Chapitre 1 - Par-dessus bord
Déchiré.
C'était l'état de mon cœur à chaque fois que je me rappelais ces derniers instants.
La grande silhouette de Malaury avait disparu en une fraction de seconde. Cette grande silhouette qui était comme une forteresse pour moi. Forte. Protectrice. Immortelle.
Écroulée.
J'inspirai. Mon regard cessa de se perdre dans le vide. Les contours redevinrent définis. Cette transe en le voyant tomber à l'eau n'avait duré qu'un laps de temps. Je devais me calmer et lui faire confiance. Je devais fuir pendant qu'il se libèrerait. Je devais...
J'étouffai en cri quand on plaqua un chiffon entre mes dents. J'avais beau hurler, ma voix était étouffée par le tissu. Je lançai un regard noir vers l'homme aux dents dorées. Il sourit, satisfait.
Je grognai en tentant vainement de dégager mes poignets. Ces cordes en chanvre étaient épaisses et bien trop serrées. Impossible d'espérer me libérer !
Toujours le couteau sous la gorge, je donnai un violent coup de tête en arrière. On cria, lâcha l'arme, et j'en profitai pour m'échapper à grands pas.
« Sale garce ! Chopez-la ! »
Je ne pourrais pas courir longtemps. Le pont n'était pas vaste. Atteindre les plateformes supérieures m'était impossible les mains liées. Que faire ? A part gagner du temps avant que Malaury ne remonte, pas grand-chose !
Avec un regard derrière moi, je constatai qu'un homme prenait la barre, que celui aux dents dorées me courait après tandis que le troisième se massait le nez d'où coulait du sang.
En contournant le premier mât, je remarquai un sabre posé sur l'un des tonneaux amoncelés sur la trappe qui menait aux cales. Je le saisis immédiatement, m'efforçant de le tenir droit dans mon dos. Je resserrai mes doigts avec fermeté, mais je ne pourrais pas me battre correctement. Au mieux, je serais capable de les tenir à distance.
Un scintillement doré attira mon œil. La cloche accrochée au second mât !
Je m'y précipitai et bondis dans un grognement de douleur pour donner un coup de tête à la cloche qui tinta une première fois.
« Il faut l'arrêter ! tonna le chef. »
Je m'écartai par pas aériens, sentant ma cheville brûler sous l'effort, et en me retournant, je me trouvai face à deux hommes, à trois mètres de moi. Le dernier semblait toujours occupé avec le gouvernail. Je ne savais pas si je pourrais m'en sortir.
Je jetai un regard en coin vers la mer. Rien. Ni à l'eau, ni accroché à la rambarde.
Si je reculais plus, je finirais bloquée contre une paroi. Je devais avancer. Les faire courir autant que possible. Essayer de retaper la cloche, car un seul tintement ne suffirait pas. Mais les deux hommes faisaient bien une tête de plus que moi. Ils étaient libres de leurs mouvements. Armés. Plusieurs.
Bon sang ! Dans quel pétrin je me trouvais ?
Je fis des pas sur le côté, vers la rambarde, en les gardant en vue. Je dressai mon arme dans mon dos, resserrant mes doigts sur le manche. Pourtant, je ne me sentais pas confiante. Ma prise était instable. J'avais l'impression qu'un seul coup d'épée pourrait faire valser la mienne.
Le chef se rua sur moi, un sabre à la main. Je me retournai à temps et le métal sonna dans l'air.
Je grognai lorsqu'on tira mes cheveux en arrière. J'eus le réflexe de donner un coup d'épée dans mon dos, et il me libéra.
Sur le point de fuir sur ma droite, un violent coup à l'arrière de mon crâne me fit valser. Je m'effondrai sur le bois. Un fracas de métal sourd me suivit.
Je ne voyais plus rien. Les pépites éclatantes des cieux avaient laissé place à un nuage brumeux de points sombres. Ma tête me brûlait. Le coup semblait encore résonner. J'en tremblais.
J'essayais de reprendre mes esprits. Que faisais-je ? Mon navire... Malaury... ces hommes... Fuir... j'étais en train de fuir !
Je plaquai mes doigts sur le bois dans mon dos, mais j'étais incapable de bouger. Mes forces m'avaient quittée... Pourquoi je n'y arrivais pas ? Qu'est-ce qu'il se passait ? Je devais partir ! Malaury... il ne pourrait pas m'aider quand il remonterait !
Je poussai plus fort sur mes doigts, tentant de me redresser à l'aide de mes coudes, en vain. A travers le voile ténébreux qui me bloquait la vue, je percevais les formes tourner. Tourner tellement que je prenais des bouffées de chaleur. J'essayais de respirer, de chercher l'air, mais ce chiffon dans ma bouche m'en empêchait. Des remontées le long de ma gorge.
Je tentai de me reprendre. De contenir tout ce qui se passait dans mon corps pour me remettre d'aplomb et me redresser, mais je ne parvenais plus à bouger. Des frissons parcouraient encore mon échine.
« Tu... tu penses qu'elle est morte ? »
Une voix un peu tremblante.
« Nan, sa poitrine se soulève encore. Elle respire. »
Un soupir de soulagement.
« Elle est tenace. Je me doutais qu'on aurait des difficultés à l'attraper, mais je ne pensais pas à ce point-là. »
C'était à cause de mon œil. Encore. On m'avait attaquée sur ma gauche, mon angle mort.
On attrapa mes bras, et on me traîna lentement sur le sol. J'aimerais me débattre... mais j'étais si fatiguée. J'avais la sensation que chacun de mes membres pesait au moins une ancre. Ou deux. Ou plus ! Et ma tête me faisait tellement mal... J'avais l'impression que quelqu'un s'amusait à presser mon crâne entre ses doigts à intervalles réguliers. Des battements saccadés tambourinaient dans mes oreilles.
« Merde. Elle saigne beaucoup, non ? bredouilla l'un.
— Je pense que ça ira.
— Tu es sûr ? C'est le crâne, quand même. On devrait pas au moins bander ?
— Est-ce si grave si elle meurt maintenant ? »
Silence.
« Le chef voulait qu'on la ramène vivante... »
Le temps parut long avant qu'il ne reprenne la parole :
« Tu as raison... »
Ils prenaient drôlement soin de leur otage qu'ils ne devaient pas tuer, dis-donc. Redressée, on m'adossa et on m'attacha à ce qui était sans doute un mât. En revanche, je voyais toujours flou, quoique plus clairement. Le voile était moins sombre, un peu plus épars.
Je respirai plus longuement, j'essayais de me concentrer pour quitter cet état de malaise.
« Tu crois qu'elle étouffe ?
— J'en sais rien. Enlève-lui le bâillon, mais tiens-toi prêt à lui remettre si elle crie. Alexis, tu t'en sors avec la navigation ?
— Bien sûr ! »
Je ne l'avais pas reconnu ! Lui ? Un traître ? Cela faisait au moins huit mois qu'il était sur le navire ! Je n'aurais jamais cru cela de sa part. On n'était certes pas très proches, mais je lui avais suffisamment accordé ma confiance pour qu'il puisse prendre la barre.
J'inspirai une grande bouffée d'air frais lorsqu'on me retira le chiffon. Des filets de bave coulaient le long de mon menton tandis que je respirais, bouche grande ouverte pour recueillir cette denrée qui m'avait semblé si rare quelques minutes plus tôt.
On m'accola un goulot contre les lèvres. Je m'écartai, entrechoquant mon crâne contre le bois derrière moi, ce qui m'arracha un soupir douloureux.
« Bois, enfin ! grogna un homme. »
Je ne savais pas ce qu'était ce liquide. Ils pourraient chercher à me rendre ivre ou à me droguer. Je penchai tout de même sur l'eau, comme ils voulaient un tant soit peu me « soigner » mais je préférais rester sur mes gardes.
« Tant pis pour elle. On lui offre de l'eau, elle n'a qu'à crever si elle refuse de boire. Ce serait pas notre faute après tout.
— Certes... »
Dire que ces hommes étaient sous mon commandement jusque-là... comment avais-je pu ne pas remarquer que six... non, sept traîtres étaient sur mon navire ? Mon équipage était constitué d'une trentaine voire quarantaine de marins... Près d'un quart de mes hommes me trahissaient ?
Je soupirai quand on appuya sur l'arrière de mon crâne. Il me brûlait et me martelait.
« Tu as raison, ça n'a pas l'air si terrible que ça. Les saignements commencent à s'arrêter.
— Parfait. Dès que tu as fini, bâillonne-la. »
Petit à petit, le voile noir s'éclipsait. Les couleurs et les formes revenaient. Un homme d'une trentaine d'années que je reconnaissais pressait quelque chose à l'arrière de mon crâne.
J'inspirai. Il fallait que je prévienne mes marins. Les fidèles, en tout cas. C'était ma dernière chance.
« Hey ! hurlai-je. Debout ! Branle-bas de combat ! »
Je continuais de crier tandis que l'homme essayait tant bien que mal de me refiler son chiffon dans la bouche.
« Debout ! Sauvez-... »
Je grognai en toussant, à nouveau réduite au silence. J'avais fait de mon mieux. Il fallait maintenant espérer que mes cris avaient alerté mes hommes.
« Tu sais pas t'y prendre ! cria le chef en s'avançant à grands pas jusqu'à moi. Ce genre de garce, faut leur faire comprendre qui est le patron ! »
Une gifle. Ma joue me lançait par brûlures. Je le regardai de travers.
« Cesses de me regarder comme ça ! Ou tu t'en reprends une ! Je vais te dompter, moi ! »
Une nouvelle claque. Comme si j'allais le laisser m'humilier sans rien faire. Son visage à peine éclairé par la lune semblait rouge. Si ses yeux pouvaient tuer, je ne serais plus qu'un cadavre démembré actuellement.
« On devrait arrêter, souffla le premier en attrapant le bras du chef.
— Et pourquoi ? aboya-t-il, le regard noir.
— On doit la ramener vivante. Ce que fera le patron d'elle, ça ne nous regarde pas. »
Sans doute un homme, alors. Mais qui ?
« Tu as de la chance, grogna-t-il en repartant à pas lourds. »
Je tournai la tête en entendant des bruits derrière moi. Comme si des tonneaux et des caisses en bois étaient malmenés par les roulis d'un navire en pleine tempête. Suivi de coups.
« Pourquoi c'est bloqué ? tonna une voix étouffée. »
Ils m'avaient entendu crier ! J'essayai de parler, mais je ne parvins qu'à lâcher des marmonnements à peine audibles. Le chef me passa devant, non sans me mater de travers, et disparut de mon champ de vision.
« Ohé ! Que se passe-t-il ? lança-t-il.
— Vous n'avez pas entendu, vous, sur le pont ? On a entendu crier ! C'était la voix de la capitaine !
— La capitaine va très bien. Elle a repris la main à Alexis qui a failli percuter un rocher.
— Et Borg ? Il n'était pas censé être au gouvernail, cette nuit ? »
Où était-il ?
« Il a trop bu, c'est pour ça qu'Alexis le remplace. Vous le trouverez dans son hamac, on l'a ramené. »
Ils avaient surtout dû lui asséner un coup dans le crâne suffisamment puissant pour l'assommer.
« Donc tout va bien ?
— Tout va bien. La capitaine est repartie se coucher, je n'aimerais pas la déranger.
— Vous devriez retirer ce qui gêne l'ouverture de l'écoutille. Certains aiment prendre l'air dans la nuit, et surtout, s'il y a une urgence, il faut qu'on puisse intervenir au plus vite.
— On va s'en occuper, ne vous en faites pas. Profitez bien de votre nuit.
— Merci, bon courage ! »
Je levai l'œil au ciel. C'était ça, mon équipage ? Ils ne se doutaient de rien ? Bon sang ! Quelle bande d'incapables ! Il fallait visiblement s'occuper de tout soi-même sur ce navire !
Je bougeai mes poignets. Je retins un soupir. J'étais contre des marins. Comment avais-je pu douter de leur nœud alors que Malaury était toujours derrière l'équipage pour s'assurer qu'ils étaient solides ?
Malaury.
Je tournai la tête sur les côtés.
Où était-il ?
Des sueurs froides.
Dans quel état devait-il se trouver ? Je savais qu'il avait toujours craint les eaux de nuit. Il détestait ne pas savoir où il allait et ce qui pouvait se trouver sous la surface. Alors plonger dans une mer noire ? J'espérais qu'il n'avait pas trop paniqué et qu'il était parvenu à rapidement couper les liens de ses poignets.
Je frissonnai en sentant le vent infiltrer ma chemise. Je resserrais mes cuisses l'une contre l'autre et j'observai autour de moi. J'essayais d'apercevoir une main, une tête, un signe de vie, au niveau des rambardes... mais rien.
Il ne remontait pas ? Il attendait le bon moment ? Ou... il lui était arrivé malheur ?
Un spasme incontrôlable me parcourut en l'imaginant se noyer sous les assauts de vagues, alors qu'il tenterait désespérément de remonter à la surface. D'avoir cette bouffée d'air salvatrice. De reprendre le combat contre la mer.
Je secouai la tête pour me remettre les idées en place. Il fallait que je me montre optimiste, comme toujours. Cependant, la vitesse de La Mora m'inquiétait. Si Malaury n'était pas remonté pendant ma fuite... il ne parviendrait jamais à rattraper le navire à la nage.
Néanmoins, je devais me calmer. M'agiter ne servirait à rien. Machinalement, j'essayais de me prendre les mains, de planter mes ongles dans ma chair, comme pour me ramener à la réalité, me rappeler que je devais m'occuper du présent.
Plus précisément de fuir.
Ravie de vous retrouver ! Et merci à vous d'être présents pour la suite !
On reprend l'aventure plus ou moins doucement ! :p
J'espère que ça vous plaira !
On va rester sur 1 chapitre par semaine, le samedi 10h, pour l'instant. Si j'ai beaucoup d'avance, on pourra passer à 2 par semaine !
Je voulais également vous prévenir que pour la réécriture de cette partie, j'ai un peu plus de travail, et je suis beaucoup moins sûre de moi quant à mes choix... donc je risque de vous poser régulièrement des petites questions en fin de chapitre, alors j'espère que vous jouerez le jeu ! ça pourra m'aider à m'orienter ou me réorienter au besoin ! ^-^ Merci d'avance à ceux qui répondront ! :)
Petit bonus dessiné par mon petit frère :
Qui est-ce donc ? Ceux qui sont sur insta le savent sans doute... et ceux qui n'y sont pas peuvent savoir qui il est, ou sinon le (re)découvriront au cours de cette partie ! ;)
PS :
- J'ai modifié le résumé !
- Je vais essayer de diviser un peu plus mes chapitres pour que ce soit plus digeste à lire ! :) (Dans le même format que celui-ci, mais pas de garantie que je m'y tienne tout le long... :p)
A samedi prochain, et bonne semaine, moussaillons ! 🏴☠️
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