ne datent pas de l'altercation avec le capitaine Arguy. »
J'acquiesçai.
« Augustin nous a attaqués hier. Nous avons compris cette offense insensée comme une déclaration de guerre contre nous, alors, quand nous avons vu Arguy, également sous tes ordres, nous l'avons attaqué. Je ne comprenais pas cette décision puisque nous étions en bons termes... mais a priori, cet homme n'est plus digne de ta flotte.
— Bientôt un homme mort. Que vous a-t-il voulu ?
— Nous l'ignorons. Nous avons supposé qu'il cherchait la couronne. Il a envoyé des hommes saccager les cales, voler ce qu'ils pouvaient, autant en or, butins, qu'en médicaments. Il nous a tout volé, nous ne pouvons même pas nous occuper de nos blessés convenablement. Nous avons réussi à en attraper un, mais il a préféré se tuer plutôt que de parler. »
Ce n'était pas pour la couronne, il savait qu'elle était cachée quelque part et que la localisation était détenue par des marins du gouvernement. Je plissai l'œil :
« Tu as besoin d'aide pour soigner tes hommes ? »
C'était le message que j'avais compris.
« Notre médecin a été tué pendant le combat... nous avons fait ce que nous avons pu, mais nous n'avons plus grand-chose pour nous soigner...
— Mathurin ! interpellai-je. Ses hommes ont besoin de soins ! Tu peux t'en charger ?
— Oui, capitaine ! »
Célestin, qui avait entendu la discussion depuis l'Irrévérence, donna des ordres à ses médecins également. Je lus de la reconnaissance au fond des yeux ténébreux d'Erklos :
« Merci... on devrait éviter des morts inutiles grâce à vous. »
Je savais que ces mots n'étaient pas les plus simples à prononcer pour lui. Il s'agissait de laisser sa fierté de côté et de tendre la main en tant que capitaine. Mais Erklos savait que la santé de ses hommes était plus importante qu'un peu d'amour-propre, ce qui le rendait humain. C'était l'une des raisons pour laquelle je l'estimais : nous pensions de la même façon à ce sujet. Quand on connaissait bien les pirates de l'Archipel, il était d'ailleurs courant d'entendre qu'Erklos et son équipage s'entendaient à merveille : après tout, ils étaient avant tout des camarades qui avaient mené une mutinerie ensemble pour être libres.
Le capitaine infirme me jaugea de la tête aux pieds, la main lissant sa moustache noire :
« Tu n'as pas l'air en forme, dis-moi.
— Quelques soucis avec une bande de pirates qui m'a en grippe, et plus récemment, on a attaqué des corsaires pour libérer Malaury.
— Une bande de pirates ? répéta-t-il, les sourcils froncés. »
Je comptais seulement en parler aux plus proches, mais après réflexion, il savait peut-être quelque chose :
« Les initiales du capitaine sont DN. Ça te parle ?
— Il ne me semble pas.
— Un navire aux voiles noires, coque sombre...
— Ah, je l'ai vu, ce bâtiment ! Il y a quelques jours ! »
Enfin des informations.
« Tu peux m'en parler ?
— Un peu. On l'a aperçu au loin, il semblait se diriger vers Isda.
— Tu as vu l'homme qui pourrait être à sa tête ?
— Ils ressemblaient à des pirates, mais aucun ne se distinguait particulièrement. Le capitaine était peut-être dans sa cabine. C'était la première fois que je le voyais voguer, en tout cas. »
Soit la formation de cet équipage était récente, soit le navire était discret depuis un moment. Ces informations ne m'aidaient pas vraiment.
« Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, alors ? »
Je me montrai évasive :
« On a découvert un rat il y a quelques semaines, mais je n'ai eu que les initiales, DN. Plus récemment, des hommes m'ont prise par surprise en pleine nuit, d'autres rats. Malaury a été jeté par-dessus bord – la mer ne l'a pas avalé, heureusement, mais il a été récupéré par des corsaires. Pour ma part, on m'a emmenée sur ce navire aux voiles noires, mais je n'ai pas vu de capitaine non plus. On voulait m'emmener jusqu'à lui, mais je me suis enfuie avant.
— Je suppose que tu les cherches ?
— Pour leur faire payer, oui. Je dois aussi m'occuper d'Augustin. Il ne t'a rien dit de particulier ?
— J'avais beau demander pourquoi il nous attaquait, il m'ignorait. Alors nous n'avons plus essayé de raisonner, nous nous sommes battus férocement. »
Cet homme sans morale voulait probablement me mettre des bâtons dans les roues.
« Tu sais par où il est parti ?
— Le même cap que vous, mais avec une déviation vers le sud.
— Isda ?
— Possible. Ah, Capitaine Arguy ! clama Erklos lorsque mon ami nous rejoignit. Je suis désolé pour l'offense, il s'agit d'un malentendu.
— C'est ce que j'ai cru comprendre, acquiesça Célestin en arrivant près de moi. C'est pardonné, sourit-il en tendant sa main. »
On disait que les pirates étaient barbares et cruels, mais nous avions un sens de l'honneur et savions même nous montrer courtois. La vie n'était pas toujours clémente pour nous, entre la mer et le gouvernement qui nous chassait, alors autant nous entraider.
« Je peux vous offrir un verre ?
— Oh, Neven ne boit pas quand elle prend la barre, et moi non plus, mais nous te remercions.
— Ce n'est pas ce que j'ai vu la dernière fois, s'esclaffa Erklos en se tournant vers moi.
— J'évite, confirmai-je avec un sourire, la dernière fois était une erreur. Surtout, si nous croisons Augustin, je préfère ne pas avoir bu. »
Je lançai un regard en coin à Célestin. Il avait beau ignorer pourquoi je ne buvais plus, il m'aidait sans poser de questions.
« Quand tout sera calmé, on se retrouvera pour une petite soirée à boire, nous lança Erklos avec un grand sourire.
— Avec plaisir, répondîmes-nous. »
Après une heure de soins prodigués aux hommes d'Erklos, instructions et médicaments donnés, le capitaine nous apprit qu'il se rendrait à Britanger pour se réapprovisionner, puis au Repaire pour se reposer avec son équipage, et qu'ils reprendraient la mer quand ils seraient remis.
Mon œil brilla :
« Britanger, tu as dit ?
— Oui, c'est la ville la mieux placée pour...
— Je peux te demander un service ? Rien de méchant.
— Je t'écoute.
— Par un concours de circonstances, une connaissance de Britanger a fini à bord avec moi. Est-ce que ce serait possible de le ramener là-bas ?
— Qu'est-ce qu'il sait faire ? »
Oh, pas grand-chose...
« Je suis certain qu'il sera motivé à aider sur le navire, mais il n'est pas bien doué, concédai-je. »
Jusque-là, Darren savait qu'il ne risquait rien avec sa fainéantise étant donné que j'étais la capitaine... mais j'étais plus ou moins certaine qu'il serait dynamique sur le bateau d'étrangers.
« Bon, une bouche de plus ne devrait pas poser de problèmes.
— Merci ! »
Il m'enlevait une belle épine du pied.
Darren, arrivé sur le navire d'Erklos, me lançait un regard plein d'appréhension, presque suppliant. Le capitaine s'éclipsa pour nous laisser discuter.
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