3. SMS
Un sms dérangea Théia en plein milieu de sa séance de révisions. Les cours ne débutaient que le lendemain mais le premier mathathlon était déjà programmé pour octobre. L'adolescente y défendrait son titre et sa place de présidente du club de mathématiques du lycée de Darkwoods. Hors de question qu'elle perde sa position. Certes cette dernière, couplée à ses origines chinoises (son père était de Pékin), lui valait régulièrement des indélicatesses à la limite du racisme mais pour rien au monde elle en lâcherait le club. Et puis elle tenait d'ors et déjà sa revanche sur tous ces imbéciles qui ne mettraient jamais les pieds dans une grande université et nettoieraient un jour sa piscine. Théia allait s'offrir une bourse pour l'Ivy avec le club de maths et rien n'y personne ne pourrait l'en empêcher.
« June est morte !!! »
L'adolescente fronça les sourcils et s'assit sur son lit puis elle ajusta ses lunettes à monture noire. June, sa June ? Ni une ni deux, Théia descendit les escaliers précipitamment et déboula dans le salon où ses parents regardaient tranquillement un film, une bière à la main.
— Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que June est morte ?
Son air paniqué suffit à sa mère pour comprendre qu'il ne s'agissait pas là d'un jeu. Elle se pencha vers la petite table basse du salon et changea de chaîne. L'homme armé jusqu'aux dents laissa place à la photo d'une adolescente que Théia reconnut sans peine avant de s'effondrer en sanglots. Son père voulut la reconduire dans sa chambre mais elle insista pour rester, elle voulait savoir, elle devait savoir. La journaliste présente à l'écran ne fut pas rassurante, elle annonçait d'un air grave que l'adolescente trouvée dans les bois portait de nombreuses traces de coups.
— Qui aurait pu en vouloir à ton amie Théia ? A-t-elle des ennemis ?
— Bai, ce n'est pas le moment, gronda sa femme, tu vois bien qu'elle est choquée.
— Pardon, s'excusa l'homme, mais la police va certainement venir...
Théia s'arrêta brutalement de pleurer et déclara avec force qu'elle n'avait pas tué son amie. Elle regarda son père avec stupeur et colère, pouvait-il seulement imaginer qu'elle puisse faire une chose pareille ?
— Je n'ai jamais dit cela ! se défendit-il, mais nous savons tous les trois que tu n'as pas que de bonnes fréquentations.
— Fais-tu allusion à Cronos ? demanda Théia dont la colère avait remplacé la tristesse. Tu ne l'as vu que deux fois !
— Et à chaque fois c'était au commissariat alors qu'un adolescent était mort...
Si la journaliste ne venait pas de prononcer le mot meurtre, et ainsi de capter l'attention de la famille au complet, Théia aurait répondu quelque chose d'assez vulgaire et méprisant à son père. Karen soupira et partit faire du thé pour tout le monde. Sa tunique virevolta gracieusement avec elle et un léger parfum de jasmin la suivit dans la cuisine. Théia changea de place, elle ne voulait pas rester à côté de son père. Elle alla donc s'asseoir dans un fauteuil en osier voisin et concentra son attention sur la femme en deux dimensions qui détaillait la découverte du corps. Un mouchoir apparut devant elle, elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle pleurait. La jeune fille saisit le tissu blanc et remercia d'un regard son père. Il semblait inquiet, sincèrement, mais elle n'avait pas envie de parler. D'ailleurs elle ne savait pas quoi lui dire.
Karen revint avec un thé fumant que Théia appréciait beaucoup, l'adolescente prit la tasse que sa mère lui tendait et but quelques gorgées. Le liquide lui brûlait la gorge mais elle s'en moquait.
« La police a commencé à enquêter sur l'emploi du temps de la victime. »
Elle but pratiquement d'une traite puis se leva et annonça qu'elle montait dans sa chambre.
— Vous me préviendrez si... s'il y a des détails ?
Ses parents l'en assurèrent et elle put ainsi monter l'esprit presque tranquille. Son cœur s'était accéléré quelques instants plus tôt, lorsque la journaliste avait parlé de l'emploi du temps de June. Théia entra dans sa chambre, en ferma soigneusement la porte puis s'assit sur son lit le temps de se calmer. La pièce n'était éclairée que par une petite lampe de chevet qui diffusait une douce lumière, cette ambiance paisible l'aidait à se concentrer habituellement mais ne fut d'aucune utilité ce soir. Elle l'avait vue aujourd'hui. Elle avait vu June à peine quelques heures auparavant. Elle l'avait vue.
Cette phrase se martelait dans sa tête avec violence comme pour s'en extraire. Théia essaya de se souvenir de tous les détails de la scène qui avait eu lieu quelques heures auparavant mais elle n'était pas très claire. Ce n'était qu'une rencontre comme une autre, pas besoin de la mémoriser. Elle revit June sortir de son club de dessin alors qu'elle-même allait rejoindre sa meilleure amie à la terrasse d'un petit café non loin. Théia se rappela l'avoir invitée à venir avec elle mais la rouquine avait poliment décliné. June avait prétexté un autre rendez-vous mais n'avait pas donné de détails.
Théia soupira et plongea la tête dans ses mains. Elle se maudit de n'avoir pas demandé plus d'informations à son amie, ou bien simplement d'avoir insisté pour qu'elle vienne. Y avait-il eu quelque chose de particulier cet après-midi-là ? Non, il n'y avait rien, rien dont elle se souvienne. Cette rencontre avait été tellement habituelle, banale. June avait sa pochette à dessins mais c'était bien le seul détail dont Théia puisse se rappeler. Elle n'avait pas en mémoire les vêtements de son amie, probablement un jean mais elle ne pourrait pas le jurer. Rien il n'y avait rien.
Le téléphone sonna, Théia se jeta dessus. A l'autre bout du fil se trouvait Mnémosyne, sa meilleure amie d'enfance. Sa voix n'était que sanglots et elle ne parvenait pas à reprendre le dessus. Elles ne discutèrent pas mais pleurèrent ensemble la mort de leur amie. Théia essayait parfois de réfléchir, d'émettre une hypothèse quelconque mais son esprit était si empli de douleur et de tristesse qu'il ne fonctionnait pas. Le choc de l'annonce était d'une puissance que les adolescentes n'avaient jamais imaginée, et encore moins vécue. Théia avait perdu sa grand-mère deux ans plus tôt mais si triste fut l'événement le ressenti n'était pas du tout le même. Sa grand-mère était âgée, elle avait bien vécu et la mort était dans la logique des choses mais, June... Elle était au matin de sa vie, elle était fauchée en pleine jeunesse, soudainement, sans raison. C'était le pire et Mnémosyne l'affirmait encore et encore alors qu'elle répétait « pourquoi ? » sans discontinuité. La question s'ancrait dans leurs cœurs au fil des minutes alors que la mort de June devenait de plus en plus réelle dans leurs cerveaux tourmentés.
« Pourquoi ? »
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