
Chapitre 13 - À quelques pas 1/2
On toqua à ma porte. La tête brumeuse, l'envie de ne pas réagir et de rester emmitouflée dans ma couverture me traversa l'esprit un instant. Ma nuit avait été compliquée. J'avais tourné sans cesse pour ne pas être balayée par mes pensées. Furtives, elles s'immisçaient dans mon esprit dès que je baissais ma garde.
On toqua à nouveau. En réfléchissant à pourquoi on me réveillait, Mora me revint immédiatement à l'esprit. Je me redressai avec vivacité :
« J'arrive ! »
Il était probablement six heures et demie. Je devais me remettre à chercher ma sœur au plus vite. Tenue enfilée, je sortis sur le pont, Pirate dans mes pas. Il me dépassa et se hissa au-dessus de caissons contre le mât principal, puis s'allongea pour profiter du soleil dont les rayons étaient timides aujourd'hui. Il observait les marins attentivement, les yeux semi-ouverts. Je montai jusqu'au gouvernail pour retrouver Borg dont les traits étaient désormais tirés. Il me salua, puis plaça son crochet devant sa bouche en bâillant :
« Vous vous êtes bien reposée ?
— Plutôt, mentis-je, tout s'est bien passé pour toi ?
— Parfaitement bien, capitaine.
— Je te remercie pour cette nuit, souris-je. Es-tu capable de tenir la barre encore quelques temps ? »
Il acquiesça. Je me tournai vers les terres que nous longions. Pas de village en vue pour l'instant. J'observai le ciel : plutôt gris, il pleuvrait peut-être dans la journée. J'attendis une vingtaine de minutes, le temps qu'une bonne partie des marins soit levée.
Darren vint jusqu'à moi, les sourcils froncés, les lèvres plissées.
« Qu'est-ce qu'il y a ? questionnai-je.
— Tu as une sale mine. »
Des cernes creusaient sans doute mon visage, mais je devais passer outre :
« Ce n'est rien, souris-je calmement. »
Montrer que tout allait bien. Montrer que j'étais forte, et que l'équipage pouvait faire face. La figure du capitaine était importante dans les temps difficiles : c'était à lui d'orienter les hommes, de les encourager, et de montrer la voie à suivre.
Je grimpai sur mon tonneau, mains sur les hanches, sous l'incompréhension de mon ami. J'interpellai l'équipage :
« Ohé ! Faites une pause et écoutez-moi ! »
Les hommes se tournèrent vers moi. Beaucoup n'étaient pas en forme. Les faces blafardes, les traits tirés, les cernes noirs formant des poches sous les yeux brillants de fatigue... Celui qui me faisait le plus de peine était Issan. Adossé au mât, ses jambes semblaient peiner à le soutenir, il était sans doute exténué par une nuit cauchemardesque. Je commençai d'une voix puissante :
« J'irai droit au but. Il y a quelques jours, nous avons subi une attaque. Des rats se cachaient sur notre navire... sept au total. Un que nous avons torturé et donné à nourrir aux poissons. Six autres qui s'en sont pris à moi en pleine nuit. »
Les yeux étaient rivés sur moi. Je continuai avec un mouvement de main gracieux alors qu'une voile claquait à cause du vent :
« Bien sûr, j'entends vos inquiétudes à propos de l'unité de notre équipage. Ces rats ont réussi à semer le doute, et je vous comprends. Seulement, l'opération menée il y a deux nuits était la conclusion, le but final de leur présence à bord ! De ce fait, ils n'ont aucune raison de rester parmi nous ! Je peux donc vous assurer que nous sommes débarrassés de ces vermines ! »
Je l'espérais, en tout cas.
« Ensuite, vous devez savoir que ces ordures ont agi sous les ordres d'une personne. D'après mes informations, il s'agit sans doute d'un homme. Il a probablement un lien avec des pirates et il est peut-être capitaine. Sinon, il est riche et en engage. Le navire a une coque foncée et des voiles noires. Cette personne est peut-être intéressée par la couronne, ce qui ferait encore pencher la balance vers l'univers pirate. Ses initiales sont DN. »
Les hommes se jetèrent des regards interrogateurs. Le vent gémit. Je repris d'une voix plus grave, plus basse :
« À cause de cet homme, nous avons essuyé une perte terrible... »
Un vilain nœud empoigna mes entrailles. Le dire, ce serait le confirmer. Je ne voulais pas accepter. Je ne pouvais pas. C'était trop difficile. Trop difficile de me dire que je ne pourrais plus jamais entendre sa voix grave et douce murmurer à mon oreille ou rire aux éclats à ce que je racontais. Trop difficile de me dire que je ne pourrais plus jamais sentir ses mains brûlantes, pleines de cicatrices, me cajoler ou me réconforter au gré de caresses épousant mon visage. Trop difficile de me dire que je ne pourrais plus jamais sentir ses lèvres parcourir ma peau pour la baiser avec amour. C'était trop difficile d'accepter que je ne le reverrais plus jamais.
Je jetai un regard parmi tous les visages curieux et fatigués. Il fallait avancer. Eux avaient peut-être besoin de l'entendre. J'inspirai alors que le vent soufflait dans mes cheveux.
« Nous avons perdu Malaury, notre second. Une personne admirable. Un pirate féroce et courageux comme il n'en a jamais été parmi nous. Un homme loyal au cœur bon et généreux. Un ami qui se serait sacrifié sans hésiter pour n'importe lequel d'entre nous. Nous lui préparerons une cérémonie digne de lui quand nous jetterons l'ancre au Repaire. »
Silence parmi les hommes. Si certains voulaient se montrer fermes et sans émotions, la plupart avaient les yeux brillants. Beaucoup avaient les mâchoires crispées, le regard choqué, comme s'ils se prenaient la réalité de pleine face encore une fois. Comme s'ils avaient oublié depuis l'annonce de Mathurin, et que m'entendre le dire confirmait l'horreur de sa disparition. Le navire tangua dans un craquement sourd.
« Ainsi... non seulement pour nettoyer l'affront de nous attaquer sur notre propre territoire, notre navire ! Mais aussi pour venger Malaury ! Nous le trouverons et massacrerons lui et ses hommes ! »
Les visages se renforcèrent et des cris me répondirent. Une immense vague fit rouler le navire, perturbant mon équilibre instable sur le tonneau.
« Notre cible est la suivante : un bateau aux voiles noires ! Il s'agirait du navire de DN, ou au moins de l'un des siens ! Une fois repéré, nous l'aborderons et massacrerons l'équipage ! Ils apprendront ce qu'il en coûte de s'en prendre à Neven l'Écarlate et ses hommes ! hurlai-je désormais en levant mon sabre. »
Les marins m'imitèrent en criant avec le vent qui mugissait à nos côtés.
Je descendis souplement du tonneau, faisant comprendre aux hommes qu'il était temps de se remettre à travailler. Je remerciai Borg et repris le gouvernail, observant à la fois la mer agitée et la côte.
« Tu peux être très motivante, murmura Darren. »
Ses yeux émeraude m'observaient avec curiosité et étonnement.
« Tu ne m'as jamais vue aux commandes d'un navire, souris-je. Ça doit te changer, non ?
— Tu es remarquable. Au fait, nous n'avons pas discuté concernant la piraterie.
— La piraterie ? répétai-je, un sourcil haussé.
— Pour rejoindre l'équipage. »
Je levai l'œil au ciel en soupirant :
« Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. »
J'avais perdu mon sourire, mon enthousiasme, en quelques instants seulement. Malaury disparaissait, Darren rejoignait l'équipage... comme s'il cherchait à le remplacer. Comment en vouloir à mon premier amour, de retenter une aventure avec moi ? Je ne pouvais pas. C'était humain. Cependant, j'étais loin d'être prête à commencer une nouvelle histoire. Celle avec Malaury n'était pas terminée pour moi. Je l'aimais toujours autant, il me manquait, je ne voulais que lui...
« Je sais très bien ce que tu veux en intégrant mon équipage. Ce n'est pas réciproque. Garde ça à l'esprit.
— Mais... ça pourrait t'aider pour le recrutement !
— Recruter un novice... murmurai-je en haussant sourcil. Hier, tu avais le mal de mer... tu vas me dire que du jour au lendemain, tu vas pouvoir aborder et vivre des semaines voire des mois sur un bateau sans toucher terre ? Tu vas me dire que tu vas quitter ta petite vie et routine tranquilles, toi qui n'avais pas les couilles il y a cinq ans ? Tu te fous de moi, Darren. »
Je le coupai alors qu'il était sur le point de répondre :
« Je refuse que tu deviennes un pirate. Ça ne nous apportera rien de bon. Toi, tu vas te faire repousser et devoir commettre des actes criminels. Moi, je serai sur les nerfs dès que tu seras dans les parages. Pourquoi ? Car j'ai l'impression que tu veux prendre la place de Malaury, et ça m'énerve. Tu ne peux pas savoir à quel point. »
Je lui lançai un regard sombre. Il se tut quelques instants, puis soupira :
« Oui, je voulais me rapprocher de toi, d'un côté, c'est vrai... mais aussi être présent pour toi. Comme ça ne va pas aller, justement...
— Je n'ai besoin de personne, grognai-je. »
À part Malaury. Darren se rapprocha d'un pas hésitant :
« Bon, si tu ne veux vraiment pas de moi, je respecterai ton choix. Je sais que j'ai été trop proche de toi quand on s'est revus, mais je me tiens à carreaux depuis. J'ai compris que tu étais passée à autre chose, et que, pour au moins un bon moment, voire toujours, on ne pourra jamais redevenir comme avant. Seulement, je ne peux pas nier le fait que tu m'inquiètes, et que j'aimerais être présent pour toi... mais si tu penses pouvoir te débrouiller seule et qu'au contraire je risque de ne pas t'aider, c'est compris. »
J'acquiesçai, puis me reconcentrai sur la mer :
« C'est ce que je voulais entendre. »
Il avait enfin capitulé.
Une demi-heure plus tard, nous croisâmes un premier village. Ancre jetée près d'un ponton rudimentaire fait de troncs d'arbre, je descendis, armée, accompagnée par quelques hommes.
« Qu'est-ce qu'on fait là, capitaine ?
— Des affaires. »
Si je devais faire face à Augustin, je devais avoir de quoi me défendre : il était en totale capacité de me faire chanter. Je demandai à mes hommes de rester en retrait pour me diriger vers une jeune femme brune, habillée d'une ample robe bleue, en train de remplir un seau d'eau grâce à un puits en pierre. À peine fûmes-nous remarqués qu'elle s'écarta, yeux écarquillés d'effroi.
« Calmez-vous ! criai-je en ouvrant les paumes, laissant tomber mon arme. Je veux juste des renseignements ! Je ne vous ferai pas de mal ! »
Je sentais que l'on m'observait à travers les vitres des maisons. Quelques hommes étaient sortis, fourches en mains. Évidemment on m'avait reconnue, et je n'étais pas la bienvenue.
« Calmez-vous, répétai-je d'une voix ferme. »
En reculant, elle avait fait tomber son seau que je ramassai et lui tendis. Son visage se détendit un peu.
« Est-ce qu'une jeune femme nommée Mora, et un homme, Logan, ont habité ici ?
— Non, répondit-elle d'une petite voix. »
Sa réponse avait été immédiate. Elle n'avait même pas pris le temps de réfléchir.
« Quelqu'un d'autre a posé cette question avant moi ? »
Elle acquiesça.
« Un homme avec une queue de cheval noire ?
— Oui.
— Quand ça ?
— Hier soir. Ils ont repris la mer immédiatement. »
Un acquiescement pour la remercier, puis je récupérai mon poignard et fis signe aux hommes de rejoindre le navire. Il la cherchait bel et bien, et il semblait avoir une bonne avance sur nous... il allait finir par la retrouver avant moi ! Que faire ? Déjà, tenter de le rattraper !
Remontée sur le pont, je donnai l'ordre de lever l'ancre au plus vite. Nous avions du chemin. On me questionna sur mes agissements, je répondais simplement que c'était important. J'avais détaillé la situation à Mathurin dans le creux de l'oreille. Les traits soucieux, il était rapidement retourné à son poste pour aider sur le bateau.
Regardant régulièrement à l'aide de ma longue-vue, je soupirai : rien à l'horizon, ils étaient loin, si loin ! Que pourrait me demander Augustin ? Ma place de capitaine, bien entendu ! Que ferais-je ? En imaginant ma sœur à ses prises, un couteau sous la gorge... je ne pourrais que lui céder. Je baissai l'œil. Ce n'était pas dans mes plans du tout, de cesser la piraterie... mais ça pourrait au moins être utile avec ce qui grandissait peut-être dans mon ventre. Surtout, j'aurais enfin ma sœur à mes côtés... c'était le but que je m'étais fixé à mes quatorze ans. De toute façon, rien ne m'empêchait de revenir avec une nouvelle flotte si je le souhaitais. Retourner la situation, reprendre mon dû, un de mes jeux favoris !
Joyeux anniversaire Beorn17 ! 🥳🥳🥳
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